Médias « Dites-le avec des femmes ! »

Si les femmes sont de plus en plus présentes sur les plateaux télé, derrière les micros de radio ou dans les journaux, leurs interventions sont limitées et stéréotypées. C’est ce que révèlent deux rapports présentés lors du colloque « Dites-le avec des femmes ! », organisé par LESNOUVELLESnews.fr au Conseil régional d’Ile-de-France le 9 juin dernier : le Projet mondial de monitorage des médias (GMMP) et son équivalent français rendu par la Commission sur l’image des femmes dans les médias (1).

En France, le temps de parole des femmes en tant qu’expertes est d’une minute et demi pour 25 minutes accordées aux hommes. Elles sont également sept fois moins citées qu’eux dans la presse écrite. En revanche, les chiffres s’inversent lorsqu’il s’agit des témoignages. Les femmes sont davantage invitées pour raconter des anecdotes : « Elles apparaissent comme passantes, pas comme des actrices structurantes du monde », explique Brigitte Grésy, auteure du rapport de la Commission, qui ajoute : « Il ne suffit pas d’être là pour exister. »

Une infériorisation systématique

Quels rôles sont attribués aux femmes lorsqu’elles apparaissent dans l’information ?

Selon le rapport du Projet mondial de monitorage des médias (GMMP), elles sont présentées comme victimes, épouses ou filles de Untel. Seules 26% des femmes sont présentées dans leur fonction professionnelle contre 92% des hommes. Les femmes sont donc convoquées dans le cadre de la sphère privée et ne sont que très rarement appelées à contribuer dans les autres domaines. « On assiste à une infériorisation systématique des femmes selon deux logiques : la spécification individuelle et l’appartenance collective. C’est un peu comme si toutes les femmes étaient LA femme, gommée sous l’appartenance collective qui empêche le processus d’individualisation », commente Brigitte Grésy.

Le phénomène est particulièrement visible lorsque les médias s’intéressent aux femmes politiques selon Natacha Henry, journaliste et créatrice du Gender Company (www.gendercompany.com), organisme indépendant d’analyse attaché à la question des genres dans les médias et la société.

Cette journaliste donne l’exemple du dossier « Les 100 qui comptent » du journal L’Express. Après les élections présidentielles de 2002 et 2007, le journal a proposé cent portraits de personnalités politiques susceptibles d’entrer au nouveau gouvernement. Au milieu des rubriques les « incontournables », « la relève » et les « piliers » figure la catégorie « les femmes ». « Les femmes sont encore réduites à une catégorie ! », s’insurge-t-elle. Ce classement témoigne d’un inconscient collectif qui fait des femmes un groupe à part dans la vie politique, quand bien même elles se sont d’ores et déjà illustrées en exerçant des postes de ministres et de députées.

Les inégalités femmes/hommes sont encore plus marquées lorsqu’il s’agit des violences faites aux femmes. Natacha Henry donne un autre exemple, celui du traitement médiatique des crimes passionnels. Dans un article du 26 mars 2009 paru dans Le Parisien, une femme victime d’un crime passionnel est appelée « dulcinée », son assassin, « amoureux transi », est décrit comme « jaloux et sentimental ». Le traitement sémantique de cette affaire est à l’image de tant d’autres selon Natacha Henry : les hommes sont excusés, les femmes nommées de façon obsolète. « Tout est décalé, jusqu’au vocabulaire », pointe-t-elle. La langue traduit ici une vision archaïque des femmes en plus de déresponsabiliser leurs agresseurs.

Une fois ce constat dressé, Brigitte Grésy invite a prendre conscience des rôles attribués aux femmes dans les médias : « Le pire, ce n’est pas le combat contre les inégalités, mais celui contre les fausses égalités ».

« Passer à la télé, c’est presque physique ! »

Pourquoi de telles inégalités persistent-elles et comment les journalistes se mobilisent-elles-ils pour les réduire ?

Avec 45% de femmes journalistes, 58% de femmes pigistes et 18% de femmes à la tête des médias, les acteurs de la profession, eux-aussi, s’interrogent sur le phénomène. Hélène Risser, rédactrice en chef adjointe de La Chaîne parlementaire raconte ses efforts pour donner une meilleure visibilité aux femmes : « J’ai insisté pour qu’à chaque émission, on privilégie des femmes. C’est difficile de mettre plus de femmes à l’écran parce qu’on retombe régulièrement sur des hommes qui se mettent plus en avant et qui ont l’air plus installés que des femmes sur des sujets de politique ou d’histoire. »

Les femmes ont donc du mal à se mettre en avant, mais aussi à s’imposer face aux hommes. Selon Clémentine Autain, co-directrice du mensuel Regards, chroniqueuse hebdomadaire pour France Culture et créatrice de l’association Mix-Cité : « C’est très dur de passer à la télé, il faut être persistant. C’est presque physique ! On ne nous donne pas beaucoup la parole et quand on l’a, on se fait sans cesse couper. Les femmes peuvent parfois paraître agressives, mais c’est pour s’imposer, parce qu’il faut tenir. »

Mais le monde de l’information souffre également d’une représentation inconsciente des rôles stéréotypés. « Mes stagiaires filles me proposent toujours des sujets de filles, explique Blandine Grosjean, rédactrice en chef adjointe de Rue89. Elles ne vont pas spontanément me demander des sujets politiques ou sport, alors que les garçons le font systématiquement. » Elle relativise en soulignant : « Je suis la seule nana dans l’équipe de direction, et mes collègues hommes ne savent même pas faire la différence entre un ballon de foot et un ballon de rugby. J’adore le sport et je m’en occupe ! »

Toutes les journalistes présentes ont insisté sur le fait que les médias se doivent de refléter la société. Les femmes représentent 51% de la population, elles ont investi la sphère publique, les journalistes ont pour mission nouvelle de les y représenter avec plus de justesse. Or, réduire les inégalités femmes/hommes dans le milieu médiatique semble être un combat quotidien. « Il faut tout le temps avoir conscience du problème et être vigilant-e », dit Blandine Grosjean.

« Le journalisme ne se limite pas au féminisme » !

La nouvelle génération de journalistes est-elle porteuse d’une « parité médiatique réelle » ?

Rien n’est moins sûr à entendre le témoignage d’une étudiante en journalisme présente dans l’hémicycle : « Tout au long de l’année, j’ai essayé de parler des femmes dans mes devoirs. Dans mon école, je passe pour la féministe de service. Résultat, l’appréciation finale sur mon bulletin, c’est que le journalisme ne se limite pas au féminisme. »

Mais cette étudiante a été agréablement surprise de découvrir que son école va sensibiliser ses élèves aux inégalités hommes/femmes dès la rentrée prochaine. Au total, 13 établissements (2) qui forment les futurs journalistes ont signé une charte pour un traitement paritaire de l’information.

Louise Gamichon – EGALITE

(1) La Commission sur l’image des femmes a été crée en 2008 par Valérie Létard, secrétaire d’Etat à la Solidarité. Cette instance est rendue pérenne en mai 2011 par Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. La Commission doit mettre en place une grille d’analyse pour évaluer la présence des femmes dans les médias et engager les responsables de l’information à une démarche d’autorégulation.

(2) Science-Po école de journalisme, le Celsa Paris-Sorbonne, le CFPJ, le CUEJ Strasbourg, l’EJCM Marseille, l’université Stendhal Grenoble (EJDG), l’EJT, l’ESJ Lille, l’université Panthéon-Assas (IFP), l’IJBA Bordeaux, l’IPJ, l’IUT Tours, l’IUT Lannion et l’EMI.


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