Contributions Une marche de 90 km contre les violences au Mexique

Fin de cortège

Ce n’est plus un secret pour personne, le Mexique est en guerre. Plus de 40 000 morts depuis l’arrivée du Président Felipe Calderón au pouvoir en 2006, grâce à une fraude électorale. Cet homme, qui aime s’habiller de vêtements militaires et dont la campagne électorale fondée sur le concept de « bras de fer contre la délinquance », promettait de déclarer la guerre aux narcotrafiquants « pour que la drogue n’arrivent pas jusqu’à [nos] enfants ».

Il avait cependant oublié de prendre en compte l’infiltration du crime organisé à tous les niveaux du gouvernement. Un marché aussi lucratif que celui de la drogue nourrit abondamment une classe politique reconnue pour sa corruption. De plus, les narcotrafiquants, petits et grands, sont issus du peuple et beaucoup mieux entraînés et armés que ne pourraient l’être les forces armées mexicaines.

Une déclaration de guerre permet en outre de justifier une escalade de violences, les interventions militaires, les assassinats et disparitions des défenseur-e-s des droits de la personne, des journalistes, des migrants et de banaliser les féminicides, les fosses communes et bien sûr de contrôler les médias. Les décès de personnes parfaitement innocentes sont considérés comme des dommages collatéraux.

Les féminicides de Juarez et les assassinats de deux grandes activistes, « Marisela », qui réclamait justice pour le meurtre de sa jeune fille Ruby, et de Susana Chavez, femme poète, auteure du slogan « Pas une de plus », ont littéralement consterné le pays et semé une grande peur chez les femmes activistes. Suzana a été trouvée avec une main coupée, celle avec la quelle elle écrivait et dénonçait la misogynie. Plusieurs Etats du pays ont tenté de lancer « l’alerte de genre » contre l’augmentation des féminicides, mais la pression politique des gouverneurs ont fait échouer ces initiatives. L’augmentation des crimes homophobes suite à l’autorisation des mariages gays avec droit d’adoption dans la capitale du pays a été alimentée par des discours haineux principalement prononcés par des autorités religieuses.

Dans ce climat de peur et de total despotisme, la décomposition sociale est tellement grande que des caricaturistes lancé une campagne massive « Pas plus de sang » en janvier 2011. La population civile commence alors à mieux s’organiser et à se manifester dans tous les coins du pays. L’assassinat à Cuernavaca du fils du célèbre poète Javier Sicilia et de six de ses amis le 28 mars soulève l’indignation d’un père qui dénonce publiquement la violence de l’Etat et son incompétence pour exercer la justice. Malgré lui, le poète devient le porte-parole de tout un peuple qui a soif de paix et de justice et qui n’en peut plus de toute cette explosion de violence.

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Il convoque alors à une longue marche silencieuse du 4 au 8 mai derniers de Cuernavaca jusqu’à la Place centrale de Mexico – 90 kilomètres en 4 jours. Il n’y a en effet pas de mots pour exprimer la blessure profonde et la détermination des familles et des citoyen-n-es en deuil de mettre fin à cette guerre absurde et proposer un nouveau pacte social qui redonnerait sa dignité au pays.

De Cuernavaca, plus de 500 personnes de toutes les classes sociales, générations et idéologies confondues ont entrepris ce long périple pour protester contre le cynisme et dire l’écœurement face à un gouvernement qui règle les problèmes sociaux avec des mitraillettes.

Il y avait autant de femmes que d’hommes. De nombreux pères et mères de famille qui ont perdu un enfant étaient là, transportant des pancartes avec leur photo et les détails qui pourraient aider à la résolution de l’investigation, déterminés à médiatiser leur exigence de justice et à faire avancer le pays sur le chemin du pacifisme.

Plusieurs groupes féministes étaient présents, notamment une importante délégation de Juarez qui a dû voyager plusieurs jours pour nous rejoindre et le drapeau de la fierté gay flottait dans l’air… Mais les discours prononcés mettait peu en évidence la violence machiste. Les mêmes slogans étaient utilisés pour dénoncer la disparition des femmes et des hommes… « Pas une de plus » de la lutte contre les féminicides s’est transformé en « Pas une de plus, pas un de plus ». Dans l’urgence, parfois, les luttes féministes perdent leurs spécificités pour se joindre simplement à l’effort collectif.

Tout au long, de cette exténuante marche sous un soleil de plomb, les gens nous criaient « vous n’êtes pas seuls ! », nous distribuaient de l’eau et des vivres. Leurs regards émus et déterminés, nous disaient qu’ils partageaient notre souffrance et nos convictions. La chaleur et la générosité de l’accueil des communautés autochtones où nous avons passé nos deux premières nuits ont été telles qu’elles nous ont permis d’aimer à nouveau le Mexique.

Puis nous sommes arrivés à Mexico, le contingent augmentait au fur et à mesure que nous avancions jusqu’à la cité universitaire de l’université autonome du Mexique (UNAM). Les gens sur leurs balcons avec des mouchoirs ou du linge blanc saluaient notre passage. Les universitaires nous ont reçu avec le Requiem de Mozart en honneur aux 40 000 morts. Des étudiant-e-s nous ont proposé de masser nos pieds endoloris.

Près de 100 000 personnes sont arrivées à la Place centrale de Mexico. Pour l’occasion l’eau des fontaines était rouge sang. Après une soixantaine de témoignages, tous plus douloureux les uns que les autres, le poète Javier Sicilia a pris la parole. Son appel à « pas plus de violence » et son discours exigeant un nouveau pacte de gouvernance a apaisé l’auditoire en colère contre le gouvernement et le Président.

Guitté Hartog, diplômée en psychologie sociale et professeure-chercheure à l’Institut de sciences sociales et humanités de l’université autonome de Puebla, Mexique.

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