Témoignages « Nous, filleules mexicaines de La Barbe, ne participons pas à notre fête nationale »

Forces de l'ordre dans un jardin public à Puebla © Guitté Hartog

Nous, les Bigotonas, n’en pouvons plus.

Aujourd’hui a lieu notre fête nationale, célébration de notre indépendance, mais il n’y a pas de quoi se réjouir.

Ce que vivent les Mexicain-e-s ressemble beaucoup à ce que vit une femme qui ne quitte pas son conjoint violent. Cela commence doucement, il y a des cycles, puis la violence va en augmentant.

Je ne sais pas si on s’habitue, mais beaucoup de personnes qui n’ont pas l’option de sortir du pays semblent apprendre à vivre dans un état d’aliénation (il faut continuer à travailler, à vivre comme si rien n’était), de négation (nous ne sommes pas vraiment en guerre…), d’atténuation (ce n’est pas si terrible que ça), de mauvaise foi (les personnes assassinées ont sûrement une mauvaise vie cachée… Si les gens pensent que ça peut leur arriver ou à un de leurs proches… ils deviennent fous), de fatalisme (c’est la volonté de Dieu)…

C’est troublant d’écouter les gens raconter les fusillades, les lancers de grenades, les cadavres, comme si c’était des banalités et parler des grands chefs du narcotrafic comme des connaissances.

Il y a deux semaines, deux femmes journalistes, Ana María Marcela Yarce Viveros, fondatrice et journaliste de la revue hebdomadaire Contralínea et Rocio González Trápaga, ancienne reporter de Televisa devenue indépendante, ont été tuées. Elles ont été retrouvées mortes, nues dans un jardin public, avec des marques de strangulation, les mains et pieds attachés. Les journaux disent qu’on les a assassinées pour voler leur argent…

Les gens changent leurs habitudes de vie. Ils arrêtent de lire les journaux, pour préserver leur santé mentale. Les gens ne vont plus dans les discothèques ni au cinéma, encore moins en vacances… Dans les grandes villes du nord du Mexique, les gens ne marchent plus dans les rues…

Le Mexique compte 112 millions de personnes, la moyenne d’âge est de 26 ans. Si les jeunes n’ont pas d’options éducatives ou de travail, les narcotrafiquants, la police, les militaires et le monde de la prostitution, eux, recrutent…

A Puebla, nous sommes encore dans une zone protégée des violences des narcos ou de la lutte qui s’opère contre eux. Mais ici, les femmes disparaissent. Dans l’Etat de Puebla, 3323 femmes ont disparu de 2005 à 2010. Sans aucun doute victimes du crime organisé et de la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle.

Aujourd’hui, jour de notre fête nationale, nous lançons un appel à la solidarité internationale. Et pour le relayer en France, nous avons contacté nos marraines de La Barbe et le site Egalité, qui nous soutiennent.

Des membres de La Barbe se rassemblent devant l’ambassade du Mexique à Paris aujourd’hui à 13 h et nous nous sentons moins seul-e-s.

Guitté Hartog, présidente des Bigotonas

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