Sport Raphaël Liogier : une petite claque aux «Evidences universelles»

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier, est professeur de sociologie à l’IEP d’Aix-en-Provence où il dirige l’Observatoire du religieux. Dans Les Evidences universelles, il démonte avec humour quelques préjugés. Des inégalités femmes/hommes à l’homosexualité, il propose aussi de revenir sur l’ancestrale assertion de la supériorité physique des hommes sur les femmes. Un tel point de vue ne peut qu’inviter à l’interroger davantage sur la thématique du sport et du genre.

Raphaël Liogier

 

Pourquoi le sport est-il resté si longtemps l’apanage des hommes ?

Le sport est avant tout à l’origine l’expression même de la virilité. Etymologiquement d’ailleurs, le mot –vir (en latin homme) a donné virilité, ainsi que virulence, mais aussi vertu. Le sport est un moyen pour les hommes de prouver qu’ils sont différents des femmes et capables d’exploits qui par là même les placent au rang de vertueux. En cela le sport et la politique sont intimement liés : ils ont toujours été pour l’homme les deux moyens d’assurer leur pouvoir et leur supériorité. Les préoccupations domestiques ont donc été laissées aux femmes.

Encore aujourd’hui, ce n’est pas un phénomène sociologique rare que d’observer des hommes se retrouvant hors du foyer pour discuter entre pairs de ces deux seuls sujets dignes d’intérêt : sport et politique…

Le sport sous un prisme masculin se teinte souvent de violence ou d’animosité, ce qu’on peut voir en particulier dans le football. Le lien entre sport et art guerrier reste-t-il d’importance ?

Anthropologiquement, l’ancêtre direct du sport d’aujourd’hui est l’initiation masculine. Et celle-ci consistait, dans les sociétés primitives comme les a étudiées Lévi-Strauss, en des épreuves physiques visant le dépassement de soi. C’est ce dépassement par l’activité physique qui rendait homme.

L’initiation féminine existait aussi, à la différence qu’au lieu de consister en un dépassement, elle consistait en une soumission à la tribu. C’est cette soumission qui rendait femme, et malheureusement, cette épreuve pouvait encore il y a quelques temps prendre la forme extrême du viol collectif par la tribu… [Les initiations masculine et féminine continuent de perdurer dans nombre de cultures contemporaines où les femmes restent les premières victimes d’un procédé de soumission des plus barbares : l’excision… NDLR]

De nos jours le lien entre guerre et sport reste fort. Il suffit de relever le vocable des sports d’équipe : attaquant, défenseur, gardien… Il y a une logique militaire dans la constitution des équipes, ainsi que l’expression de symboles identitaires et politiques dans le sport : on brandit ses couleurs, son drapeau, on réaffirme l’importance de chanter La Marseillaise.

Si l’on prend l’exemple du football féminin, la désaffection du public masculin envers celui-ci est-elle due à une impossibilité d’identification ?

D’abord, replaçons les choses dans leur contexte.

C’est en Europe que le football est sacré, et donc par excellence réservé aux hommes. Aux Etats-Unis, le sport historique porteur de l’identité nationale est le football américain, dans lequel aucune équipe féminine n’arrive d’ailleurs à prospérer. Mais ils pratiquent aussi notre football, le soccer, avec une importance identitaire beaucoup moins grande.

C’est ainsi que les équipes féminines de soccer, donc de notre football, ont droit au chapitre et sont même plus suivies que les masculines, ce qui est impensable chez nous. En France, le football masculin est l’un des derniers bastions de l’identité nationale.

Ensuite, effectivement, les amateurs de football, hommes et femmes confondus, souhaitent qu’il y ait une virulence démontrée, gage d’un enjeu fort. Et évidemment, ils s’imaginent que le football pratiqué par des femmes est dénué de cette virulence, ce qui n’est pas forcément le cas d’ailleurs. Mais en ce sens, en effet, l’identification est impossible.

Qu’en est-il de la mutation actuelle des mentalités ? Qu’est-ce qui évolue particulièrement selon vous ?

Sur le plan sportif, les performances des femmes tendent à se rapprocher de celles des hommes, et d’ici à quelques décennies elles vont même les dépasser. Sur le plan politique aussi, soit dit en passant, les femmes sont performantes en tous points. C’est donc le sort de la virilité en général qui est en train de changer.

Depuis que les femmes ont petit à petit eu accès au sport, leur condition physique a évolué : on les a tenues à l’écart de la nourriture carnée pendant des siècles en insinuant qu’elles étaient physiologiquement plus faibles mais, maintenant qu’elles peuvent exploiter leur potentiel, les femmes vont bientôt, même dans les sports les plus bruts, comme le lancer de poids, rattraper les hommes.

La distinction même homme/femme devient de plus en plus indifférenciée. La charge érotique qui faisait la spécificité des rapports hommes/femmes était basée sur la fragilité féminine. Les hommes vont devoir faire avec ces nouvelles femmes, qui n’exploitent plus leurs faiblesses mais leurs forces.

S’il y a égalité entre pouvoir politique et symbolique pour les deux sexes, cela va peut-être redessiner les rapports. Les hommes auront, eux aussi, droit à exprimer leur fragilité ou à ne plus avoir à démontrer leur force, et à choisir s’ils le désirent de se consacrer au foyer.

Propos recueillis par Terry Dupont – EGALITE Paca

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