Contributions Les femmes face à la crise et à l’austérité 2- L’impact des plans d’austérité

Femme dormant dans la rue © marcovdz

Femme dormant dans la rue © marcovdz

La crise a des effets très négatifs sur l’ensemble des sociétés, mais particulièrement pour les femmes, sur le marché du travail comme dans la vie privée. Les politiques d’austérité mises en place en Europe font payer la crise aux populations en épargnant les responsables que sont la finance et les grandes banques. Injustice supplémentaire : ces politiques, en ignorant toute analyse des effets différenciés de la crise sur les hommes et les femmes, non seulement ne font rien pour les corriger mais les aggravent.

Christiane Marty, membre de la commission genre et du conseil scientifique d’Attac, nous propose une analyse de la situation, en Europe et en France, en deux parties. La première, publiée le 23 novembre dernier, abordait l’impact de la crise sur les femmes.

Les pays ayant un plus fort niveau de protection sociale et de services publics ont mieux résisté à la récession. Or, ce sont précisément ces bases de l’Etat social qui font l’objet de coupes budgétaires ! Les femmes sont doublement concernées, en tant que principales employées du secteur public et principales utilisatrices de services sociaux.

Baisse des effectifs du secteur public et des rémunérations

Plus d’une quinzaine de pays européens ont mis en place de telles mesures. Fin 2010, le Parlement européen note que « le chômage féminin risque d’augmenter de manière disproportionnée du fait des coupes budgétaires annoncées dans le secteur public, étant donné que les femmes sont employées de manière particulièrement importante dans l’éducation, la santé et les services sociaux ».

La fonction publique est en effet très largement féminine. Au Royaume-Uni, les femmes représentent 65 % des employés du secteur public et elles supporteront l’essentiel des 400 000 suppressions de postes annoncées. Il a été estimé que sur les 8 milliards de livres Sterling d’économies réalisées à travers des mesures sur la fiscalité et la protection sociale, 70 % seront prélevés dans les poches des femmes (1).

En France, un fonctionnaire sur deux n’est pas remplacé lors de son départ à la retraite. Sur la période 2008-2012, cela équivaut à la suppression de 150 000 équivalents temps plein dans la fonction publique d’Etat et se traduit par des embauches moins nombreuses. L’Education nationale et l’action sociale embauchaient beaucoup de jeunes femmes diplômées. De fait, entre début 2008 et début 2011, le taux de chômage des femmes de moins de 25 ans a fortement augmenté (+7,2 points), sensiblement plus que celui des jeunes hommes (+ 4,5 points). Les jeunes femmes devraient pourtant en théorie tirer avantage de leur meilleure formation pour leur insertion professionnelle.

Outre la réduction des postes, les fonctionnaires subissent des baisses de salaires dans une dizaine d’Etats, qui vont jusqu’à 25% en Roumanie, au Portugal ou en Grèce. En France, leur rémunération a été gelée.

Rabotage de la protection sociale et des services sociaux

Partout en Europe, les budgets de protection sociale subissent des réductions drastiques : diminutions des allocations chômage, allocations sociales, aides aux familles, allocations maternité, prestations aux personnes dépendantes, etc. De même, les réductions frappent des services essentiels tels que la garde d’enfants, les services sociaux, la santé. En France, de nombreuses classes de maternelles, des maternités et des centres d’IVG ont fermé. Alors que le nombre de personnes dépendantes s’accroît, les budgets qui y sont consacrés stagnent ou sont amputés.

Ces coupes dans la protection sociale et les services de soins concernent plus particulièrement les femmes, dans la mesure où elles assument toujours le rôle de responsables principales de la famille.

Les femmes se trouvent obligées d’assurer les services dont l’Etat se désengage, ce qui accroît leurs difficultés à mener de front vie familiale et professionnelle. La charge accrue du travail non rémunéré dans la sphère privée se fait au détriment de leur emploi, renforce les inégalités de genre dans le marché du travail et dans l’usage du temps, comme le constate l’European Institute for Gender Equality.

En France, la réforme sur la dépendance prévue en 2011 a été reportée à 2012, du fait du plan de réduction des déficits. Il y avait pourtant urgence à agir car la situation actuelle est intenable, en particulier pour les aidants familiaux des personnes dépendantes, des femmes pour les deux tiers. Celles-ci assument une charge très lourde (2), qui les pénalise dans leur emploi (passage à temps partiel ou retrait de l’emploi) et affecte leur santé (épuisement physique et nerveux).

Situation intenable aussi car de nombreuses personnes dépendantes sont en situation de pauvreté… et la suppression en novembre 2011 de l’indexation des prestations sociales sur l’inflation programme une baisse de leur niveau de vie !

Attaques sur les retraites

Presque tous les pays européens ont initié récemment des réformes de retraite. La tendance générale est à la privatisation des pensions et au renforcement du lien entre montant des cotisations versées et montant de la pension. Ce renforcement découle du recul des mécanismes correcteurs (bonifications liées à la prise en charge des enfants, seuil minimum pour les pensions,…) qui avaient une fonction de redistribution et atténuaient les effets négatifs pour les femmes de leur investissement vis à vis des enfants.

Partout la pension moyenne des femmes est inférieure à celle des hommes ; elle est souvent faible du fait de carrières interrompues, à temps partiel ou de bas salaires. Les mécanismes correcteurs sont insuffisants puisque l’inégalité entre femmes et hommes se retrouve amplifiée lorsque l’on passe des salaires aux pensions. En France, la pension moyenne des femmes, tout compris, ne représente que 62% de celle des hommes (3), alors que leur salaire moyen représente 80% de celui des hommes. Or ces mécanismes correcteurs sont en recul. Le renforcement du lien entre cotisations versées et montant de la pension signifie une pénalisation globale des femmes.

La baisse des pensions aura pour conséquence d’exposer davantage de femmes encore à la pauvreté. La Commission européenne note que « la paupérisation menace les retraités, et que les femmes âgées constituent un des groupes les plus exposés au risque de pauvreté ». Ce risque, élevé pour les plus de 65 ans, est significativement plus fort pour les femmes que pour les hommes (22% contre 16%).

La tendance est également à aligner l’âge de départ des femmes sur celui des hommes dans les pays où il existe une différence, et à geler ou diminuer les montants des pensions.

La réforme menée en France en 2010 amplifie la régression en cours (4). Les femmes ayant en moyenne plus de difficultés que les hommes pour atteindre la durée de cotisation exigée, tout allongement de cette durée les touche de manière disproportionnée. Une proportion beaucoup plus forte de femmes que d’hommes devra prendre sa retraite à un âge plus tardif (avec les difficultés notoires d’emploi des seniors) ou subir une décote plus forte sur leur pension. De même, le recul de l’âge du taux plein (sans décote) de 65 à 67 ans concerne au premier plan les personnes ayant des durées de cotisation insuffisantes (en majorité, des femmes), qui attendent souvent 65 ans pour éviter de subir la décote très pénalisante.

Mentionnons encore les budgets des politiques d’égalité entre les femmes et les hommes, qui ont été les premiers à passer à la trappe dans différents pays, comme le note le Parlement européen. En France, de nombreuses associations de femmes ont vu leur subvention baisser jusqu’à 30 % en trois ans, avec de graves conséquences dans l’hébergement d’urgence ou l’aide alimentaire.

Les politiques égalitaires constituent une partie de la solution

Cet éclairage sur les effets de la crise sur les femmes porte quelques enseignements. D’abord, l’évidence qu’aucune politique ne devrait être décidée au niveau national ou international sans analyse préalable de ses effets sexués. C’était un engagement des Etats lors de la 4e Conférence mondiale des femmes de Pékin en 1995… inappliqué.

De même, les programmes des partis politiques comme les propositions portées par le mouvement social devraient systématiquement intégrer la dimension de genre et l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes. Non seulement parce qu’il s’agit d’une exigence de justice sociale, mais parce que les politiques en matière d’égalité constituent une partie de la solution pour sortir de la crise.

Remonter à l’origine de ce qui conduit aux inégalités de genre permet en effet de prendre conscience de l’importance de tout ce pan de l’activité humaine, jusque-là assurée essentiellement par les femmes, qui concerne l’économie du soin : travail invisible et gratuit réalisé dans la sphère privée, et travail sous valorisé dans la sphère publique. Analyser l’impact de l’austérité sur les femmes et les groupes les plus défavorisés rappelle l’importance pour le bien-être collectif de l’existence d’une protection sociale et de services publics de qualité. Alors qu’ils nécessitent d’être développés (crèches, structures d’aides aux personnes dépendantes etc.), ils sont attaqués de toutes parts. Or, ces secteurs représentent un potentiel énorme pour une croissance tournée vers les besoins sociaux.

L’austérité n’est pas inéluctable (5). Les contraintes mises en avant par les gouvernants (pressions exercées par les marchés financiers, etc.) pour la justifier sont certes bien réelles. Mais ce ne sont pas des lois naturelles. Ce qui a été construit peut être déconstruit et la crise est l’occasion de redéfinir le modèle de société et de transformer profondément les modes de production et de consommation.

Christiane Marty

(1) Rapport de la CSI, mars 2011.

(2) « Prise en charge de la dépendance : un double enjeu pour les femmes » 2011- Christiane Marty- http://gesd.free.fr/enjeu2f.pdf

(3) Drees, chiffres de 2004.

(4) Voir notamment « Retraites, l’heure de vérité » Syllepse 2010. Coordination JM. Harribey, P. Khalfa, C. Marty.

(5) « Le piège de la dette de la dette publique », Attac, Editions Les liens qui libèrent, avril 2011.
« Le manifeste d’économistes atterrés », Les liens qui libèrent, 2010.


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