Monde Hongrie : «Viktor Orban porte aussi atteinte aux libertés des femmes »

Zita Gurmai au Parlement européen

Zita Gurmaï est députée européenne hongroise, présidente du parti socialiste européen femmes et secrétaire nationale aux droits des femmes pour le parti socialiste français. Elle a répondu à nos questions concernant la nouvelle Constitution hongroise et les dérives jugées liberticides et anti-démocratiques du Premier ministre Viktor Orban.

Zita Gurmai au Parlement européen

Zita Gurmaï © Parlement européen

Une nouvelle Constitution est entrée en vigueur en Hongrie le 1er janvier dernier. Comment la qualifiez-vous ?

En quelques mots, c’est une Constitution qui n’était pas nécessaire, contrairement à ce que dit le gouvernement. Ce texte, rétrograde et conservateur, a été rédigé et adopté dans l’urgence en avril 2011, sans concertation nationale. Et quand on y ajoute toutes les mesures adoptées depuis, il menace l’Etat de droit et l’équilibre des pouvoirs.

Le gouvernement s’est servi de sa majorité des deux tiers au Parlement pour adopter une Constitution qui ne sert que les intérêts du Fidesz, le parti au pouvoir.

Cette dernière et les lois adoptées depuis portent atteinte notamment à la liberté religieuse et à la liberté de conscience. En ne reconnaissant qu’un petit nombre de religions, en faisant référence très explicitement à l’héritage chrétien de la Hongrie, et en faisant de la chrétienneté une valeur constitutionnelle.

En limitant le mariage à une union entre un homme et une femme, la nouvelle Constitution atteint également la liberté des minorités sexuelles.

En outre, en gravant une série de lois dans le marbre de la Constitution – concernant, par exemple, la politique fiscale –, elle rend tous changements futurs presque impossibles sans une majorité constitutionnelle d’au moins deux tiers et menace ainsi l’alternance politique.

Enfin, en ouvrant la porte à une possible interdiction de l’avortement et de l’usage de la pillule du lendemain, les textes mettent en péril le droit des femmes à disposer de leur corps.

Surtout cette Constitution et ces dizaines de nouvelles lois, portent atteinte, entre autres, à la liberté de la presse, à l’indépendance de la justice, à celle de la banque centrale, ainsi qu’à la protection des données.

Ces nouvelles mesures s’accompagnent de la nomination de proches du Fidesz à tous les niveaux de l’administration et au sein d’institutions censées êtres indépendantes. Tout cela remet en cause les fondements mêmes de l’Etat de droit et de la démocratie.

Le Fidesz, mouvement de jeunesse fondé en 1988 opposé au parti unique, est devenu, sous l’impulsion de Viktor Orban, un parti nationaliste et réactionnaire. Pensiez-vous qu’il irait jusqu’à remettre en cause la liberté de la presse, les droits fondamentaux des femmes, etc. ?

Non, une telle évolution du Fidesz n’était pas prévisible. Viktor Orban est une personnalité singulière, mais il était difficile d’anticiper qu’une personne ayant lutté, au début de sa carrière politique, contre la dictature et pour la défense des libertés fondamentales, prenne, une fois au pouvoir, un virage opposé, mettant en danger ces mêmes valeurs.

Car au-delà de toutes considérations politiques ou idéologiques, c’est la défense de nos valeurs fondamentales communes qui fondent cette critique du gouvernement actuel.

Parmi les principes de la nouvelle Constitution, il est inscrit que « La vie du fœtus doit être protégée dès sa conception ».  Ne s’agit-il pas là d’une claire remise en cause du droit à l’avortement, légal jusqu’à 12 semaines en Hongrie ?

Je pense en effet que c’est très inquiétant. Si pour l’instant cela n’a abouti à aucune décision ou législation précise, ce passage de la nouvelle Constitution laisse clairement la porte ouverte à une possible remise en cause du droit à l’avortement.

Une fois sollicité, le Conseil constitutionnel n’aurait pas d’autre possibilité que de l’interdire, tout comme l’usage de la pillule du lendemain.

En juin dernier déjà, le gouvernement avait utilisé des fonds européens pour une campagne d’affichage destinée à promouvoir l’adoption et à décourager l’avortement, ce qui avait d’ailleurs provoqué une vive réaction de la Commission européenne et in fine le retrait de ces affiches.

En général, on observe depuis plusieurs années en Hongrie un durcissement du discours visant à réinstaller la femme dans un rôle traditionnel de mère au foyer.

Que pensez-vous de la référence explicite à la religion que comporte la nouvelle Constitution ?

C’est très représentatif de ce qu’essaie de faire Viktor Orban et son parti. A savoir jouer sur la fibre nationaliste et populiste, et protéger la Hongrie, et notamment la « Grande Hongrie » – incluant les populations déplacées suite aux deux guerres mondiales et au Rideau de fer –, des attaques extérieures.

Cette tendance, qui n’est pas spécifique à la Hongrie et apparaît dans d’autres partis populistes et nationalistes en Europe, est dangereuse et irresponsable. D’autant plus lorsqu’on compare le double langage tenu par Viktor Orban, selon qu’il est à l’étranger ou en Hongrie.

Comment ont réagi les associations qui luttent pour les droits des femmes, comment s’organisent-elles pour se faire entendre ?

Les associations sont bien évidémment très inquiètes. Le société civile étant sous-financée en Hongrie, la situation des associations féministes n’est pas rassurante, mais elles font un travail extraordinaire malgré tout.

Elles organisent des conférences, des manifestations, elles essayent de faire entendre leux voix.

Il faut noter que le féminisme étatique et obligatoire du système communiste a parfois aujourd’hui un effet démobilisateur sur les femmes hongroises. Et c’est une deuxième difficulté à surmonter.

Les associations et les partis démocratiques de l’opposition sont en train d’informer les Hongroises que le gouvernement – tout en prétendant le contraire – prend clairement des mesures en leur défaveur.

La majorité des femmes en Hongrie sont favorables à l’égalité des genres et des libertés des femmes, celle de l’IVG comprise.

Propos recueillis par Caroline Flepp – EGALITE

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