Économie Licenci’elles : des licenciées des 3 Suisses contre les licenciements boursiers
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Devant la Bourse du travail à Paris, le 5 avril 2012.
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Suite à la décision des 3 Suisses de supprimer ses boutiques pour se concentrer sur la vente par internet, 149 salariées ont été licenciées en janvier dernier (*). 79 d’entre elles ont choisi d’accepter les conditions de licenciement de l’entreprise de vente à distance. Les 70 autres licenciées ont déposé un recours devant les Prud’hommes pour faire reconnaître la nullité du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et l’absence de justification économique. L’audience est prévue le 5 juillet.
Le 5 avril, elles manifestaient à la Bourse du travail à Paris pour sensibiliser à leur sort.
Six salariées et ex-salariées ont créé l’association Licenci’elles, dont le but est d’aider les femmes victimes de licenciements boursiers.
Marie-Christine Lecomte, 42 ans, licenciée après treize ans de maison, secrétaire de l’association, a répondu à nos questions.
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Comment a démarré votre mouvement ?
Nous avons été licenciées fin janvier par une entreprise qui fait partie d’un groupe qui fait d’énormes bénéfices. Le groupe fait 681 millions d’euros de bénéfices.
Depuis janvier, nous sommes en lutte parce que nous estimons que ce PSE [plan de sauvegarde de l’emploi] n’avait pas lieu d’être.
Notre employeur a profité de la situation parce que nous sommes des femmes et que c’est beaucoup plus facile. De plus, nous étions réparties dans des boutiques sur toute la France.
Déjà en 2009, 850 personnes, en majorité des femmes des centres d’appel, ont été licenciées. Personne n’a rien dit. Depuis 2003, nous avons recensé un plan tous les trois ans, et tout passe facilement.
Selon une déléguée du personnel encore en poste, il est clair qu’une prochaine délocalisation des centres d’appel est prévue. Nous nous battons aussi pour eux parce que la machine à licencier est en route.
Alors que l’on nous a toujours félicitées pour notre travail, du jour au lendemain, parce que le choix de stratégie s’est posé sur autre chose et parce que les actionnaires ont décidé d’arrêter une activité, on se passe de nous.
Qu’est-ce qui a motivé la création de l’association Licenci’elles ?
Avant même que le PSE soit accepté, on nous a proposé une transaction : entre 3 et 10 mois de salaires selon l’ancienneté si l’on s’engageait à ne pas saisir les Prud’hommes.
On nous a présenté cette transaction dans des hôtels à Paris, Marseille, Lyon et Nantes. Nous avons été reçues les unes à côté des autres, sans aucune confidentialité. C’était difficile, notamment pour une collègue de 56 ans, qui a été licenciée après 35 ans d’ancienneté et qui allait très mal.
Humainement, la situation était très difficile à vivre, avec un manque de respect total. Cela nous a donné des ailes pour dire que nous n’acceptions pas d’être traitées comme ça.
Nous avons rencontré beaucoup de femmes dans des situations similaires : à l’usine Lejaby de Rilleux-la-Pape, à Paru Vendu, à Sodimédical, où les salarié-e-s n’ont pas reçu de salaires pendant sept mois…
L’objectif premier de Licenci’elles et d’aider les femmes qui luttent contre les licenciements économiques dans les entreprises ou les groupes qui font des bénéfices. Nous allons leur fournir une aide, parfois une aide juridique, et leur faire partager notre expérience.
Notre public est féminin parce que nous avons rencontré beaucoup de femmes, mais aussi parce que les conditions de licenciement des hommes ne sont pas les mêmes. J’ai par exemple rencontré les salariés de Goodyear d’Amiens, et il est évident qu’ils ne sont pas traités de la même manière. Quand un PSE est mis en place, les directions savent qu’avec les hommes elles vont avoir à faire face à un mur, les hommes vont brûler des pneus…
Nous, nous avons manqué d’expérience. Je n’avais pas assez de recul, ma collègue déléguée du personnel n’avait que quatre mois de mandat. Mais ce que l’on a vécu pendant ce PSE a été un bon apprentissage de la vie que nous allons mettre au service des autres. On aura d’autres façons de faire, mais il y a des moyens pour lutter contre ces licenciements boursiers.
Quelle est la suite des événements ?
Nous allons défiler pour le 1er Mai !
Nous avons d’autres projets, mais les dates ne sont pas encore définies, car notre éloignement géographique ne rend pas les choses faciles. Une action est prévue avant les législatives.
Notre mouvement est très récent mais il prend de l’ampleur. Nous avons aujourd’hui une centaine d’adhérent-e-s et un noyau dur très déterminé.
Pour l’instant, nous nous concentrons sur les réseaux sociaux et nos futures actions. Mais nous nous associerons à d’autres mouvements et sans aucun doute des mouvements de femmes.
Parce que nous avons vécu des conditions de licenciement dégradantes, liées pour beaucoup au fait que nous soyons des femmes. Et parce qu’en période de crise, on estime que ce n’est pas si grave si on licencie les femmes.
Une journaliste m’a demandé pourquoi je faisais ça, que nous n’avons rien à attendre de ce mouvement… Je réponds qu’aujourd’hui je lutte pour une cause. Que si je ne croyais pas en cette cause, j’aurais accepté la transaction que me proposait mon employeur.
Vous avez été reçues par Jean-Luc Mélenchon le 13 février dernier, vendredi vous le serez par Arnaud Montebourg. Qu’attendez-vous de ces soutiens ?
Les changements de lois passent par les politiques, la vie de l’entreprise passe par la politique. Il faut que les lois changent, notamment concernant les licenciements boursiers.
Nous avons envoyé individuellement des courriers au Président de la république, dont les services nous ont renvoyées vers les préfets. Mais nous n’avons eu aucun écho.
Aujourd’hui, les salarié-e-s sont obligé-e-s de lutter pour dire « non, nous n’acceptons pas ce PSE ou cette liquidation, l’entreprise ou le groupe fait des bénéfices ! ». On ne devrait pas en être là ! Je ne comprends pas que l’on soit obligé d’être dans une lutte perpétuelle.
Jean-Luc Mélenchon nous a dit : « Venez ! Vous allez discuter avec des gens qui vivent la même situation ». Ces rencontres nous ont montré que nous n’étions pas isolées, que les choses n’étaient pas simples, mais qu’il fallait aller jusqu’au bout.
Nous attendons beaucoup de l’échange de vendredi avec Arnaud Montebourg, qui nous a contactées après notre manifestation devant la Bourse du travail le 5 avril.
Ce sont nos élus et c’est par leur biais que les lois peuvent changer. Nous sommes dans une insécurité économique totale ! Je ne veux pas que mes enfants aient à vivre ça !
Par ailleurs, j’ai une fille, je trouve que les conditions des femmes sont terribles ! La parité n’en parlons pas, elle n’existe que dans les livres… Sur ces sujets-là aussi, il faudrait que les lois changent.
Propos recueillis par Catherine Capdeville – EGALITE
(*) 250 personnes, en comptant les licencié-e-s du siège.
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