Chroniques La panthère au bureau de vote

Pour qui a l’âme un tant soit peu civique et militante, cette période a été dense. Quatre journées d’élections en deux mois pour les volontaires du dimanche, cela en fait des heures « de garde » au bureau de vote à feuilleter les registres et tamponner des cartes !

Mais pour qui aime observer, ce poste de faction est un véritable régal…

On peut faire les poubelles du bureau de vote pour estimer la coloration des bulletins abandonnés et faire ainsi des sondages amateurs. On peut noter l’air sérieux des électeurs, malgré le côté décontracté de leur tenue dominicale.

Certain-e-s en profitent pour faire un brin d’éducation civique aux enfants. D’autres pour sortir la mamie. Ou échanger brièvement avec des voisins qu’ils soupçonnent de soutenir le camp adverse.

Mais les plus intéressants parmi les électeurs, ce sont les électrices. En féministe obstinée, je me suis appliquée, pendant les heures où j’ai tenu le bureau de vote, à appeler chacune par « son nom », dit de jeune fille, suivi de ses prénoms, un point c’est tout.

A toutes celles, nombreuses, qui s’étonnaient de cet état-civil tronqué, j’ai expliqué que leur nom de jeune fille était en fait leur seule vraie identité permanente.

Beaucoup se sont extasiées d’être ainsi appelées d’un nom qu’elles avaient presque oublié : le temps d’un instant, elles retrouvaient leur jeunesse, peut-être même leur liberté. D’autres, perplexes, me demandaient comment signer.

L’une d’entre elles a même espéré en chuchotant pouvoir cacher ce petit plaisir volé à son mari, occupé plus loin à pontifier.

Le bureau de vote : lieu improbable du plaisir d’un instant, et d’une prise de conscience.

Mon co-assesseur – très conservateur – a tenté de m’obliger à énoncer l’état-civil « complet » des « dames » avant de les autoriser à glisser le bulletin dans l’urne. Ma détermination militante a eu raison de son calme poli…

Mais immanquablement, à cours d’argument, il m’a qualifiée d’hystérique.

C’est bien connu : dès qu’une femme tient tête à un monsieur, surtout sur son territoire, c’est qu’elle hyperventile de l’utérus…

Danielle Michel-Chich

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