Articles récents \ Chroniques Chronique de Félicité: basta les beautiful bastard !

 
Je suis à la bourre, je dois prendre le train, mais je n’ai rien à lire. J’ai oublié Fiodor chez moi. C’est grave, grave. Un trajet en train sans livre, c’est comme un baiser sans moustache dirait ma grand-mère. Je me précipite au Relay, il me reste trois minutes pour choisir et je vois ce titre Beautiful Bastard, je me dis tiens c’est peut-être un livre distrayant, où on dit du mal des mecs et où il y a plein de scènes de sexe torride. Dans le train, de toutes façons on a le droit de lire des conneries. Et puis ça me changera de Dostoïevski.
Horreur, malheur. C’est en effet un livre « érotique ». Croyez moi, je n’ai rien contre les livre érotiques, mais contre celui-ci oui. Alors, je vous dis tout : c’est l’histoire, d’une banalité inouïe, entre une stagiaire jeune et jolie et son boss idem, tous deux en prise avec un « désir obsédant, dévastateur (…) ». Ils ne pensent qu’à une chose: se posséder.
Quel ennui, mais quel ennui. Bonjour les stéréotypes. Elle, l’employée exécutive woman, lui le patron, brillant. Patron odieux, mais magnétique. Pas grave, comme chacun sait, le désir rend fou. Alors ça commence : la baise sur le bureau, dans les escaliers, dans les ascenseurs. Pfutt, ils ne pourraient pas faire un effort, le coup de l’ascenseur, on l’a vu mille fois. Je ne sais pas moi, un peu d’imagination que diable, allez baiser dans un chantier, une église ou un bus. Ils n’ont pas encore pris l’avion ensemble, sinon aurait sûrement eu droit à une scène de baise dans les toilettes des premières classes.
La jeune femme est libre, ambitieuse, mais elle est accro. S’installent alors entre eux des rapports de force, c’est à celui qui va emmerder l’autre à qui mieux mieux. On s’endort lors de la description des rapports sexuels, le comble du déjà vu, on soupire quand il lui arrache et déchire sa petite culotte (the classique). Remarque, le mec il est classe, il lui rachète des tonnes de culotte Aubade. Elle doit avoir un budget culottes conséquent d’ailleurs, car elle porte toujours des supers sous-vêtements. Peut-être qu’aux USA la petite culotte coton simple n’existe pas ? En tous cas, pour une stagiaire, elle doit être bien payée.
Bref, je m’égare. Tout ce que les féministes et les personnes sensées peuvent détester en termes de rapports de force hommes/femmes est là. Monsieur a la pouvoir, mais elle pas. Madame perd la tête elle n’aime pas ça, car c’est quand même un salaud, mais elle n’y peut rien. On continue en espérant un peu de scènes sado-maso, pour se réveiller un peu, qu’ils s’accrochent aux barreaux ou n’importe où, je sais pas moi, un peu d’imagination… même pas. Tout cela est très conventionnel : si il n’y a pas les verbes gémir ou jouir une fois toutes les deux pages, je mange mon chapeau. Et non, ne rêvez pas, on n’aura pas le piment de la sodomie, du triolisme, des partouzes, faut rester politiquement correct. Mais je suis injuste : il faut peut-être attendre le second tome prévu, car le bouquin se vend à des milliers d’exemplaires, donc il y aura forcement une suite.
Que c’est bon, la musique des mots qui parlent d’érotisme, de sensualité, de désir, de plaisir mais faut croire que ça doit être difficile à décrire. Dans ce livre en tous cas, car la bite de monsieur, un moment ça va, mais au bout de 100 pages, on en a marre, on craque : « oh, prends- moi je deviens folle, je la veux, prends-moi » etc, etc, etc. Une seule solution la pénétration, pardon la révolution, on brûle tout.
Songeuse, je me demande bien qui peut lire ce genre de bouquins et c’est ça le plus affligeant. «  Un duel amoureux à dévorer d’urgence, on attend la suite » commentent certains journaux français ; donc ça plaît.  Il est même en tête des meilleures ventes et il a été publié dans une quinzaine de pays. Il faut croire que les gens s’ennuient et adorent les rapports de pouvoir, ça les fait fantasmer.
J’ai une pensée émue pour certains écrivains géniaux qui ont réussi à décrire leurs fantasmes délicieusement et que personne ne connaît car ils ne sont pas en tête de gondole…
Quand je pense que j’ai encore 200 kilomètres à parcourir! Je crois que je vais rentrer dans les ordres,  me remettre à lire feu Régine Desforges, au moins elle savait écrire ; ou alors je me remets directement au marquis de Sade, tant qu’a faire !
 
Emmanuelle Barbaras 50/50
Beautiful bastard. Christina Lauren. Ed. Hugo Roman. 2013

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