Articles récents \ Monde VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES AU TRAVAIL : UN PAS EN AVANT AVEC L'OIT ?

Les violences sexistes et sexuelles au travail constituent un fléau mondial. L’organisation Internationale du Travail( OIT) se penchera bientôt sur cette question.Très longtemps , les organisations onusiennes sont restées muettes sur les violences mais la situation semble évoluer. Des avancées fondamentales ou de simples appuis pour les femmes en lutte pour leurs droits ?

Partout, dans leur vie, les femmes subissent des violences : dans leur foyer comme au travail. On estime qu’au moins une femme sur trois dans le monde entier a Žété contrainte ˆà des relations sexuelles, battue ou maltraitéŽe au cours de sa vie. La violence est la principale cause de décès et d’incapacité des femmes âgées de 15 à 44 ans. Comme le dit F. Héritier, «  les violences qui frappent les femmes ne sont pas des phénomènes récents mais relèvent d’un modèle universel de domination masculine »
Si la lutte contre les violences conjugales s’organise un peu partout, il n’en est pas de même pour les violences sexistes et sexuelles au travail qui restent trop souvent tolérées.
Les violences au travail prennent différentes formes : menaces, harcèlement, violences physiques et sexuelles. Les données dont on dispose montrent bien l’étendue du problème. Ainsi, il ressort d’études concernant l’Asie et le Pacifique que 30 à 40% des travailleuses indiquent avoir subi une forme ou une autre de harcèlement verbal, physique ou sexuel. De la même façon, dans les pays de l’Union européenne, 40 à 50% des femmes sont victimes de violences sur leur lieu de travail : avances sexuelles, contacts physiques non désirés, autres formes de harcèlement sexuel. En France, une enquête de l’Insee (2008) indique que près de 5% des viols commis sur des femmes âgées de 18 à 59 ans l’ont été sur le lieu de travail, soit 34 viols commis chaque jour dans nos entreprises. Une salariée sur quatre a souffert de gestes déplacés non désirés.
Vers une prise de position de l’OIT ?
Malgré le caractère massif des violences sexistes et sexuelles sur le lieu de travail, seuls quelques pays assurent aujourd’hui une protection et des politiques adéquates. Lors de sa session du 30 octobre au 13 novembre prochain, le CA de l’OIT va décider si elle doit préparer une Convention internationale contre la violence sexiste et sexuelle au travail. En effet, il n’existe pas de convention internationale spécifique. L’OIT est un organisme onusien tripartite. Ses décisions dépendent des gouvernements, des syndicats et des représentant-e-s du patronat qui y siègent. Or, si les syndicats français CGT et CFDT soutiennent ce projet, ce n’est pour l’instant pas le cas du gouvernement français ni des employeurs. C’est pourquoi Peuples Solidaires-ActionAid France, la CFDT et la CGT  ont lancé une pétition (1) appelant le gouvernement français et le MEDEF à s’exprimer lors du prochain CA de l’OIT en faveur d’une Convention internationale sur les violences sexistes et sexuelles au travail.
Un combat très difficile
Lutter contre les violences faites aux femmes au travail est extrêmement difficile car celles-ci sont trop souvent tolérées et socialement acceptées. De plus, certaines formes de ces violences au travail (surtout les violences sexuelles) sont si taboues que tout le monde – y compris les victimes – garde le silence. La peur est grande et la honte persistante.
Toutes les femmes peuvent être victimes de violences au travail mais certains groupes sont particulièrement vulnérables comme les travailleuses migrantes, les homosexuelles, les femmes issues des peuples autochtones….
Les victimes tentent de s’en sortir seules, le plus souvent au prix de leur santé, et de leur évolution professionnelle, d’autant qu’elles se heurtent au déni, à un malaise général et à la collusion masculine devant les dénonciations. Le recours à l’aide du médecin du travail est très rare. Les syndicats, souvent faibles, sont peu ou mal formés à ces problèmes et sont donc peu offensifs. Dans les rares pays où elles existent, les associations féministes qui accompagnent ces femmes sont trop peu nombreuses.
En France, seulement 1000 plaintes pour violence sexuelle au travail sont déposées tous les ans auprès d’un juge pénal. Les victimes peuvent bien sûr aller aux prud’hommes, mais les femmes y sont sous-représentées (80 % d’hommes y siégent). Les syndicalistes, les juges prud’homaux, les dirigeant-e-s ne savent pas où placer la frontière entre le sexisme ordinaire et le harcèlement sexiste ou sexuel, malgré une définition aujourd’hui plus claire du délit. Et même si le harceleur est sanctionné, les femmes prennent le risque d’être licenciées parce qu’elles auront mis la pagaille dans l’entreprise.
Les conventions et les résolutions onusiennes sont-elles utiles ?
À l’évidence, il est donc urgent que l’OIT élabore une convention spécifique sur les violences sexuelles au travail, pour qu’au moins ce sujet sorte de l’ombre, au-delà du traitement général par le suivi de l’application des normes existantes en matière d’égalité entre femmes et hommes. En effet, si certaines normes de l’OIT traitent des violences, y compris le harcèlement sexuel au travail, les  violences au sens large, sur les lieux de travail ne sont pas encore totalement prises en compte.
Les conventions onusiennes ne sont que des points d’appui car elles ne sont pas contraignantes et restent lettre morte si les Etats n’ intègrent pas leur contenu dans leurs lois, surtout lorsqu’il s’agit de lutter contre le sexisme. Dans les pays, encore très nombreux, où les syndicats et associations féministes sont faibles ou inexistantes, ce type de convention a peu de chance d’être ratifié, car depuis toujours, ce sont les femmes, en s’organisant, qui ont fait avancer leurs droits.
OIT 1
Faut-il pour autant ne prêter aucune attention aux conventions  de l’OIT ? Un bon exemple de la complexité de ce débat est illustré par les retombées de la convention sur les droits des travailleurs domestiques de 2011. Dans ce secteur où 90 % des emplois sont occupés par des femmes, les droits sont souvent inexistants. Sans surprise, cette convention entrée en vigueur en 2013 n’a été aujourd’hui ratifiée que par 20 pays sur les 185 États membres. L’efficacité est donc bien faible ! Il n’en reste pas moins vrai que la lutte pour sa ratification est en cours dans un certain nombre de pays. Au Brésil, les syndicats de ce secteur mènent des luttes depuis longtemps. La présence de nombreuses travailleuses domestiques dans la délégation de la CUT en 2011 a été déterminante et les fortes mobilisations qui ont suivi ont abouti à une occupation du Congrès, ouvrant la voie en 2012 à un amendement constitutionnel accordant à tous les travailleurs-euses de ce secteur les mêmes droits que les autres.
La question des violences faites aux femmes peut-elle avancer grâce aux organisations onusiennes ? Il est clair que l’engagement de ces organisations internationales sur ces questions est encore bien modeste alors que celles-ci constituent un fléau mondial. Il aura fallu soixante dix ans après la création de la Commission femmes de l’ONU pour qu’en mars 2013, après des négociations fort difficiles, émerge un engagement global de l’ONU sur les violences faites aux femmes. Ce texte est considéré par certain-e-s comme une avancée fondamentale car il stipule que les Etats ne pourront plus invoquer la coutume, les traditions et la religion pour légitimer les violences. D’autres, y voient seulement un outil pouvant servir de moyen de pression.
Une convention internationale contre les violences sexistes et sexuelles au travail , digne de ce nom, nécessitera probablement un dure bataille au sein de l’OIT. Sinon, elle risque d’être une coquille vide.
Jacqueline Penit-Soria 50-50
 
1 La pétition a commencé à porter ses fruits. François Rebsamen, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social a récemment annoncé qu’il soutiendrait ce projet de convention.

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