Articles récents \ France \ Politique Chantal Jouanno : «mes collègues du Sénat sont conscient-e-s d’avoir commis une erreur.»
Le 31 mars, après 18 mois d’attente, le Sénat a voté dans le cadre de la loi de «lutte contre le système prostitutionnel» un amendement qui supprime la pénalisation du client et rétablit le délit de racolage passif. Ce n’était pas la position de Chantal Jouanno (UDI), présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat. Entretien.
Le Sénat a voté le 31 mars dernier une loi qui dépénalise les clients et rétablit le délit de racolage passif. Vous attendiez-vous à ce retour de 12 ans en arrière ?
Après les débats de la commission spéciale sur la loi prostitution, je m’y attendais oui. Je souligne que le délit de racolage passif n’est passé qu’à une voix. On a même été obligé-e-s de recompter les votes à la main. Et pourtant le rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat «Situation sanitaire et sociale des personnes prostituées : inverser le regard» paru en octobre 2013 avait été adopté à l’unanimité. Nous sommes déçu-e-s. Les clients sont donc des innocents et les personnes prostituées des coupables ! De plus, dans cette loi la situation sanitaire et sociale des prostitués n’a été que très marginalement améliorée. Et les dispositifs en leur faveur restent très limités.
Quel message avez-vous envie de faire passer à vos collègues du Sénat ?
Ce que je veux leur dire est qu’ils ont tort. La loi votée est un message d’ouverture, un message de tolérance en direction des réseaux de la traite internationale. Très clairement, notre législation n’est plus adaptée. Je pense que la population française attendait autre chose. Le client est complice de la traite, l’argent qu’il donne va directement aux réseaux. C’est tout de même leur argent qui permet aux réseaux de se développer. Je voudrais rappeler que 90 % de la prostitution est sous l’emprise des réseaux de traite. L’argument qui vise à prouver qu’il y a des personnes prostituées qui font le choix d’entrer dans la prostitution ne tient pas. Mes collègues de droite comme ceux de gauche auraient dû avancer sur ce sujet.
Que pensez-vous des personnes prostituées qui demandent qu’on les laisse libres d’exercer ce qu’elles appellent «leur métier» ?
Les personnes prostituées qui manifestent, qui s’expriment dans la rue ou les médias clamant leur libre choix, représentent une très petite minorité. Elles ne sont pas représentatives, leurs positions vont à l’encontre des autres qui n’ont pas eu de choix, qui sont exploitées. Je le répète 90% des prostituées sont étrangères, sans papier, sous l’emprise de réseaux de proxénétisme. Ces femmes-là n’iront jamais manifester, même masquées, car cela mettrait leur vie en danger. On ne peut pas légiférer alors qu’une forte majorité de ces femmes sont bâillonnées.
Pensez-vous que la loi va passer à l’Assemblée Nationale ?
Je pense que la loi va passer à l’Assemblée Nationale . Un certain nombre de mes collègues du Sénat sont venus me voir pour me dire qu’ils étaient conscients d’avoir commis une erreur. Ils se sont dit qu’il fallait se remettre au travail.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
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