Articles récents \ France \ Économie L’IRFED a aidé plus de 7000 femmes à monter leur entreprise en un quart de siècle
Depuis plus de 25 ans, L’IRFED Europe aide les franciliennes à créer leur entreprise. Ce qui n’était au départ qu’une initiative originale sortie de la tête d’un père dominicain afin d’aider les femmes migrantes arrivant sur le marché du travail est devenu au fil des années un acteur reconnu de l’entrepreneuriat féminin.
Durant les années 80, l’IRFED (Institut International de Recherche et de Formation, Éducation, Cultures, Développement) ne s’occupait quasi-exclusivement que des femmes migrantes. L’objectif n’était pas simplement d’apporter un secours aux femmes en terme de survie économique, mais déjà de leur créer un emploi en leur dispensant des formations pour les rendre aptes à créer une entreprise.
En 1990, l’institut s’ouvre à toutes les femmes. Nombre d’entre elles sont filles ou petites-filles d’immigré-e-s et font face à un marché du travail pour le moins peu accueillant. Constat amer de la part de Caroline Bah, directrice de l’institut : «mis à part certaines enseignes où on les embauche car elles ne se plaignent pas, pour beaucoup d’employeurs, une femme noire restait une femme noire.»
De plus en plus de femmes concernées
La plupart des «stagiaires», comme les appelle la directrice, «font face au moment où elles arrivent chez nous à de grandes difficultés économiques, sociales, souvent spécifiquement féminines.» 95% d’entre elles sont au chômage en poussant les portes de l’IRFED pour la première fois. Plus de la moitié d’entre elles sont de Paris ; toutes vivent en Île-de-France. La plupart des entreprises que l’IRFED a «couvées» opèrent dans le secteur marchand.
Depuis quelques années, Caroline Bah constate aussi l’arrivée dans son association d’un nouveau public, «de femmes cadres qui ont la quarantaine, de bons revenus mais souhaitent s’arrêter et créer une entreprise dans l’économie sociale et solidaire, afin de donner plus de sens à leur vie.» Pour la directrice, issue de la solidarité internationale, « je suppose qu’il y a une évolution générationnelle dans le social. Si les femmes de ma génération le vivaient comme une forme d’engagement, c’est moins le cas aujourd’hui. Les accidents de vie, les ruptures et les réflexions poussent de plus en plus de femmes vers les associations d’aide à la création d’entreprise.»
Différents niveaux de formation
Plusieurs formules sont proposées aux arrivantes en fonction de l’avancement de leur projet. Six journées de formation réparties sur cinq semaines pour celles qui n’en sont qu’au stade de l’idée ou de l’envie et qui se posent encore beaucoup de questions, pour aboutir à un projet plus construit de création d’entreprise.
Si la stagiaire souhaite continuer ou a déjà un projet qui tient la route, elle pourra ensuite suivre une formation de six semaines à temps plein pour conduire une étude de marché, établir une stratégie commerciale et un plan de communication, apprendre les bases de la gestion financière et administrative et choisir quelle forme juridique prendra l’entreprise. Ce stage aboutit à la présentation d’un projet devant un jury de professionnel-le-s et parfois d’anciennes stagiaires.
Une dizaine de stages est organisée tous les ans. L’association forme environ 80 femmes par an, mais au total plus de 300 femmes arrivent à l’IRFED chaque année. Au bout d’un an, la moitié d’entre elles auront créé leur entreprise.
Enfin, pour les plus avancées, des formations à la gestion comptable et financière sont proposées. Et des ateliers mensuels sont organisés pour rester en contact avec les stagiaires et leur constituer un réseau. Des femmes passées par l’IRFED s’associent entre elles, par exemple pour organiser des ventes privées ou louer un local pour mettre en place une boutique éphémère, ce qui est fréquent dans les secteurs de la mode, de la décoration ou des accessoires. «On a encouragé la création du collectif Fusion’Ailes» souligne Caroline Bah.
«Ici, on se souvient de qui vient»
L’objet de l’association est bien d’apporter un soutien aux femmes en difficulté, en se mettant au service des stagiaires. Elles sont formées et accompagnées. Pour leur redonner confiance, «on travaille avec une psychothérapeute» souligne la directrice : «on leur offre une autre écoute, on cherche avant tout à leur donner confiance en elles-mêmes.»
Les secteurs d’activités des entreprises créées par les femmes de l’IRFED sont variés. Beaucoup d’entre elles créent des entreprises dans des commerces connotés «féminins», comme l’alimentation, la mode, la création de bijoux, la décoration d’intérieur, la couture, l’esthétique. Mais certaines n’hésitent pas à s’éloigner des sentiers balisés des stéréotypes de genre, puisque d’ex-stagiaires travaillent désormais dans le service informatique, le codage, la production audiovisuelle ou encore… l’animation de jeux de société.
Si l’IRFED s’adresse exclusivement aux femmes, l’institut est tout de même présidé par un homme, Benoît Willot. Est-il féministe ? «Il s’intéresse surtout à la lutte contre la pauvreté et à l’économie sociale et solidaire», répond Caroline Bah. L’IRFED est une structure «à taille humaine» : il y a seulement 3 salarié-e-s. Des consultant-e-s extérieur-e-s interviennent pour les formations.
L’État et l’Europe endettées envers l’IRFED
Et pourtant, la «maîtrise des finances publiques» commencent à peser lourdement sur le destin de l’IRFED : «tout le secteur de la solidarité en prend un coup». L’association est 100% dépendante des financements publics. De plus, le Fonds Social Européen accuse des retards de paiement envers les associations. Certaines banques commerciales n’aident pas non plus les femmes en stage à l’IRFED. La directrice continue pourtant à batailler : «L’IRFED a également du mal à capter les fonds privés de fondations d’entreprises. La concurrence fait rage. Chercher des financements est compliqué et quand vous jouez la survie de votre structure, c’est stressant. Mais si on devait mettre la clé sous la porte suite à des retards de versements de subventions, ce serait déplorable !»
Pour les créatrices d’entreprise, il y a bien des dispositifs d’aide de Pôle Emploi qui existent et les microcrédits de l’ADIE qui peuvent aller jusqu’à 10 000€.
L’IRFED compte aussi sur le soutien de nombreuses bénévoles qui ont été formées par l’association pour mener des actions ponctuelles. Des structures amies donnent des ateliers bénévolement en échange de services rendus. Pour l’instant, l’IRFED se bat pour survivre…
C’est l’éternel dilemme des associations : demeurer à taille humaine ou atteindre une masse critique permettant de devenir un acteur de référence dans un secteur ? Caroline Bah semble plutôt pencher vers une approche humaine et qualitative pour remplir les dossiers de financements européens : «Ici, on ne fait pas de sélection, on aide les stagiaires à comprendre, à monter un projet réaliste. Une chose est sûre, notre rôle n’est pas d’accompagner les filles vers une faillite annoncée.»
En espérant que les pouvoirs publics empêcheront également la faillite de cette structure de formation qui a déjà aidé des milliers de femmes.
Guillaume Hubert, 50-50 Magazine
Image à la Une : Les femmes du collectif Fusion’Ailes (vente de bijoux et d’accessoires) dans les locaux de l’IRFED en mars 2015.