Articles récents \ Culture \ Cinéma Difret ou le courage des Éthiopiennes

Écrit et réalisé par l’éthiopien Zeresenay Mehari et produit par Angelina Jolie, Difret a été présenté au festival de Berlin et récompensé à celui de Sundance en 2014. Les films éthiopiens sont trop rares sur nos écrans pour qu’on les rate, surtout quand ils ont l’intérêt de celui-ci.

Un des pays les plus pauvres de la planète, l’Éthiopie fait rarement parler d’elle dans les rubriques culture de l’actualité et la plupart des occidentaux n’en savent à peu près rien, ni qu’elle a résisté à la colonisation européenne, ni qu’elle est chrétienne depuis 1500 ans (nous verrons qu’il sera question de baptême dans ce récit). Ce beau film nous fait pénétrer au cœur de la société éthiopienne et de ses contrastes entre modernité et archaïsmes, en particulier concernant les rapports femmes/hommes.

Inspiré d’un fait réel, il retrace près de 20 ans plus tard l’histoire de la jeune Hirut dont la vie faillit bien s’arrêter net en 1996 après un enlèvement par un homme qui se voulait « son futur mari », et qu’elle sera amenée à tuer, tradition encore largement pratiquée à l’époque dans certaines zones rurales où le droit coutumier l’emportait sur la loi du pays.

C’était compter sans l’association des femmes avocates éthiopiennes fondée par Meaza Ashenafi, et sans la pugnacité de celle-ci pour faire échapper Hirut à la mort qu’on lui promettait pour avoir défié les traditions.

L’écriture cinématographique de ce drame est plutôt classique et s’il ne présente pas d’originalité formelle pour les cinéphiles (quid de son budget ?), il a pourtant une qualité importante qui est d’être basé sur des regards de femmes actrices de la narration et non faire valoir des actes de leurs partenaires masculins comme tant de super productions occidentales nous les présentent encore bien souvent (1 cf test de Bechdel).

Du nord au sud, les femmes sont donc encore souvent considérées comme des objets sexuels, mais si au nord elles en jouent voire le revendiquent, au sud elles en meurent encore trop souvent ou se trouvent réduites à une forme d’esclavage domestique plus ou moins « consenti ».

Difret raconte sobrement une histoire exemplaire qui a fait date dans le droit de ce pays où avant le procès de Hirut aucune femme n’avait été reconnue avoir agi en état de légitime défense tant la violence masculine à l’égard des femmes se sentait légitime et indiscutable. Ce qui avait pour conséquence que toute femme ayant tué un homme qui l’agressait payait son acte de sa mort pour le prix du sang réclamé par la famille de l’homme, considéré comme la victime quoiqu’il ait pu faire subir à la femme.

La justice pour les femmes 

Dans d’incessants aller/retour entre la modernité de la ville (où les images s’accélèrent) et l’archaïsme des campagnes pauvres où les familles le plus souvent illettrées s’entassent dans une seule pièce et dorment sur la terre battue, le film associe plusieurs points de vue sur la narration. Principalement celui de la jeune Hirut, 14 ans, mutique et déterminée, habitée d’une soif de connaissance et de liberté, et celui de Meaza, sa belle avocate, dont le combat pour que justice soit rendue aux femmes dans le respect des droits humains universels la mène parfois à dépasser les bornes de ce qui semble acceptable pour les mœurs de son pays. En filigrane se dessine aussi la violence des rapports sociaux entre riches et pauvres.

Confrontées à l’injustice, toutes les deux prennent des risques qu’elles pourraient payer de leur vie, Hirut en tuant son agresseur avec son propre fusil lorsqu’elle tente de lui échapper, et Meaza quand elle l’emmène visiter ses parents ou s’attaque au ministre de la Justice pour ne pas faire respecter le droit des citoyennes face aux jugements coutumier, ce qui aura pour conséquence de faire arbitrairement interdire d’exercice l’association, heureusement momentanément.

Face à la violence des hommes qui, armés et à cheval, se mettent à plusieurs pour l’enlever pour que l’un d’entre eux puissent la violer et la demander ensuite en mariage à ses parents, Hirut, aux portes de l’enfance, est seule et fragile. Si son instinct la pousse à se sauver et à se défendre, il lui faudra ensuite tout le temps du procès pour comprendre que son acte est légitime et que c’est la coutume qui fait injustice aux femmes et qu’elle n’a pas à devenir une paria ni à perdre l’amour des siens.

L’arbitraire de la domination masculine (et de classe) s’inscrit aussi dans les rouages du pouvoir et de la justice qui, pour réfuter son jeune âge et disculper son agresseur, fait appel à l’autorité d’un médecin face à la parole de ses parents illettrés qui n’ont pour preuve de son âge qu’un certificat de baptême. Cela n’est pas sans nous rappeler les tests osseux que le pouvoir français fait subir aux jeunes étrangers sans papiers malgré leur peu de fiabilité. C’est dans le regard et le soutien des autres femmes, avocates ou camarades de l’orphelinat, qu’Hirut expérimentera la force que peut donner la sororité et retrouvera petit à petit le sourire, la force d’affronter son destin et la volonté de protéger sa petite sœur de cette coutume barbare.

Après Mustang, Difret est un nouveau film à voir en famille avec des adolescent-e-s afin de nourrir une réflexion sur l’égalité femmes/hommes et sur les obstacles qu’elle peut rencontrer tant dans la survivance d’archaïsmes ancestraux en différents pays du globe que dans la propagation de préjugés sexistes qui infériorisent les femmes. Avec bien sûr au cœur du débat, le droit de chacun et surtout de chacune à disposer de son corps et de sa sexualité sans pressions extérieures d’où qu’elles viennent (médias, droit, religions, familles…) !

Marie Levêque 50-50 magazine

1 Wikipédia : d’après Allison Bechdel (autrice de bande dessinée américaine), ce test vise à démontrer par l’absurde à quel point certains films, livres et autres œuvres scénarisées sont centrés sur le genre masculin des personnages. Sans par ailleurs préjuger de sa qualité intrinsèque, une œuvre réussit le test si les trois affirmations suivantes sont vraies :

  • l’œuvre a deux femmes identifiables (elles portent un nom) 
  • elles parlent ensemble ;
  • elles parlent d’autre chose que d’un personnage masculin.
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