Articles récents \ France \ Société Muriel Salmona : «Les deux espaces où tout est permis sont la famille et la prostitution»

Muriel Salmona est psychiatre, psychotraumatologue et fondatrice de l’association Mémoire traumatique et Victimologie. Elle a récemment publié Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, un excellent ouvrage qui met en pièce les idées reçues, s’attaque au déni, dénonce la loi du silence que notre société continue de transmettre sur les violences sexuelles.

Dans quel but avez-vous écrit ce livre ?
Le but était de concevoir un livre facile à consulter sur des questions que tout le monde se pose sans forcément obtenir les bonnes réponses. Dans ce livre des outils de compréhension sont proposés, des outils très précis que j’estime nécessaires.
Le but était de démonter les stéréotypes, de donner les bonnes informations, de casser les idées fausses car les méconnaissances en ce domaine sont très importantes. Et elles profitent aux agresseurs.
Pour moi, il était également nécessaire qu’il y ait une reconnaissance des victimes des violences sexuelles, de ce qu’elles ont subi et de ce qu’elles vont vivre toute leur vie.
Nous sommes dans une société qui peut considérer qu’une femme pénétrée par 10 hommes dans une cave, à côté des poubelles, est consentante. Dans cette société, contrairement à une victime de vol, une victime de viol est presque systématiquement mise en cause.
J’alerte également sur le problème de santé publique majeur que représentent les violences sexuelles, elles ont un impact considérable sur la santé psychique et physique des femmes. Ces conséquences sont normales, elles sont dues à des atteintes liées au stress extrême. Les victimes de violences sexuelles ont un risque très augmenté de développer en plus d’une souffrance mentale, des troubles cardio-vasculaires, immunitaires, gynécologiques, etc.. Avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance raccourcit en moyenne de 20 ans l’espérance de vie. Des soins spécialisés sont nécessaires qui permettent de réparer les atteintes et d’éviter la plupart des conséquences. Il ne faut pas abandonner les victimes, il faut qu’elles soient reconnues, protégées et prises en charge.
La question de l’inceste est encore tabou en France, comment cela est-il possible ?
50% des mineur-e-s victimes de violences sexuelles le sont à l’intérieur de la famille et 94% par des personnes connues.
En France chaque année, 84 000 femmes et 125 000 filles sont victimes de viol.
En France, chaque année, il y a plus de 60 000 victimes d’inceste.
Au total, dans notre pays, il y a 4 millions de personnes victimes d’inceste !
Les enfants de moins de 6 ans qui subissent un viol dans leur famille vont cumuler les conséquences les plus catastrophiques. Dans certaines familles, les incestes se reproduisent sur plusieurs générations. Un seul agresseur peut impacter une famille sur plusieurs générations. Parfois dénoncer une situation d’inceste fait exploser toute une famille en révélant de nombreuses autres victimes.
Les conséquences  sont terribles : tentatives de suicide, conduites addictives, dépressions … Personne ne s’imagine ce qu’est un viol d’enfant, c’est une torture non reconnue. On le pense en termes de sexualité et non en termes de torture. Les pédocriminels sexuels veulent détruire, le terme de pédophiles est impropre, ils n’aiment pas les enfants.
Mais, comment les jeunes peuvent elles/ils quitter leur famille et être protégés de leur agresseur si le RSA n’est octroyé qu’aux jeunes de plus de 25 ans. Avant cet âge, l’Etat ne prévoit aucune aide permettant d’être autonome.
Pourquoi encore, toujours autant de violences sexuelles ?
D’un côté on ne veut pas croire, pas savoir. Le plus plus simple est de penser que ces violences sont le fait d’étrangers ou de malades. Ensuite, on fait une confusion entre la sexualité et les violences. Les violences sexuelles masculines sont considérées normales, une fatalité, un état de fait. Nous sommes là dans la culture du viol.
La culture du viol affirme : elle a menti, elle l’a provoqué, elle ne s’est pas suffisamment protégée, c’est de sa faute. Elle aime bien ça, mais après elle va porter plainte.
La société banalise, adhère au fait que les hommes auraient des besoins particuliers, ce qui est faux, c’est le fameux «besoin irrépressible des hommes.» La sexualité des femmes est présentée comme passive, il est donc normal de les faire céder. Si on veut continuer à inférioriser les femmes, le meilleure moyen c’est d’exercer sur elles des violences sexuelles ou de les en menacer. Cela permet d’empêcher les femmes de s’émanciper totalement, d’investir l’espace public, d’avoir des postes de responsabilité. C’est une arme de guerre.
La culture du viol c’est aussi l’absence de reconnaissance de l’intentionnalité de l’agresseur : il est comme ça, il est trop amoureux, il ne s’est pas rendu compte.
Rappelez nous ce que dit la loi aujourd’hui ?
Malgré toutes les avancées récentes, avec en 2010, puis en 2015 une meilleure reconnaissance des viols conjugaux, de la notion de contrainte morale et des violences sexuelles incestueuses, la loi reste inadaptée car elle n’que est centrée sur la notion de consentement. Un enfant de 10 ans peut être considéré comme consentant à des actes sexuels avec un adulte, il faudra prouver la contrainte morale si c’est avec un adulte cela ne sera pas considéré comme un viol ou une agression sexuelle mais comme une atteinte sexuelle, et si c’est avec un mineur il n’y aura même pas d’atteinte sexuelle ! Or celui-ci ne devrait pas être pris en compte pour les enfants.
Nous proposons qu’en dessous de 13-14 ans, il n’y ait plus de notion de consentement. Presque tous les pays considèrent qu’en dessous d’un certain âge le consentement n’est pas possible, mais pas en France !
Nous sommes dans le déni de la réalité. C’est la confusion entre violences sexuelles et sexualité.
Dans la loi quand un mineur agresse un autre mineur, il n’y a même pas de notion d’atteinte sexuelle. Il faut changer la loi, on ne touche pas à un-e enfant !
Les médecins sont en première ligne pour dépister et protéger les enfants victimes de violences sexuelles or ils ne sont à l’origine que de 5% des signalements, il faudrait qu’ils soient formés et qu’un-e enfant puisse voir un médecin de lui-même, sans ses parents.

Les violences sexuelles sont présentes dans tous les milieux sociaux et sont avant tout commises par des proches, dans près de 80% des cas pour les victimes majeures et 94% pour les mineures.

Moins de 10% des victimes de viol portent plainte et seulement 1,5% des violeurs seront condamnés.

Si aucune prise en charge n’a été proposée, avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est le déterminant principal de la santé 50 ans après.

Pour 95% des victimes de violences sexuelles, les conséquences sur leur santé sont plutôt importantes à très importante.

Que pensez-vous de la façon dont les médias traient de la question des violences sexuelles ?
Aujourd’hui, les médias relaient un peu mieux les campagnes des associations. Ils s’emparent enfin du problème.
Mais ils véhiculent encore trop la culture du viol et minimisent beaucoup la réalité. Ils continuent encore trop à vendre plus les viols comme de la sexualité.
Pouvez-vous expliquer ce qu’est le principe de dissociation ?
Les violences extrêmes provoquent chez les personnes agressées un mécanisme de sauvegarde exceptionnel qui fait disjoncter le cerveau et entraîne une anesthésie émotionnelle et physique pour survivre : c’est ce qu’on appelle la dissociation traumatique. Les victimes vont apparaître comme détachées, indifférentes, et leur entourage ne va pas ressentir la moindre émotion apparente en face d’elles. Alors lorsqu’elles racontent les tortures subies, elles ne sont pas perçues comme crédibles, ni comme en grand danger.
La disjonction génère également une mémoire traumatique : c’est une mémoire émotionnelle qui n’est pas intégrée, et qui au moindre lien rappelant les violences, va leur faire revivre à l’identique à la victime, lors de flashbacks. C’est une torture sans fin les obligeant les victimes à tout faire pour y échapper ou pour s’anesthésier avec des conduites d’évitement, des addictions, des mises en danger…
La prostitution n’est -elle pas une des plus vieilles, une des plus fortes violences faites aux femmes ?
Oui. La société continue d’accepter qu’on torture une personne dans le cadre de relations sexuelles. Les hommes vont vers les prostituées pour exercer sur elles des violences. La société leur permet de payer pour démolir une femme. La sexualité est une sorte de zone de non droit. La prostitution est un des privilèges que se sont accordés les hommes pour posséder, s’amuser, jouer avec la souffrance. Et c’est pour cela qu’il faut pénaliser l’achat de services sexuels, comme il est prévu de le faire dans la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel que nous soutenons.
Les trois espaces où tout est permis sont la famille, le couple et la prostitution.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
Muriel Salmona Violences sexuelle. Les 40 questions-réponses incontournables. Ed. Dunod. 2015.
Memoiretraumatique

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