Articles récents \ Culture \ Livres Contrecoups : le (prin)temps du souvenir !
Contrecoups, est le très bel album de Jeanne Puchol et LF Bollée. C’est parce que les deux auteur-e-s ont gardé une mémoire douloureuse des événements relatés dans cet album qu’ils se sont associés dans sa réalisation qui leur a demandé deux ans de travail. Le travail de mémoire est un outil majeur de lutte contre les discriminations et les inégalités, remettre en lumière l’assassinat de Malik Ooussekine est particulièrement signifiant à un moment où l’état d’urgence s’éternise et où la lutte contre le terrorisme pourrait facilement en faire advenir de nouvelles.
L’album s’ouvre en questionnant ce qu’aurait pu être l’avenir de Malik Oussekine s’il n’avait eu la malchance de croiser une brigade motorisée de voltigeurs, armés de leurs sinistres bidules. Ils se sont, ce soir-là, acharnés sur lui jusqu’à ce qu’il en meure… Malik avait 22 ans. En 1986, sa vie s’est arrêtée dans le hall d’un immeuble de la rue Monsieur le Prince à Paris, à cause de la violence d’Etat sur laquelle les auteur-e-s nous invitent à nous interroger.
Tout au long des 204 pages, au noir et blanc intense et sobre des dessins de Jeanne Puchol, nous sont relatés des faits qui sont restés dans la mémoire de beaucoup d’ étudiant-e-s de cette époque.
Les auteur-e-s ont ciselé la vraisemblance du récit avec un montage alterné des faits, vécus par leurs différents protagonistes : étudiant-e-s manifestants contre la loi Devaquet, policiers, brigade motorisée des voltigeurs, famille et voisin-e-s de Malik Oussekine, ainsi que les dernières personnes à l’avoir croisé ou secouru, sans oublier les deux médecins légistes qui seront amenés à édulcorer les conclusions de l’autopsie… En contrepoint, les souvenirs de madame Fleury, dont la mémoire brouillée revit la résistance aux nazis.
« La raison d’Etat »
L’angoisse et la colère montent tout au long du récit, non seulement à cause de l’injustifiable mort de Malik, mais surtout parce que l’on voit se mettre en place une « raison d’Etat » qui cherche à excuser la violence de sa police en salissant la mémoire d’un innocent.
Les détails de la vie des différents personnages de cette histoire et les objets qui les environnent nous (re)plongent avec justesse dans l’ambiance de l’époque. Si la gauche était encore au pouvoir avec François Mitterrand à la présidence, c’était sous le contrôle de la droite du RPR avec la première « cohabitation » qui ouvrira une ère de confusion dont nous ne sommes jamais sorti-e-s.
Avec Jacques Chirac premier ministre et Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur, s’effaçaient les velléités d’une gauche émancipatrice, solidaire et antiraciste auxquelles avaient cru beaucoup de jeunes qui avaient contribué à l’élection de Mitterrand en 1981. A l’automne 1986, le projet de loi Devaquet pour l’enseignement supérieur mettra dans la rue les jeunes qui s’y opposèrent en masse.
De nombreux gros plans nous rendent les personnages très présents et ceux des voltigeurs en action nous font ressentir intensément le basculement entre une intervention de maintien de l’ordre public et un dérapage.
Évitant une position manichéiste, nos auteur-e-s ont pourtant imaginé que l’un des voltigeurs, présent dans le hall de l’immeuble où Malik a été roué de coups, reste hanté par les images de cette mise à mort barbare dont il se refuse à dédouaner ses collègues. Les personnages secondaires apportent également de la complexité et de la subtilité au récit, soit par leurs différences de point de vue, soit par leur évolution psychologique au fil des événements.
Une indignation rétrospective
Quand on se rappelle ce qui a été dit ou écrit à l’époque, on éprouve une indignation rétrospective.
Charles Pasqua et son ministre délégué chargé de la sécurité, Robert Pandraud, ont alors suscité une controverse en ne condamnant pas l’action de la police. Robert Pandraud a même déclaré au Monde : «si j’avais un fils sous dialyse je l’empêcherais de faire le con dans la nuit. […] Ce n’était pas le héros des étudiants français qu’on a dit.»
L’extrême droite raciste ne fut bien sûr pas en reste, écrivant le 20 janvier 1988 dans le journal du FN varois : «Des Français comme les Oussekine, on peut s’en passer […]. On se souvient de la mort du petit casseur gauchiste nommé Malik Oussekine. Malgré son état de santé lamentable, il n’avait pas hésité à attaquer en pleine nuit les forces de police chargées du maintien de l’ordre.» Le pouvoir en place a donc bien tenté d’écrire l’histoire à sa manière, et le FN, qui commençait à se développer en France, provoquait grossièrement déjà la haine de l’autre. Suite à la mort d’ Oussekine, Devaquet va démissionner et le bataillon des voltigeurs sera dissous. Jugés pour «coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner», les deux voltigeurs directement impliqués dans la mort de Malik seront condamnés en 1990 à deux et cinq ans de prison avec sursis. L’un sera mis en retraite d’office et l’autre muté…
En 2006, une plaque fut posée rue Monsieur le Prince pour rappeler aux passant-e-s qu’à cet endroit un étudiant de 22 ans avait été frappé à mort 20 ans plus tôt. On la découvre à la fin de l’album, invitation à garder vivante la mémoire du sinistre événement. Malheureusement les commanditaires de cette plaque n’ont pas osé, ou été autorisés, à indiquer de qui étaient venus les coups. Pas plus que sur sa tombe, au Père-Lachaise, où il est indiqué qu’il a été victime du 6 décembre 1986 !
Merci à Jeanne Puchol et LF Bollée de nous éviter l’amnésie sur les circonstances de la mort de Malik que certains préféreraient nous voir oublier, et de nous permettre d’ouvrir le débat sur les violences policières que la France se garde bien de recenser.
Après l’immense mobilisation citoyenne suscitée par la mort de Malik Oussekine, en sa mémoire plusieurs communes ont nommé, une rue ou une place et des universités, un amphithéâtre.
A celles et ceux qui pensent encore que la BD est une aimable et inoffensive distraction pour les enfants, je recommande donc la lecture de cet album intelligent et nécessaire. Et à tous les autres aussi, en particulier aux plus jeunes pour lesquels l’histoire récente de la France reste inconnue ! Embarqué-e-s dans cette histoire policière qui se lit d’une seule traite, ils/elles constateront aussi que la qualité d’une BD n’a rien à voir avec le genre de ses auteurs.
Marie-Hélène Le Ny 50-50,magazine
Jeanne Puchol et L F Bollée Contrecoups Ed Casterman 2016
Plus d’infos
Organisant des marches de la dignité, un collectif a vu le jour, à l’initiative de la sœur d’une victime, pour informer les citoyen-ne-s, lutter contre ces violences et soutenir les familles concernées – souvent très modestes et impuissantes face à l’institution judiciaire.