Articles récents \ Monde La Floride a construit un enfer spécialement dédié aux femmes, le pénitencier de Lowell

LE MÉDIA INVITÉ DU MOIS : 50-50 magazine vous propose un article publié dans Women In and Beyong the Global.

Depuis la fin des années 70, les politiques carcérales aux Etats-Unis ont été menées selon des principes de marchandisation des corps et d’hyper incarcération. La soi-disant guerre contre la drogue (« war on drugs ») accompagnée de coupes sombres dans les programmes sociaux, a criminalisé et précarisé une grande partie de la population, souvent de couleur. Le résultat a été une augmentation du nombre de prisonnier-e-s assortie d’une privatisation du système carcéral. 25% des prisonniers du monde sont aux Etats Unis et les prisonnières américaines représentent 33% des prisonnières du monde. Les femmes sont en prison ou en maisons d’arrêt pour des raisons futiles, parfois pour attendre leur procès, surtout pour des délits qui en d’autres temps ne les auraient pas conduites en prison.

Michelle Tierney, 48 ans, est décédée le 9 octobre 2014, Latandra Ellington, 48 ans, le 1er octobre. Le 22 août c’était Regina A Cooper, 50 ans, et le 30 avril Affricka G Jean, 30 ans.

Ces quatre femmes ne sont pas des cas isolés. Elles étaient détenues au pénitencier de Lowell, l’enfer très spécial que la Floride réserve aux femmes. Elles ne sont pas simplement décédées, elles ont été tuées.

Affricka G Jean et Regina Cooper sont mortes toutes les deux dans des circonstances suspectes et leurs décès font maintenant l’objet d’une enquête du ministère de l’Intérieur de Floride et du bureau de l’inspecteur général. Ils ont été considérés comme des homicides. Malgré tout, ces morts dans le pénitencier de Lowell n’ont pas fait grand bruit en Floride ou ailleurs, excepté dans les instances habituelles de critique comme les associations ou la presse engagée. Autrement dit, c’était juste une saison de plus en enfer et les victimes continuent à s’accumuler.

Lantandra Ellington est morte … ou a été tuée, Ellington avait écrit à sa tante une lettre dans laquelle elle relatait les menaces d’un certain Sergent Q de « me tabasser à mort et de me réduire en chair a pâté. » Quelques jours plus tard Ellington était découverte morte dans sa cellule d’isolement.

D’autres détenues ont écrit, sous couvert d’anonymat, des lettres dans lesquelles elles décrivent en détails les abus sexuels perpétrés par les gardiens, les violences, les tortures qu’elles subissent. Elles évoquent un monde sadique où le passage à tabac est une forme de sport, où l’intimidation fait régner le silence. En fin de compte rien de surprenant ; l’inspiration vient entre autres de la prison pour femmes de Julia Tutwiler en Alabama, un enfer du même acabit dédié aux femmes.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, à Lowell de récents éléments d’enquête suggèrent que le décès ou le meurtre, de Latandra Ellington serait le résultat de luttes de pouvoir…entre deux factions (bandes) rivales de gardien-ne-s, une guerre de gangs qui ravage le pénitencier de Lowell.

L’autopsie de Ellington a révélé des traumatismes consécutifs à des coups portés à l’abdomen probablement lorsqu’elle a été tabassée.

Michelle Tierney, décédée la semaine dernière a été tuée à petit feu. Tierney devait être transférée dans une autre prison le 30 octobre, avant d’être définitivement libérée en janvier. Elle était proche de la sortie. De l’avis général, elle était un modèle, appréciée de toutes, une femme de confiance, qui donnait des cours d’alphabétisation à ses co-détenues. Alors que s’est-il passé ?

Durant ces quatorze ans au pénitencier, Tierney a été plutôt en bonne santé. Récemment, elle avait parlé de douleurs aux jambes. D’après l’une de ses amies, les douleurs étaient devenues tellement intenses qu’elle ne pouvait marcher sans pleurer de douleur. A l’infirmerie où elle se rendait inlassablement, on lui répondait inlassablement qu’elle souffrait d’arthrite et qu’il fallait faire avec.

Quand enfin elle a été emmenée à l’hôpital, ses pieds étaient bleus, elle avait des kystes sur tout le corps, elle avait une pneumonie accompagnée d’une forte fièvre et elle était en état de choc septique.

Voici donc l’enfer au pénitencier de Lowell. Vous avez le choix entre une mort lente ou rapide sous la torture, terreur et abjection garanties. Rien d’exceptionnel pourtant. Ces prisonnières ont été exposées à la violence, à la terreur, à l’horreur et l’abjection sans que personne ne s’en émeuve. Peut être quelqu’un fera enfin quelque chose, au ministère de la Justice ou ailleurs. Mais rien ni personne ne pourra ramener à la vie ces femmes qui ont été systématiquement assassinées au pénitencier de Lowell en Floride.

Cet article redécouvert récemment a incité les femmes, anciennes détenues, à en dire plus sur l’enfer de Lowell.

Par exemple, Shandella, raconte qu’elle a été très mal traitée durant son incarcération. Elle ressentait de constantes douleurs dans la poitrine. La seule réponse de l’infirmerie : elle devait avoir des gaz. A sa sortie, les médecins ont déterminé qu’elle avait dû avoir une douzaine d’épisodes ischémiques et cinq infarctus importants. Depuis elle a été opéré à cœur ouvert.

Ces femmes expriment clairement la réalité de cet enfer carcéral. Que font les autorités de Floride ou d’ailleurs pour changer ces conditions ? Les investigations sont rarement suivies d’effet.

De plus, il faut s’interroger sur l’accroissement de la population féminine en prison aux Etats Unis.

Les politiques carcérales qui ont été normalisées aux Etats-Unis ne devraient en aucun cas être acceptées et pourtant la France a, par exemple, opté pour des politiques de plus en plus répressives de la toxicomanie qui n’ont jamais produit des résultats positifs. Malgré des différences évidentes avec la Floride et les Etats-Unis en général, en France, les conditions de détentions des femmes ont été dénoncées dans l’ « avis relatif à la situation des femmes privées de liberté », publié le 18 février 2016 par le bureau du contrôleur général des lieux de privations de liberté.

Il faut renforcer ce pouvoir de contrôle qui est très limité aux Etats-Unis, pour ne pas laisser l’enfer carcéral se développer plus avant.

Brigitte Marti 50-50 magazine et Women In and Beyong the Global

Dan Moshenberg Women In and Beyong the Global

Traduction Brigitte Marti 

Article de Women In and Beyond the Global, publié le 15 octobre 2014

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