Articles récents \ DÉBATS \ Contributions \ Sport France Yves Raibaud : les empêchements des femmes à la pratique sportive 1/4
La semaine dernière, un colloque inédit et instructif « Plus de sport pour plus de femmes : on fait comment ? » était organisé par le collectif femmes et sport . Des journalistes, sportives, chercheur.es, élu.es sont intervenu.es pour traiter de l’invisibilité, des violences, du manque de moyens et de considération que vivent les sportives de tous niveaux. Yves Raibaud, géographe du genre, a fait l’état des lieux de l’accès à la pratique du sport pour les femmes.
Les pratiques sportives des femmes butent sur des obstacles qu’il s’agit d’identifier de façon méthodique afin de pouvoir efficacement résoudre les problèmes. Deux études réalisées sur Bordeaux (2015) et Genève (2017) proposent une méthode pour mesurer et analyser les inégalités, ainsi que des préconisations pour accompagner l’accès des femmes à la pratique sportive.
La première approche est budgétaire et comptable : sur la masse des moyens publics accordée aux pratiques sportives, quelle somme revient respectivement aux hommes et aux femmes ? Combien de licencié.e.s des deux sexes dans les clubs subventionnés ? Combien de bénéficiaires par sexe des activités proposées directement par le services municipaux de la jeunesse, des sports, de la politique de la ville ? Dans les deux villes objets de l’étude, ainsi que dans d’autres collectivités qui se sont exposées à cet exercice, il apparaît qu’environ 70 % des moyens sont consacrés aux garçons et aux hommes. Cette proportion s’aggrave si l’on considère la mise à disposition des équipements sportifs. Certes, de nombreux équipements sont mixtes (piscines). Quelques uns sont exclusivement occupés par des femmes (salles de danse, de gym). Mais l’immense majorité du parc est consacré aux sports masculins, que ce soit dans des équipements mis à disposition des associations et clubs (salles et stades) ou dans les très nombreux équipements sportifs d’accès libre dans la ville (skateparks, citystades, streetbasket, pétanque), en principe destinés à toutes et tous mais exclusivement occupés par des hommes. Une cartographie de ces équipements et de leur utilisation par sexe fait partie du recensement nécessaire à l’élaboration d’une politique égalitaire.
Ce constat sévère, révélant une inégalité devant l’impôt, a été présenté lors des enquêtes aux élu.e.s, responsables de service, directeurs et directrices de clubs. Les chiffres étonnent d’abord, puis sont mis en question ou relativisés. Ensuite, les explications fusent : certes il y a moins de femmes dans le sport, mais il y en aurait de plus en plus. Les femmes seraient moins enclines à faire du sport, davantage portées vers les arts ou les études. Elles auraient moins le goût de la compétition, auraient tendance à se replier sur elles au moment de l’adolescence, seraient plus tournées vers la famille. Les garçons, eux, auraient naturellement plus besoin de jouer et de se dépenser dans des activités sportives, nécessaires pour canaliser leur violence.
Les femmes aiment le sport
Or, paradoxalement, nos études montrent que les femmes aiment le sport, qu’elles ont quasiment autant de pratiques sportives que les hommes, mais que ce goût est contrarié concrètement dès l’enfance. D’abord par la non mixité des pratiques sportives qui entérine la supposée supériorité physique des garçons et amènent les deux classes de sexes à se séparer totalement dès l’adolescence, au détriment des filles : difficulté à constituer des équipes féminines et des clubs dans les disciplines réputées masculines (foot, rugby, vélo), manque de moyens chroniques dans des disciplines réputées féminines telles que la gymnastique et toutes les formes de danse.
Ce décrochage des filles est aggravé par le sexisme et la pression sur leur corps, comme le montrent les études sur les pratiques sportives au collège. Il se poursuit à l’âge adulte pour celles qui ont des enfants et peinent à concilier vie familiale et vie professionnelle. Le déficit de propositions sportives à destination des femmes augmente mécaniquement et amplifie leurs difficultés pour trouver une offre adaptée, tandis que les propositions en direction des hommes se multiplient et se diversifient.
Comment les femmes réussissent-elles cependant à faire du sport ? Dans les pratiques libres (course, vélo, marche) ou commerciales (fitness, aquagym, yoga, pilat) qui offrent une souplesse d’adaptation pour les horaires, au contraire des clubs et équipements subventionnés dont les heures d’ouverture sont difficilement conciliables avec les temps du travail domestique et celui consacré aux enfants. Ainsi le sport des femmes est il plus souvent payant pour elles et gratuit pour les collectivités, l’essentiel de la ressource publique étant consacré au sport masculin. Dans le cas des activité libres dans la ville, un autre obstacle s’élève : le sentiment d’insécurité dans certains quartiers ou la nuit. Dans les entretiens réalisés, les exemples de sexisme, de lesbophobie, de harcèlement et d’agressions sexuelles de sportives sont très nombreux, montrant à quel point le sport des femmes dans la ville peine à passer comme une pratique sociale ordinaire, au contraire du sport masculin.
Face à cette situation, les villes qui se sont attaquées au problème (notamment la ville de Bordeaux) ont mis en place un observatoire du sport féminin afin de quantifier ces inégalités et élaborer une programmation qui rétablisse année après année l’équilibre : subventions accordées sur des contrats d’objectifs, plages réservées aux femmes dans les équipements sportifs, mixité et égalité dans les projets d’animation sportive des quartiers, sécurisation et encouragement des pratiques sportives dans l’espace public. Ce que le sport spectacle ne peut ou ne veut pas faire, c’est aux financement publics de le réaliser en faisant la promotion du sport mixte et du sport féminin. C’est une question d’égalité devant l’impôt. Mais il s’agit aussi de promouvoir une citoyenneté par le sport qui ne soit pas réservée aux garçons, comme l’a été la citoyenneté républicaine, privant durant cent ans les femmes française du suffrage universel, un retard qui plombe encore aujourd’hui notre démocratie. Le rattrapage ne doit pas être optionnel, c’est une question de justice. Tout le monde y gagnera, en particulier les garçons qui pâtissent le plus souvent des effets secondaires d’une éducation entre pairs marquée par le virilisme, le sexisme et l’homophobie, communément associés aux sports de compétition masculins.
Yves Raibaud, géographe, Université Bordeaux Montaigne
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