Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ?

Le 22 novembre, s’est tenu le colloque « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? » A cette occasion, Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes et Claire Guiraud, secrétaire générale du Haut Conseil à l’Egalité f/h ont présenté une étude estimant les besoins financiers pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes.

Pourquoi nous sommes-nous posées cette question ?

En 2016, le HCE recensait dans un rapport unique, pour la première fois, l’ensemble des informations existantes relatives au financement des droits des femmes en France et dans le monde.

Cette année, en 2018, parler des violences semblait logique, et nous voulions passer un cap. Nous avions déjà pointé du doigt le budget existant. Il fallait donc passer aux propositions et tout naturellement, nous nous sommes demandé « Combien faudrait-il mettre sur la table si nous voulions une politique publique qui soit vraiment à la hauteur des besoins ? ». C’est donc l’objectif de l’étude que nous vous présentons ce jour.

Nous avons choisi de nous concentrer sur les violences conjugales, car il s’agit de la forme de violences la plus répandue, qui conduit à un cinquième des meurtres en France. En 2016, 123 femmes ont été tuées par leur compagnon ou leur ex-compagnon. Le féminicide constitue la forme la plus extrême de violence contre les femmes. Nous avons choisi de nous concentrer sur les parcours de sortie des femmes victimes, et non pas sur la prévention qui serait nécessaire ou encore la prise en charge des agresseurs, car c’est l’urgence à court terme

Les dénonciations augmentent. C’est bien. Mais les violences ne s’arrêtent pas avec un dépôt de plainte. Quitter son domicile est un moment à haut risque : c’est au moment de la séparation que se produisent le plus grand nombre de féminicides. Mal accompagnées, les femmes victimes de violences conjugales sont en danger. Il est donc toujours nécessaire, et parfois vital, que ces femmes puissent accéder à des dispositifs d’accompagnement suffisamment nombreux et adaptés.

Quelles sources d’information ?

Nous avons mobilisé la connaissance existante, qu’il s’agisse des statistiques publiques, des informations financières publiques publiées dans les documents budgétaires ou de l’expertise des associations de terrain qui au quotidien accompagnent des femmes victimes de violences (la Fédération Nationale Solidarité Femmes, la Maison des Femmes de Saint-Denis, le Centre Flora Tristan, Elles Imaginent et le centre d’hébergement Fit – Une Femme, Un Toit).

Comment avons-nous procédé ?

Nous avons défini ce qu’est un parcours de sortie. Pour ce parcours, nous avons dégagé quatre étapes ; pour calculer les budgets nécessaires pour chacune des étapes, nous avons cherché :

  • Le coût unitaire annuel
  • Le taux de recours, puisque toutes les femmes n’ont pas besoin de tous les dispositifs
  • Le nombre de femmes victimes de violences

Pour ce dernier critère, nous avons considéré deux hypothèses :

  • Une hypothèse basse basée sur le nombre de femmes ayant déposé une plainte ou fait l’objet d’une constatation par les services de police et de gendarmerie en 2016. Ce nombre correspond à 96 800 femmes (Stats administratives du Ministère de l’intérieur)
  • Une hypothèse haute, basée sur le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans, qui au cours d’une année, déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur ancien ou actuel partenaire intime. Ce nombre correspond à 225 000 femmes (Enquête de victimisation annuelle « Conditions de vie et de sécurité » ONDRP/INSEE)

Nous avons systématiquement eu recours aux hypothèses basses.

Première étape : accompagner la révélation des faits et faciliter l’accès aux droits

Pour que les femmes révèlent les violences, nous suggérons quatre dispositifs :

  • Des campagnes d’information pour aider à prendre conscience des violences et faire connaitre les dispositifs.

Le budget pour la conception et la diffusion TV, radio, web et affichage, notamment à des heures de grande écoute, est estimé à 10 millions .

  • Une plateforme téléphonique d’écoute et d’orientation – le 3919, ouvert 24/24 7/7.

Selon la Fédération Nationale Solidarité Femmes, l’estimation du budget nécessaire pour assurer la permanence est de 3,5 millions €/an.

  • Des permanences physiques d’écoute et d’orientation, par des associations spécialisées.

Celles-ci vont assumer un accompagnement global tout au long du parcours. Cela comprend l’information, la première écoute, la plainte, la phase judiciaire, la recherche d’hébergement, l’accès aux soins spécialisés, éventuellement l’insertion professionnelle éventuellement, ainsi que la coordination de l’ensemble des parties.

Nous estimons qu’une femme sur deux en a besoin. Avec un coût unitaire estimé à 4 000 €/femme, le total revient à 193,6 millions € dans l’hypothèse basse ou 450 millions d dans l’hypothèse haute.

  • Des personnels formés dans les commissariats de police et de gendarmerie, incluant les intervenant.e.s sociaux.

Pour un premier cycle, 60 000 officiers de police judiciaires et de 800 000 professionnel.le.s de santé seraient formés. En considérant un coût unitaire de la formation de 1 260 €, nous arrivons à un coût total de 13 millions €.

A cela s’ajoute également les intervenant.e.s sociaux, des travailleurs sociaux présents dans les commissariats de police/gendarmerie. Leur intervention a un coût total de 20 millions €. Le coût total de l’accompagnement s’élèverait alors à 33,1 millions €.

Le coût total de l’étape est de 240 millions €.

Deuxième étape : mettre en sécurité

Pour la mise en sécurité, deux dispositifs sont nécessaires :

  • Des centres d’hébergement dédiés aux femmes victimes de violences proposant un accompagnement spécialisé.

On estime qu’une femme sur 6 a besoin d’une place en centre d’hébergement. Le coût unitaire d’une place est estimé à 15 658 €. Dans l’hypothèse basse, le budget nécessaire reviendrait ainsi à 193,2 millions €. Dans l’hypothèse haute, il reviendrait à 449 188 875 €.

  • Le dispositif Téléphone grave danger :

Le nombre d’appareils estimés nécessaires est de 1 500, il y en a 1000 aujourd’hui. Le coût nécessaire pour parvenir au fonctionnement optimal est de 1,3 millions €.

Le coût total de l’étape est donc 195 millions €.

Troisième étape : accompagner la phase judiciaire

L’accompagnement par les associations tout au long du parcours judiciaire est inclus dans l’accompagnement global présenté lors de l’étape 1.

Cette étape vise donc deux dispositifs:

  • La formation continue obligatoire des professionnel.le.s de la justice (magistrat.e.s/avocat.e.s).

Le cout de la formation des 13 700 magistrat.e.s et avocat.e.s à former s’élève à 115 000 €.

  • L’amélioration de la rémunération des avocats qui accompagnent les femmes victimes éligibles à l’aide juridictionnelle. Cela se ferait par l’alignement des montants de règlements des avocat.e.s qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle pour la partie civile avec les montants prévus pour le prévenu, afin d’assurer une égalité de traitement.

Pour le nombre de femmes victimes de violences éligibles totalement ou partiellement à l’aide juridictionnelle qui portent plainte, 7357 avocat.e.s sont nécessaires en hypothèse basse, 17 100 en hypothèse haute. L’écart à compenser entre la rémunération quand un.e avocat.e accompagnent un accusé et la rémunération quand elle/il accompagne une victime est de 128€. Le montant à prévoir est donc de 940 000  en hypothèse et 2 188 800 € en hypothèse haute.

Le coût total de l’étape est donc 1,1 million €.

Quatrième étape : accompagner jusqu’à la sortie effective et durable des violences

L’objectif est de mettre en place un dispositif d’accès aux soins en psycho traumatologie, dans une approche globale et spécialisée.

Selon les associations interrogées, 50 % des femmes ont besoin d’avoir accès à une prise en charge en psycho traumatologie. Son coût unitaire est estimé à 500 euros par femme par an. En hypothèse basse, cela revient à 24,2 millions , et en hypothèse haute à 56 250 000 euros.

Estimation des besoins en recherche et développement

Peu de ressources sont dédiées à la recherche ou au développement de politiques innovantes sur la question des violences faites aux femmes. En effet, les acteur/actrice.s sont actuellement submergé.e.s par les demandes des femmes. Elles/ils n’ont donc souvent ni le temps ni les ressources financières nécessaires pour investir dans des politiques ou des projets innovants. Il est urgent de prévoir un financement dédié aux initiatives développées sur le long terme par les associations, fondations et autres actrices/acteurs.

C’est pourquoi nous proposons dans le présent rapport d’investir 10% du budget du parcours pour la recherche et les innovations en matière de lutte contre les violences et d’accompagnement. Cet investissement pourra permettre d’améliorer la prise en charge de chaque femme. Cela permettra de faciliter la sortie des violences tout en favorisant la réinsertion. Sur le long terme, ces innovations permettront de réduire les violences faites aux femmes.

Cela correspond, en hypothèse basse à 46 millions €, et en hypothèse haute à 101 millions €.

Le coût total de l’étape est donc 70 millions €

Au total, ces quatre étapes, prises en hypothèse basse, nécessitent un budget de 500 millions € par an. Cela représente 0,015% du budget de l’Etat. Aujourd’hui, le budget existant est estimé à 80 millions d’euros, sur la base des informations budgétaires auxquelles nous avons accès. Le décalage entre l’argent nécessaire et l’argent effectivement investi pour lutter contre les violences faites aux femmes montre l’urgence qu’il y a à investir.

 

Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes  et Claire Guiraud, secrétaire générale du HCE f/h

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