Articles récents \ Culture \ Livres Elle est née dans une favela, Kurde il est emprisonné en Turquie, ils font entrer en résonance les voix des femmes de leur pays

Insoumises

Afro-brésilienne, Conceição Evaristo est née en 1946, dans une favela de Belo Horizonte. Seconde d’une famille de neuf enfants, elle travaille comme domestique dès l’enfance mais portée par l’amour des mots, elle parvient à terminer sa scolarité et devient institutrice à Rio de Janeiro. Passionnée de littérature, elle reprend des études à cinquante ans passés et obtient un doctorat en littérature comparée en 2011. Elle publie son premier roman en 2003, c’est son troisième ouvrage Insoumises traduit en français et édité par les éditions Ana Caona en 2017 que nous vous proposons de découvrir.

Les treize récits qui se succèdent nous font entrer dans l’intimité de femmes de tous âges, souvent pauvres et maltraitées par les hommes et/ou par les «puissant.es. » Conceição Evaristo fait écho à des récits de vie écoutés ou entendus, des récits qui nourrissent son écriture empathique et flamboyante dont les héroïnes sont des femmes qui se battent et qui résistent, des femmes qui aiment et qui rêvent, des femmes qui souffrent mais qui brisent aussi leurs chaînes et réinventent leur vie. Qu’il s’agisse de la violence des hommes ou de l’amour des mères, mais aussi de la violence des mères ou de l’amour des hommes, Conceição Evaristo déroule dans chaque portrait le fil d’un quotidien particulier qui nous ramène bien souvent à notre commune condition humaine et aux résistances nécessaires pour que progressent la justice, l’amour et l’espoir de jours meilleurs pour ses (petits) enfants ! 

Alors qu’un voile d’obscurantisme violent, raciste, misogyne et homophobe vient de tomber sur le Brésil, il est urgent d’entendre les voix de celles et ceux qui résistent aux injonctions d’un patriarcat blanc enraciné dans une vision esclavagiste d’une société métissée où la couleur de la peau reste un stigmate pour nombre de brésilien.nes afro-descendant.es, assigné.es à la pauvreté et soumis.es à la violence du pouvoir. L’autrice nous parle de familles du temps où les hommes de la maison de maître étaient les maîtres du corps des femmes, des hommes et des enfants du quartier de esclaves… « Mon arrière-grand-père paternel était le fils naturel du colonel Fontes dos Reis Menezes et de Filomena, son esclave de maison et mère de lait noire de ses enfants…» raconte Rose Dusreis dont l’amour de la danse lui a permis de surmonter d’infinis obstacles pour s’épanouir hors des schémas encore trop souvent imposés aux femmes noires.

Avec humour et poésie souvent, Conceição Evaristo décrit des femmes qui luttent farouchement pour survivre, mais aussi pour leur liberté, dont elles tentent toujours de préserver au moins des fragments qui s’ouvrent sur des moments de bonheur.

 

L’aurore. À toutes les femmes assassinées, à toutes celles victimes de violences. 

Une autre éditrice partage avec nous son engagement : Emmanuelle Collas, qui nous donne accès au texte de Selahattin Demirtaş.

Âgé de 45 ans, Turc d’origine Kurde, Selahattin Demirtaş est le deuxième enfant d’une fratrie de sept. Bien que né dans une famille très modeste, il deviendra avocat et s’engagera dans l’Association des Droits de l’Homme de Diyarbakir (ADH) au début des années 2000. Il fondera ensuite une section d’Amnesty International. Selahattin Demirtaş est élu député de Diarbakir lors des élections législatives de 2007. En juin 2015, il mènera le Parti démocratique des peuples (HDP) au Parlement. Son parti obtient 13, 5 % des voix et 79 sièges au Parlement (sur 550). Pour la première fois, le Parti de la justice et du développement (AKP) perd sa majorité parlementaire. Coprésident du HDP, rêvant d’une Turquie moderne et pleinement démocratique, il s’oppose clairement à la réélection d’Erdogan et à la dictature qui s’annonce. Il sera arrêté le 4 novembre 2016 dans le cadre des purges suivant la tentative de coup d’État, en raison de liens supposés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan. Le PKK reprendra alors sa guérilla urbaine que Demirtaş sera accusé de soutenir. Le HDP le choisit comme candidat pour l’élection présidentielle anticipée de 2018, lors de laquelle Erdogan remportera les élections. Le 7 septembre 2018, il est condamné à quatre ans et demi de prison pour «propagande terroriste.»

C’est au fond de sa prison d’Edirne que Demirtaş poursuit son combat politique et qu’il a écrit ce très beau recueil de nouvelles dédié «À toutes les femmes assassinées, à toutes celles victimes de violences…. ». L’Aurore, publié en 2017 en Turquie malgré la censure, est devenu un best-seller avec plus de 200 000 exemplaires vendus.

Son écriture concise et non dénuée d’humour rend à la fois concrets et universels les portraits de toutes ces femmes qu’il nous peint avec justesse et sensibilité. Sa vision des relations entre les hommes et les femmes est très subtile et son désir de les faire évoluer est au cœur de son engagement politique. Dans la première nouvelle Le mâle qui est en nous, il s’appuie, tel un Jean de La Fontaine de derrière les barreaux, sur l’observation des moineaux dans la cour de sa prison pour écrire un brillant réquisitoire sur la lâcheté et la violence des hommes face aux combats des femmes pour la vie et pour la liberté. Bien sûr il ne parle jamais directement de politique, mais ces nouvelles sont des odes à la liberté, à l’amour et à la tolérance.

Selahattin Demirtaş apparaît comme l’un des rares politiques à avoir compris, et mis en pratique, ainsi avec le principe de la coprésidence appliqué au Rojava, à quel point l’égalité entre les femmes et les hommes est au cœur d’une possible transformation profonde, durable et progressiste de nos sociétés.

 

Marie-Hélène Le Ny 50-50 magazine

 

Conceição Evaristo Insoumises Ed Anna Caona 2017

Selahattin Demirtaş l’Aurore, Ed Emmanuelle Collas 2017

 

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