Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages \ Sport France Aurélie Flagès: « je suis revenue de ma mort handicapée, grâce au sport »

Le 14 mars dernier Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, organisait un colloque: « les femmes handicapées et le sport – empowerment ! » sur le pouvoir d’agir qu’apporte le sport aux femmes en situation de handicap. Lors de cette rencontre qui réunissait des sportives de tous niveaux, Aurélie Flagès, hémiplégique et aphasique, témoignait sur les bienfaits que lui a apportés son sport, la danse.

Je m’appelle Aurélie Flages, j’ai 38 ans et reviens du coma dans lequel m’a projetée un accident de moto à l’âge de 16 ans en 1996. Ayant commencé la danse vers l’âge de 3 ans en Afrique, mon rêve d’enfant a toujours été de devenir danseuse, ce qui était complètement contraire à l’éducation parentale et l’opinion sociétale. Déjà à cet âge, une pratique sportive régulière m’était nécessaire pour pouvoir m’échapper des conflits familiaux violents du foyer, des violences sexuelles et sexistes du patriarcat. C’était devenu mon seul exutoire, quand j’ai dû préférer risquer de quitter ce monde pour toujours. Personne ne réalise la violence dont il peut souvent faire preuve, ne semblant pas vouloir prendre conscience de l’énergie qu’il peut dégager, ni de la responsabilité des conséquences qui peuvent en résulter. Prendre conscience de son corps et de son énergie.

Après mon accident, à la sortie du coma, tout mon monde s’était écroulé : j’étais devenue hémiplégique, aphasique, traumatisée crânienne, sans possibilité de créer une interaction volontaire avec le monde dans lequel je vivais à nouveau, mon état de conscience fluctuant sans cesse. Le sport m’a vite offert une voie de sortie de ce marasme qu’on avait bloqué à l’intérieur de moi, vers une nouvelle vie, tenant compte de ce que je veux et ce que je peux. La danse m’a aidée et permis de récupérer mes jambes. Ma professeure de danse m’a redonné des cours particuliers et venait danser pour moi à l’hôpital. Quand j’ai recommencé à danser, repartant de zéro, ce n’était plus dans le même but, il s’agissait réellement de m’ancrer dans mon nouveau corps, ainsi retrouver mon équilibre, ainsi que l’usage de mes jambes. Le sport m’a conféré des compétences adaptables à ma vie de tous les jours, et adaptées à mon handicap et mes traumas.

C’est ainsi que j’ai opté pour une activité sportive la plus intense et régulière possible. Le sport m’a permis de faire éclore, de mettre en valeur mes propres capacités pour moi-même, mon propre potentiel et de le faire croître par l’entraînement. Cela m’a conduit à une autonomisation. Cela m’a redonné confiance en moi (de voir mes réussites, même petites), diminuant l’effet des « qu’en dira-t-on » dans ma tête en me prouvant à moi-même ce que je vaux, au fond. Le sport permet de se créer son propre système de fonctionnement (psycho-corporel) et contribue au développement personnel, au bien-être de chacun.e, dans le respect de son état psycho-corporel.
Le sport fait appel aux rencontres et aide à la sociabilisation, au vivre ensemble, au sentiment d’appartenance à un groupe : il m’a permis de renouer le contact avec la vie et de me connecter aux autres, de sortir de mes rééducations, de mon quotidien, de mes obligations/devoirs.

Le sport a changé mon rapport à mon corps et m’a toujours permis de me vider l’esprit, d’évacuer le mental trop prise de tête : me vider et me ressourcer, de sorte à pouvoir re-synchroniser mon corps et mon esprit, en fonction de leur état. Il m’a permis de pouvoir sortir des cercles des violences vécues petites, qui recommencent à l’âge adulte: personne n’est jamais à l’abri.

« Je SUIS tout ce que Je SUIS », Le sport a été pour moi une compensation nécessaire, vite devenue vitale ! Repartant de zéro, j’ai pu me créer mes propres repères psycho-corporels, en rééquilibrant chacun (corps – esprit), les ré-harmonisant : l’un peut compenser (être une soupape pour l’autre), j’ai pu renforcer ce lien par le moyen de la pratique sportive, que le Mindcontrôle parental a toujours détruit, sans vouloir en prendre conscience.
La danse m’a permis de prendre conscience de mon être, de moi-même, de mon pouvoir-faire, pouvoir-agir, que j’ai pu mettre en pratique au travers de mon expérimentation quotidienne, la pratique régulière amplifiant ces pouvoirs.

La danse m’a permis de canaliser l’énergie des émotions non traitées enfouies à l’Intérieur de moi, celles qui semblaient avoir cristallisé depuis ma plus tendre enfance, au plus profond de mon être. J’ai également pratiqué plusieurs autres activités portant autour du Qi, du Hara (Tai Chi, Qi Gong, Yoga, stretching postural…) qui m’ont permis d’apprendre à faire circuler ma propre énergie et ne plus m’embarrasser, me bloquer avec celle qu’on m’impose.

Si je suis revenue de ma mort handicapée, grâce au sport je suis restée une femme pour dire ma vérité, une femme pour agir. La danse, en tant que sport, art salvateur du corps et de l’esprit.
Je vous conseille à tous.tes l’art-thérapie qui soigne bien des blessures et nous aide à nous réinsérer dans le monde actuel, avec notre nouvelle identité qui est si difficile à comprendre, à cerner et à accepter par les autres quand on est cérébro-lésé… Et même souvent par nous-même !

En juillet 2014, j’ai découvert la danse-thérapie, «la danse de l’être», à laquelle nous avons été initié.es lors d’un stage d’été de danse libre. On se référait beaucoup à Isadora Duncan, qui a instauré la danse libre avec des foulards… A travers la danse libre, Isadora Duncan favorisait une redécouverte de son corps, un retour à soi, à la conscience universelle, au Divin…
La danse-thérapie m’a enfin permis d’accepter mon nouveau corps et de me sentir bien dans ma tête traumatisée. J’ai pu enfin trouver l’apaisement et réveiller tout ce que j’avais perdu, qui s’était endormi en moi car mon corps ne pouvait plus suivre et il me fallait tout réapprendre comme un bébé. Grâce à la danse-thérapie, j’ai à nouveau envie de VIVRE et j’ai pu réactiver mon moteur depuis toujours : la danse, ma seule raison d’être, qui m’a donné la force de supporter la souffrance de mon combat depuis deux décennies déjà.

Quelle fut ma joie quand j’ai rejoint il y a presque un an une association, où, en plus des arts plastiques et de la chorale, j’ai pu recommencer la danse libre, entourée de personnes comme moi, qui ENFIN me comprennent et m’acceptent comme je suis, sans me juger.

«Mon corps est le temple de mon art. Je l’expose comme un lieu saint et le voue au culte de la beauté», écrivait Isadora Duncan.

 

Aurélie Flages

50-50 Magazine était partenaire du colloque « les femmes handicapées et le sport – empowerment ! »

Photo Isballe Dumont (FDFA

 

 

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