Articles récents \ Île de France Lorena Kelly : «Ces dames sont passionnantes, elles ont un sacré courage» 2/2

Les Bains-douches de la rue de Charenton, à Paris, ne sont pas comme les autres : l’après-midi, ils deviennent un lieu d’accueil, d’hygiène et de soins dédié aux femmes en situation de grande précarité, proposant un suivi social. Il s’agit de l’une des rares structures réservées aux femmes qui vivent dans la rue. La parole de ces femmes est au centre de l’organisation du lieu. Lorena Kelly, responsable de l’équipe, se préoccupe avant tout de leur garantir un accueil inconditionnel.

Comment est composée votre équipe ?

Nous sommes des salariées à temps plein, que des femmes, ce qui n’était pas obligatoire : que le lieu soit dédié aux femmes, c’est une chose, que l’équipe soit exclusivement féminine n’était pas un pré-requis. Je les ai choisies pour leur expérience. L’infirmière connaît bien la précarité, de même que l’animatrice sociale, qui accueille, s’occupe du linge, crée le lien social, propose du café : elle est tout le temps à l’écoute. Une dame vient le soir pour nous aider, elle fait un très bon travail sur le ménage, elle fait vraiment partie de l’équipe même si elle n’est pas salariée par le Samu social. La travailleuse sociale vient tout juste d’arriver. Elle évalue les besoins, pour celles qui le souhaitent, pour les  orienter en fonction de ce qui lui a été confié, et les accompagne dans certaines démarches administratives, si nécessaires. Être un soutien, être à l’écoute, c’est notre rôle. Ce sont des dames qui ont besoin de se confier, qui ont souvent vécu des choses très compliquées. Elles ont besoin de déposer pour mieux repartir. L’infirmière reçoit aussi beaucoup de confidences, elle oriente autour de la santé, elle donne des conseils. Il s’agit d’orienter vers les bons endroits, trouver des lieux où elles auront des réponses adaptées à leurs besoins.

Ces dames sont passionnantes, elles ont un sacré courage. Il en faut pour vivre ce qu’elles vivent au quotidien. Nous sommes humbles et admiratives face à elles. L’équipe a de l’expérience avec ce public, car il faut avoir un savoir-faire pour aller vers elles. Elles ont de sacrés tempéraments. Ici, on peut être en colère, mais la violence reste à l’extérieur. Notre mission est avant tout de proposer un lieu apaisant et bienveillant à toutes.

Sont-elles suivi sur le plan de la santé ?

Il y a un projet qui doit se mettre en place bientôt : proposer aux dames des soins gynécologiques.

Et puis il y a le problème au niveau pédicure. Au départ, quand nous parlions des besoins des dames, nous n’y avions pas du tout pensé, mais au fur et à mesure des rencontres, les problèmes qu’elles rencontraient au niveau de leurs pieds sont apparus. Ce sont des dames qui ont des problèmes aux pieds très importants, elles marchent énormément, la grande majorité d’entre elles n’ont pas les chaussures adaptées, elles sont très abîmées.

Nous sommes en train de travailler sur les questions de santé avec le Samu Social de Paris. Ici, ce n’est pas un lieu de soins, ce n’est pas un centre médical, mais nous aimerions pouvoir leur proposer parfois des permanences avec des professionnel.les de la santé.

Combien de femmes par jour pensez-vous pouvoir accueillir ?

Nous voudrions en accueillir beaucoup plus qu’aujourd’hui, nous pourrions en accueillir 25 par jour.  50 femmes peuvent venir prendre leur douche, mais si 50 femmes veulent prendre le temps de se poser, de discuter, nous n’avons pas, pour le moment, assez de fauteuils. Mais si elles sont 50, elles seront toujours les bienvenues. C’est un lieu qui se veut le plus ouvert possible.

Qu’aimeriez-vous développer à l’avenir pour encore améliorer ce lieu ?

C’est un projet en mouvement. Nous avons l’idée d’aménager une petite cour derrière le bâtiment. Est-ce que nous pourrions imaginer un atelier jardinage ? Pour ces dames, ce serait super de voir pousser des plantes. Nous envisageons aussi, pourquoi pas, un atelier de coiffure, de soins esthétiques.

Nous nous interrogeons tous les jours pour imaginer des projets, nous les écoutons pour savoir ce dont elles ont besoin.

Quand je suis arrivée, vous parliez des chiens que vous pourriez accueillir dans la cour…

C’est plus qu’un projet, c’est vraiment déjà en réflexion. C’est une vraie question : comment faire pour bien accueillir les dames qui ont des animaux ?  Comment bien accueillir ces dames accompagnées d’un.e chien.ne, en tout sécurité pour les dames qui ont peur des chien.nes ?

Votre projet a-t-il été réalisé dans une visée féministe ?

Oui : pour que les femmes aient accès aux mêmes droits et aux mêmes services que les hommes, tout en prenant en considération leurs expériences de femmes au travers de problématiques et dangers auxquelles elles sont confrontées quotidiennement.  Les femmes sont les premières oubliées, on les prend en compte que depuis peu. Il commence à y avoir des structures dédiées exclusivement aux femmes, je pense que c’est bien. En tout cas, c’est ce que nous disent les dames ici. Les hommes ont leur place à d’autres endroits et à d’autres moments.

Notre idée est que cette population, qui est la plus invisible, devienne beaucoup plus visible. Il n’y a pas de profil type de «dame à la rue.» Il ne faut pas confondre les personnes Sans Domicile Fixe (SDF), qui peuvent être logées par-ci par-là, et les personnes à la rue. Cette structure accueille essentiellement des femmes à la rue. Ici elles savent qu’elles ne sont plus invisibles.

 

Propos recueillis par Alice Gaulier 50-50 Magazine

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