Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Exposition Mater[nité] – [No] mater

Afin de conserver et transmettre la mémoire des expériences sensibles des femmes, nous avons imaginé cette exposition qui associe des paroles d’accouchées aux témoignages de nullipares . Maternité et non maternités ont les deux faces d’une même étoffe, qui se trament de manière subtile, selon une parentalité qui ne va pas de soi tant sur le plan physique, psychologique que psychique. Choisir de devenir mère ou non, prendre la responsabilité de mettre un enfant au monde ou non, sont des choix rarement questionnés jusqu’à l’avènement récent de moyens de contraception fiables. Pour la plupart des femmes, leur destin était de devenir mères au cours de leur vie. En effet, dans les civilisations chrétiennes, les femmes avaient deux modèles respectables : mère oblative ou vierge sacrificielle. Si les rôles-modèles proposés aux fillettes aujourd’hui sont davantage construits sur l’apprentissage de la séduction que sur celui de la maternité, ils n’en restent pas moins une assignation à n’exister qu’au travers de l’apparence physique, souvent au détriment de l’intellect et de l’émancipation, et bien sûr toujours “sous le regard des hommes”.

Tirant de nombreux fils de cette étoffe, nous avons fait images de ce qui reste le plus souvent caché dans les replis de la mémoire intime. Les tabous concernant le corps des femmes restent vivaces et les incitent au silence. Nous faisons résonner différents points de vue qui invitent à explorer, éprouver et comprendre ce qui se joue et se noue dans ces expériences à la fois éminemment personnelles et sociales. Elles engagent le biologique, qui jusqu’aux nouvelles techniques de procréation médicalement assistée était assimilée au « naturel ». Elles touchent également le symbolique et le psychique qui parfois entrent en conflit et/ou se désaccordent. Si à l’aube de l’humanité la capacité des femmes à assurer une descendance à l’espèce humaine leur a probablement valu une forme de dévotion, la maternité a été plus récemment, et particulièrement après la Révolution française, le prétexte de leur confinement au foyer et de leur assignation aux tâches domestiques liées à la survie de la famille et du groupe.

Marie-Hélène Le Ny et Delfine Ferré

Si à l’aube de l’humanité la capacité des femmes à assurer une descendance à l’espèce humaine leur a probablement valu une forme de dévotion, la maternité a été plus récemment, et particulièrement après la Révolution française, le prétexte de leur confinement au foyer et de leur assignation aux tâches domestiques liées à la survie de la famille et du groupe. Cette hiérarchie s’est consolidée en passant souvent par une dévalorisation du corps féminin auquel ont été prêtés tous les vices et tous les défauts, en instituant son infériorité, sa débilité et sa faiblesse en regard d’un corps masculin vu comme le modèle de référence. En effet, nombre de textes religieux, la philosophie des Lumières, et même la médecine moderne s’appuient sur des préjugés ancestraux pour justifier l’infériorité physique des femmes en affirmant encore et toujours une suprématie masculine. Le corps des femmes est ramené à un état de nature, procréateur et contraignant, celui des hommes leur conférant la liberté de l’esprit (la métaphysique et la culture) voire même le « génie créateur ».

Le corps féminin et ses fluides (règles, placenta…) sont encore et souvent considérés comme repoussants voire répugnants alors que le sperme masculin est valorisé.

La grossesse a été peu représentée par les différentes cultures depuis des millénaires. Résultant d’un acte sexuel elle était considérée avec plus ou moins d’ambivalence selon les époques. Son « produit » (l’enfant), incarnant la descendance donnée à l’homme, était valorisé à condition qu’il soit mâle. Le refus de la grossesse et/ou de la maternité par les femmes a quant à lui longtemps été criminalisé, alors que depuis des millénaires les femmes ont utilisé des remèdes anticonceptionnels ou abortifs pour garder une certaine maîtrise de leur vie et ne pas se voir assujetties aux grossesses incessantes apportant un trop grand nombre de bouches à nourrir et bien souvent le malheur et la misère. Ce refus est perçu comme une insoumission au pouvoir dominant et cause encore aujourd’hui la mort, l’incarcération ou la stigmatisation de dizaines de milliers de femmes dans le monde. Pourtant de plus en plus de femmes optent pour une vie de nullipare (10% des françaises environ aujourd’hui). Si elles sont moins stigmatisées que parle passé, ces femmes sont encore très nombreuses à souffrir du sort qui leur est fait ; ce ressenti est exacerbé quand la non maternité n’est pas choisie, jusqu’à se considérer comme incomplètes ou “ratées”.

La (non)maternité continue donc à peser lourdement sur les épaules des femmes comme un destin, sans que la paternité en soit le pendant masculin. Le corps et la sexualité restent un des lieux de la rencontre. Parfois cette rencontre ouvre le champ des possibles vers la création d’un nouvel individu impulsant un désir de parentalité à ses génitrices/géniteurs, ou non.

Situations complexes et multiples, ressentis individuels et questionnements collectifs, cheminement personnel et artistique, l’exposition Mater-ité/ No Mater interroge l’intime et la liberté au cœur de notre existence humaine.

 

Marie-Hélène Le Ny et Delfine Ferré photographes

Exposition du 15 juillet au 15 août 2019 à la chapelle Saint Maudez de Lesneven (1869 Rue de la Libération, 29260 Lesneven).

print