Articles récents \ Culture \ Théâtre Elise Noiraud a encore grandi !
Autrice, comédienne et metteuse en scène, Elise Noiraud donne à présent le troisième volet de sa trilogie autofictionnelle. Après l’enfance et l’adolescence, elle se joue jeune adulte dans Le Champ des possibles. Ce spectacle est encore meilleur que le précédent. Quand s’arrêtera-t-elle ?
On voudrait que le mot «bouleversante» ne soit pas si galvaudé pour pouvoir le consacrer à Elise Noiraud, une comédienne unique et multiple à la fois. A elle seule, elle interprète une douzaine de personnages dans le Champ des possibles. Dès les premières minutes, on sait que l’on va passer un moment exceptionnel. La conseillère pédagogique qui reçoit la jeune Elise Noiraud vaut son pesant de cacahuètes. Mielleuse et faussement concernée, elle déverse à la lycéenne tout un tas de généralités désespérantes sur le monde du travail et le chômage qui conduit parfois jusqu’au suicide. Bienvenue dans le monde des adultes et des choix définitifs pour son avenir qui se dessine mal !
Lettre de candidature pour la Sorbonne, arrivée de la provinciale avec sa mère qui l’installe dans un minuscule appartement parisien au loyer exorbitant. Elise s‘inquiète pour le porte-monnaie de ses parents et sa mère ne la rassure guère. L’étudiante s’essaye à un job d’animatrice puis de baby-sitter. Bonjour, la mère du petit Agamemnon qu’elle vient garder chez des Parisien.nes nanti.es ! Elise sera tour à tour elle-même et toutes celles et ceux qui gravitent autour d’elle : le chargé de cours de la Sorbonne, section lettres modernes, qui la fait plancher sur Les mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir ; le professeur de l’atelier-théâtre fort décontenancé par le comportement d’un des étudiants qui s’exhibe à chaque séance ; le président d’une jeune association humanitaire qui débite des stéréotypes avec entrain ; la bonne dame catéchisme de son enfance et le jeune chrétien québécois qui anime un groupe de prière ; le médecin de famille qui lui donne ses premiers antidépresseurs, puisque sa mère est dépressive. Au fil du spectacle, Elise Noiraud interprète aussi son père qui communique par messages téléphoniques… et surtout sa mère !
Ah la mère d’Elise ! Son amour pour sa fille, sa tristesse récurrente qu’elle nomme toujours fatigue, ses crises de larmes, ses bavardages envahissants, ses énervements, ses petits chantages et ses manipulations doucereuses, ses propos culpabilisateurs l’air de rien, sa volonté d’être une bonne mère qui ne veut jamais être prise en défaut. Elise, elle, navigue à vue tout en essayant de ne pas décevoir ses parents… quitte à renoncer à ce qui lui importe vraiment. Oh ! Comme on déteste la mère d’Elise et comme on s’y reconnaît bien. La spectatrice (ou le spectateur !) se coule doucement dans la peau des différents personnages. Devient tour à tour Elise elle-même et sa mère. Éprouve la difficulté d’être parent comme celle d’être fille de… ou fils de… Chaque spectatrice/spectateur ressort touché.e en plein cœur. Derrière l’apparente simplicité de la pièce se cachent une analyse très fine des relations familiales et de la société, une écriture juste, un sacré talent de comédienne qui ne serait rien sans un travail rigoureux. Depuis son dernier spectacle, Elise Noiraud a encore grandi. Et on voudrait que ça ne s’arrête pas !
Sylvie Debras 50-50 magazine