Articles récents \ Île de France \ Société Pierrick Ettien-Chalandard : « les élèves ont évolué sur l’année dans leur approche des concepts et dans leurs réactions »
Pierrick Ettien-Chalandard est professeur d’Histoire-Géographie et d’Enseignement Moral et Civique (EMC) au lycée La Mare Carrée de Moissy-Cramayel (77). Dans le cadre du cours d’EMC, il a voulu questionner une classe de seconde sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes. Il en est ressorti une série de podcasts Paroles de femmes qui traite de sujets tels que « femmes et jeux vidéos », « femmes et violences domestiques » ou encore « femmes et mutilations sexuelles ». Chaque épisode analyse le rapport entre les femmes et le sujet choisi, en partant notamment de la rencontre d’une association. Cela a valu aux élèves de remporter l’année dernière le concours Alter Ego Ratio dans la catégorie «Des femmes à l’initiative» !
Qui a choisi de travailler sur la thématique des inégalités femmes/hommes ?
Ce sont les professeuses/professeurs. En 2017/2018 j’avais proposé à mes collègues de faire un travail pluridisciplinaire sur cette thématique. Deux autres professeurs m’ont ainsi accompagné, en français notamment. Et en 2018/2019, je me suis greffé à un projet de danse mené par un professeur de français. L’idée était de mettre en espace les inégalités, mais cela ne s’est pas forcément passé comme prévu. Donc au total l’année dernière nous étions trois professeuses/professeurs (Éducation Physique et Sportive, Français et Histoire-Géographie) ainsi que l’infirmière et le Conseiller Principal d’Éducation (CPE) à travailler sur les questions d’égalité.
Mais ensuite c’est aux élèves de déterminer ce sur quoi elles/ils veulent précisément travailler. Par exemple cette année, des élèves ont voulu travailler sur «les filles et le jeux vidéo». Donc j’ai contacté une association qui leur a proposé une rencontre. Ensuite, c’est aux élèves d’aller jusqu’au bout du projet.
Comment est née l’idée de réaliser ces podcasts avec vos élèves ?
Cela faisait donc un an que nous travaillions sur le sujet de l’égalité femmes/hommes avec une classe de seconde. La première année, mon collègue de français et moi étions partis sur une approche théorique, en questionnant les élèves à l’aide de textes de Simone de Beauvoir par exemple. Je me suis rendu compte que les élèves adhéraient à ces questions et qu’elles/’ils avaient des choses à dire. Mais que néanmoins c’était trop théorique, trop éloigné pour eux.
Donc l’année dernière j’ai voulu inviter des associations : je souhaitais travailler avec des actrices/acteurs pouvant transmettre à mes élèves des choses concrètes, et leur donner des ressources en cas de problèmes, pour qu’elles/ils fassent appel à elles/eux. Et cela a été beaucoup plus parlant ! Nous restions, bien sûr, dans le domaine du scolaire et des sujets étudiés en classe.
Pour ce qui est des podcasts, je trouvais simplement que c’était un format pratique. Chaque élève a un accès facile à un téléphone portable, et le format audio me semblait intéressant pour pouvoir diffuser au sein de l’établissement le fruit de leurs recherches.
A partir de là, on choisit un thème, on trouve une association et on réalise un podcast.
Comment vos élèves ont-elles/ils perçu le projet en début d’année ?
Le projet étant dans le cadre du cours d’EMC, il s’adressait à une classe de seconde non volontaire. L’année dernière, c’était assez drôle parce que la classe était surtout composée de garçons : 27 garçons pour 6 ou 7 filles.
Nous sommes parti.es d’un premier exercice où l’on demande à chaque élève d’apporter un objet qui, pour lui, incarne une inégalité entre les femmes et les hommes (manette de jeux, marteau, maquillage etc). A partir de là, on peut interroger les inégalités domestiques, les inégalités au travail etc. Cette activité est souvent très bien perçue ! Assez étonnement, ce sont plutôt les garçons qui ont le plus de facilités à remettre en question les stéréotypes. Alors que les filles s’accrochent un peu plus aux idées du style «les jeunes filles aiment les poupées.»
Au cours de l’année, avez-vous senti une évolution chez vos élèves ?
Oui, tout à fait ! Par exemple, nous avons invité à deux reprises l’association Le Relais 77 qui travaille sur les violences domestiques. Lors de la première séance, les jeunes avaient du mal à faire la différence entre la jalousie et les violences au sein du couple, alors qu’au cours de la deuxième, les questions qu’elles/ils posaient montraient qu’ils avaient évolué. En fin d’année, je leur ai passé le clip de la chanteuse Angèle, Balance ton quoi, les dénonciations leur paraissaient évidentes.
Les élèves ont évolué sur l’année dans leur approche des concepts et dans leurs réactions. Entre elles/eux, dans les couloirs, j’ai pu entendre des réflexions telles que «non mais t’as pas le droit de dire ça !» Et, dans les autres classes – puisque j’ai fait diffuser les podcasts dans les autres classes du lycée – le contenu est rapidement approprié dans les conversations.
Vous n’avez jamais fait face à des réactions négatives ?
Alors non, mais des incompréhensions oui. Par exemple, quand le Relais est venu, les intervenantes ont demandé aux élèves si elles/ils étaient tenu.es de répondre dans l’heure lorsque leur petit.e copine/copain leur envoyait un message. Pour beaucoup la réponse était oui ! Autre exemple, lorsque le Planning Familial est venu parler de l’excision et a présenté aux élèves un modèle de clitoris, certain.es ne comprenaient pas grand chose. Mais c’était plutôt de la naïveté. Les jeunes sont en général très curieuses/curieux. Et leurs parents aussi ont accueilli le projet avec enthousiasme.
Vous allez continuer à travailler sur les inégalités femmes/hommes cette année ?
Oui, nous allons continuer le projet. Nous allons travailler plus précisément sur les luttes pour l’égalité entre les femmes et hommes, puis nous allons essayer d’élargir aux questions actuelles sur l’écologie et les liens entre féminisme et écologie. Nous voulons insister sur l’aspect générationnel : pourquoi lutter lorsqu’on est jeune ? Ma collègue de français va les aider à écrire sur leurs luttes. Nous, côté histoire et EMC, nous allons de nouveau travailler avec des associations : Le Relais en ce qui concerne les violences domestiques, une association qui s’intéresse aux femmes dans le milieu sportif et, nous l’espérons, SOS homophobie. Nous allons réaliser soit un podcast, soit un film. Puis avec ma collègue d’EPS nous voudrions mettre ces thèmes en chorégraphie et en faire de petites vidéos.
Nous aimerions aussi enrichir le travail grâce au théâtre, approfondir les rencontres avec les associations via des mises en situations concrètes, afin de libérer la parole. L’idée est de lutter contre la barrière entre ce qui est vu en classe et le quotidien. Par exemple, en ce qui concerne l’avortement, même si le Planning Familial vient en parler, les jeunes filles peuvent avoir du mal à réagir en cas de grossesse non désirée parce qu’elles ne peuvent pas en parler à leur famille.
Propos recueillis par Bénédicte Gilles 50-50 Magazine