Articles récents \ France \ Société Lucile Dupuy : « HandsAway vient pallier la non-réaction des témoins d’une agression »

HandsAway est une application lancée en octobre 2016 dédiée à la lutte contre le harcèlement de rue. Projet résolument féministe, il repose sur une profonde croyance en la bienveillance et la sororité de chacun.e d’entre nous. Rencontre avec Lucile Dupuy, cheffe de projet et responsable du développement de l’association, qui explique comment une volonté de pouvoir prendre le métro en toute tranquillité a donné naissance à une nouvelle communauté. 

Comment est née l’idée d’HandsAway ? 

Tout est parti d’une histoire comme il y en a au quotidien. Un jour où Alma Guirao (fondatrice de HandsAway) prenait le métro à Paris, un homme s’est assis face à elle, a sorti son sexe et a commencé à se masturber. C’était l’heure de pointe, le métro était bondé, mais personne n’a réagi. Alma Giurao a vécu à Paris toute sa vie, et ce n’était pas la première fois qu’elle était victime d’une agression sexiste ou sexuelle dans les transports, mais cette fois, c’était celle de trop. Entrepreneuse depuis l’âge de 21 ans, il a toujours été dans sa personnalité de se dire ‘Il y a un problème : quelle solution je peux apporter pour le résoudre ?’ Quelques mois plus tard, en octobre 2016, HandsAway est née. 

Concrètement, à quoi sert l’application ? 

Au départ, l’idée d’HandsAway était de pouvoir s’avertir entre femmes lorsqu’une d’entre nous était victime ou témoin d’une agression sexiste ou sexuelle dans l’espace public. HandsAway a pour but de faciliter l’entraide une fois l’acte passé : pouvoir dire « Attention j’ai vu ça, faites attention si vous passez dans le coin. » Le projet était aussi de libérer la parole des femmes à ce sujet. Il ne faut pas oublier que tout a commencé en 2016, donc bien avant #MeToo et #BalanceTonPorc. Enfin, Alma Guireo espérait se servir de l’application pour collecter des données, parce qu’il n’existe malheureusement presque aucun chiffre sur le harcèlement de rue en France. 

Cela fait trois ans que l’application existe. Aujourd’hui, nous avons un peu plus de 40 000 utilisatrices/utilisateurs (environ 70% de femmes et 30% d’hommes). Concrètement, lorsque l’on est victime ou témoin d’une situation, il y a un bouton sur l’application qui sert à géolocaliser le lieu de l’agression, et à envoyer une alerte à tout.es celles et ceux qui se trouvent dans un rayon d’un kilomètre. Ensuite, les personnes peuvent commenter l’alerte, un peu comme sur Facebook, et demander à la victime si elle va bien, si elle a besoin d’aide pour aller porter plainte ou rentrer chez elle, et ainsi de suite. L’application intervient sur le moment juste après l’agression. Elle n’est pas utilisée pendant, puisque l’on considère que personne n’utilise son portable à ce moment-là. C’est un parti pris conscient que nous avons fait : la première chose à faire pour une victime après une agression est de se mettre en sécurité. HandsAway vient ensuite servir pour pallier la non-réaction des témoins. 

En moyenne, une alerte reçoit entre quatre à six réponses. Bien sûr, nous regardons toujours les commentaires après une alerte, mais nous n’avons eu jusqu’à présent que des expériences très positives. Par exemple, il y a quelques semaines, nous avons reçu un message d’une femme à Rennes qui attendait son bus et qui se faisait harceler par deux hommes. Elle a signalé l’événement sur l’application, et deux femmes sont venues la chercher et la raccompagner chez elle. C’est exactement le genre d’initiatives auxquelles nous croyons très fort. 

Avez-vous d’autres projets complémentaires à l’application ? 

Oui, absolument. Depuis 2018, HandsAway est devenue une association, afin justement de pouvoir réaliser de nouveaux projets. Chez HandsAway, nous sommes une très petite équipe et aucune d’entre nous n’a de compétences juridiques et/ou d’accompagnement psychologique, et ce n’est d’ailleurs pas le but. Il y a déjà beaucoup d’associations qui font des choses incroyables sur ces questions. Mais ces associations sont souvent peu ou mal connues du grand public.

A travers notre application, nous touchons un public très différent du public militant, féministe et sensibilisé, nous voulons en profiter pour faciliter l’accompagnement des victimes en les redirigeant vers des structures expertes. C’est pour cela que nous avons le projet de réaliser une cartographie qui répertorie à la fois les associations, mais aussi les hôpitaux et les commissariats. Nous souhaitons notamment promouvoir le fait de porter plainte. Bien sûr, nous savons que cela peut être un processus difficile et nous n’obligerons jamais aucune victime à le faire, mais nous partons du principe que si toutes les personnes qui étaient victimes de violences sexistes ou sexuelles allaient porter plainte, les pouvoirs publics seraient obligés de changer les lois et de donner plus de moyens à cette lutte.

Un autre projet qui nous tient à cœur est notre partenariat avec Uber. Ce partenariat est né du constat que les chauffeurs sont présents 24 heures sur 24 dans l’espace public. Nous avons construit cette collaboration sur trois volets : d’abord, nous avons travaillé avec l’association Stop Harcèlement de Rue à sensibiliser les équipes de support de Uber et à adapter avec elles les réponses et l’attitude que les employé.es doivent avoir quand elles/ils parlent avec une cliente qui dénonce une agression. Ensuite, nous avons établi un partenariat technologique : maintenant, sur l’application HandsAway, chaque victime a accès à un bouton qui la redirige sur le site de Uber avec un code promo pré-enregistré qui lui offre une course gratuite. L’idée est que cette course puisse permettre à la victime d’aller là où elle en a le plus besoin à ce moment là, que ce soit au commissariat, dans une association ou chez elle. Enfin, le troisième volet consiste en plusieurs actions de sensibilisation des conductrices/conducteurs. Nous avons discuté avec eux pour comprendre à quels niveaux elles/ils souhaitaient s’impliquer dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et Alma Guirao a notamment réalisé un podcast sur le sujet qu’ils peuvent écouter entre deux courses. 

Par ailleurs, HandsAway fait partie d’un collectif informel, «Mind the Gap», composé d’associations et de start-up travaillant sur les questions d’égalité femmes/hommes ou la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Chacun.e d’entre nous a des compétences différentes, et nous agissons souvent ensemble pour compléter nos expertises. Par exemple, nous intervenons souvent avec Ekiwork, une start-up spécialisée dans la conception de jeux ludiques pour sensibiliser au sexisme ordinaire en entreprise. Nous réalisons aussi des ateliers de sensibilisation en entreprise, en nous servant notamment de la réalité virtuelle, grâce à l’un de nos partenaires qui a développé des films où le spectateur est dans la peau d’une victime de harcèlement de rue dans le métro, de sexisme ordinaire et de harcèlement sexuel en entreprise. C’est un formidable outil de sensibilisation qui utilise l’empathie et les émotions et qui nous permet après de rebondir sur différentes questions comme : « avez-vous déjà été témoin ou victime d’une agression sexiste ou sexuelle ? Si oui, savez-vous comment réagi ? » Cela nous donne l’occasion de parler des obligations légales, des référents en entreprises, des protocoles de signalement, et de toutes les solutions qui existent.

Propos recueillis par Léonor Guénoun, 50-50 Magazine

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