Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Viol : quand « la justice est lente »

« On ne sait pas si ça fera du bruit ou pas, si on sera entendu ou non, mais on ne veut plus se laisser faire. On veut pouvoir dire : « on a essayé de parler. On nous a gentiment demandé de ne pas faire de vague, mais, là, on en a marre ! » La colère qu’elle exprime bout en elle depuis des années. Victime de viol voilà sept ans, celle que nous nommerons Julie comme elle le souhaite, ne veut pas aujourd’hui dénoncer les viols ;   « malheureusement  » dit-elle avec beaucoup de lucidité  » il y en a tout le temps. » Ce qu’elle veut, ainsi que les six autres victimes reconnues du même agresseur, c’est mettre en lumière une procédure qui depuis le début cumule les égarements. De négligences policières en dysfonctionnements de certains magistrats, elle s’apprête à vivre un troisième procès en 2020. Et aimerait pouvoir tourner la page.

« Pour se reconstruire, on fait comme on peut » avoue Julie  » il n’y a pas de recette magique, soit on se bat, soit on lâche. » Et elle, elle est bien décidée à ne rien lâcher. Jamais. Depuis sept ans, l’histoire de son viol la rattrape régulièrement. Comme un boomerang qui l’empêche de construire une vie normale. Malgré le soutien indéfectible de sa famille et de ses ami.es ; malgré sa rencontre avec un compagnon et la naissance de leur petite fille aujourd’hui âgée de deux ans et demi. « C’est un peu les montagnes russes au niveau des émotions  » confie-t-elle,  » de toute façon, il est toujours présent. Et la justice est lente. Mais, j’ai tout le temps eu envie de m’en sortir et de me battre. »

Julie encourage toutes les femmes à porter plainte et surtout à parler de leur agression. « Dans notre malheur, dit-elle,  » on a de la chance tout de même, on est sept ; alors on est bien obligés de nous croire. Surtout qu’on ne se connaissait pas avant et qu’on habite dans plusieurs villes différentes. Quand on est seule ou qu’il s’agit de viols conjugaux, c’est la parole de l’un contre celle de l’autre. Mais même si c’est dur de parler ça ne peut qu’être bénéfique pour l’avenir ; on n’a pas le choix, sinon, on se laisse bouffer ! »

Elle n’a pas hésité, elle, à aller porter plainte le lendemain de son agression. Même s’il a pu lui arriver de le regretter depuis compte tenu de l’accueil qui lui a été réservé et du long combat pour la justice qui s’ouvrait alors.

« Dans ma tête, ça restait ce que le capitaine m’avait dit »

Au commissariat de Rennes, où elle arrive sans avoir pris de douche, on annonce brutalement à Julie qu’on ne « retrouvera jamais » son agresseur et qu’elle devra « vivre avec ça ! »  « On va déposer plainte et on se retrouve face à des hommes  » déplore-t-elle,   » dans ma première déposition, j’ai minimisé par peur qu’on ne me croit pas. Le capitaine de police m’a dit que mon viol était propre. » Pas de coups, pas de sang.

Pendant longtemps, la jeune femme lit les journaux en comparant son histoire à celles des autres pour pouvoir se dire : « il y a pire que moi ! Je suis vivante, je n’ai pas à me plaindre ! » Et c’est en entendant son avocat raconter son agression lors du premier procès qu’elle prend vraiment conscience de la violence de ce qu’elle a subi. « Dans ma tête, dit-elle, ça restait ce que le capitaine m’avait dit : c’était « propre. «  

Lorsque Julie porte plainte, en 2012, le procureur refuse de faire analyser ses sous-vêtements, sans doute par souci d’économie. Pourtant, cette simple formalité aurait épargné les trois victimes suivantes. L’agresseur, alors âgé de 23 ans, est déjà fiché depuis plusieurs années. Quand Julie apprend sept mois plus tard, en avril 2013, qu’il a été arrêté, il a fait trois nouvelles victimes dont une jeune femme laissée pour morte dans une poubelle. Julie vit aussi avec cette « culpabilité ».

«On a toutes vu son regard et on a toutes cru qu’on allait mourir.»

Puis viennent l’instruction et les confrontations. Chaque audition est une nouvelle épreuve pour les victimes qui se retrouvent face à leur agresseur. « On ne devrait pas passer deux fois devant le juge d’instruction et trois fois devant des jurés pour expliquer tout ce qu’il nous a fait   » dit Julie  » ça fait sept ans, je l’ai déjà revu cinq fois ! »

Et à chaque fois, il faut faire front ; supporter le regard de ses parents et grands-parents qui continuent à le soutenir ; entendre ses demandes répétées de remise en liberté ; subir ses propos « immondes » et son arrogance. Et se demander si la troisième fois on va « encore réussir à toucher les jurés » quand l’agresseur prétend de son côté, qu’il a changé. « Il va avoir de nouvelles expertises, et ce qui nous fait peur c’est qu’il arrive à berner les experts » s’inquiète Julie.

Avec les autres victimes, elles en sont convaincues, il ne changera pas et sera même toujours plus dangereux. « On a toutes vu son regard et on a toutes cru qu’on allait mourir. Il recommencera et ce sera encore pire, on en est persuadées. Je ne veux pas qu’il sorte. Je ne veux pas un jour retrouver son nom dans les faits divers et me dire : pourquoi on l’a laissé ressortir ? » s’angoisse Julie.

«Si le troisième procès n’intervient pas rapidement, il pourrait être libéré»

Le premier procès a lieu à Toulouse en 2015. Le violeur est condamné à trente ans de prison dont vingt-deux de sûreté. C’est la tentative de meurtre qui alourdit sa peine. Il fait appel et au deuxième procès, à Albi en 2017, il reprend trente ans, même si on ne parle plus de peine de sûreté. Mais ce jour-là, le juge commet des fautes de procédure et le procès est annulé. Aujourd’hui, c’est donc un troisième procès que Julie attend pour 2020, dans l’angoisse de voir ressortir libre son agresseur. « Il est en maison d’arrêt  » , explique-t-elle,  » Il est toujours présumé innocent donc on n’a pas le droit de l’enfermer trop longtemps. Si le troisième procès n’intervient pas rapidement, il pourrait être libéré ! »

Un comble pour les victimes. Alors, Julie et quelques autres ont décidé de parler en espérant faire avancer leur cause. « On se sent vraiment abandonnées « ,  estime la jeune femme,  » on veut juste que la justice nous écoute . Mais lors des procès, on ne parle que de lui. C’est son procès, pas le notre. Les tribunaux ne sont pas faits pour les victimes. Moi, à chaque fois que je suis passée à la barre je me suis dépêchée pour avoir le temps de dire des choses. »

Comme à toutes les victimes, on a dit à Julie qu’elle devait se faire accompagner. Mais, là encore, elle s’est trouvée démunie. « On nous dit qu’il faut aller voir quelqu’un mais on ne nous explique pas ce qui existe, regrette-t-elle, » j’ai rencontré la psy du commissariat pendant quelque temps, mais aller toutes les deux semaines là où j’avais porté plainte, ça devenait compliqué. » Ensuite, elle a fait de la kiné énergétique puis a découvert l’EMDR (1) ; « c’est ce qui m’a sauvée », dit-elle, « c’est une technique qui permet de chasser le traumatisme dans un autre coin du cerveau. » Un travail toujours à refaire tant que le procès n’est pas terminé ; «c’est fatigant psychologiquement », résume Julie,   » les tentatives de suicide, je pense qu’on y a toutes pensé, qu’on a toutes eu les mêmes idées noires. Il a détruit nos vies et il reste encore trop présent .»

 « Après le premier procès, je ne voulais pas d’enfant, je ne voulais pas de mec»

Sept ans après les faits, Julie continue à avoir recours à l’hypnose. Mais, un peu amère, elle constate : « lui, il a le droit d’aller voir des psychologues et tout est pris en charge ; nous, c’est pour notre pomme ! Maintenant que j’ai une famille ça m’embête de dépenser 80 € par mois pour ça alors que je pourrais m’en servir pour ma fille. »

« Après le premier procès, je ne voulais pas d’enfant, je ne voulais pas de mec » reconnaît Julie avec le sourire. Aujourd’hui, elle a hâte d’en finir avec cette sordide histoire pour se consacrer à sa famille. Si elle veut garder l’anonymat et envisage de prendre le nom de sa mère sitôt l’affaire terminée, c’est surtout pour protéger sa fille. « Ce qui m’angoisse aujourd’hui » dit-elle,  » c’est que lorsqu’il va ressortir, ma fille aura l’âge de celles qu’il viole. »

Pas facile pour elle de devenir maman. « Je ne voulais pas de garçon parce que j’avais peur que ce soit un violeur ; mais j’avais aussi peur d’avoir une fille parce que je ne voulais pas que ce soit une victime. Tant qu’il reste dans ma vie à cause des procès, je crois que je n’arriverai pas avancer réellement. C’est pas facile tous les jours, mais il ne mérite pas qu’on lâche ! »

Geneviève Roy Breizh Femmes

1 L’EMDR est une thérapie psycho neurobiologique basée sur la stimulation sensorielle

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