Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Retraites des femmes, ni réforme par points, ni statu quo mais des progrès indispensables 1/3

Le projet de réforme des retraites entraînerait une régression sociale majeure, en dépit du discours lénifiant du gouvernement, et de Jean-Paul Delevoye, ex-ministre délégué à la réforme. Le système actuel n’est pas favorable à l’égalité femmes-hommes et les femmes ne bénéficieront pas non plus d’un meilleur traitement avec la réforme envisagée par le gouvernement. Comment améliorer le système de retraites pour tendre à l’égalité ? 1

L’activité professionnelle croissante des femmes depuis les années 1960 a fortement contribué à leur autonomisation… mais aussi au financement des retraites grâce à un apport de cotisations nouvelles. Pourtant, alors que les femmes sont depuis les années 1990 plus diplômées que les hommes, les inégalités de salaire restent importantes (24 % tous temps de travail confondus) et ne se réduisent que très lentement. Les femmes continuent d’assumer l’essentiel des tâches domestiques et parentales, ce sont elles majoritairement qui se retirent, totalement ou partiellement, de leur emploi pour s’occuper des enfants, ce qui explique leurs carrières professionnelles en moyenne plus courtes. Salaires plus faibles et carrières plus courtes aboutissent alors à un écart de pensions entre les femmes et les hommes important : tous régimes de retraite confondus, cet écart est de 42 % pour les pensions de droit direct 2  et de 29 % lorsqu’on y ajoute la pension de réversion.

La retraite reflète et amplifie les inégalités professionnelles

La retraite ne fait donc pas que reproduire les inégalités de salaires, elle les amplifie. Ce constat a toujours été nié par les gouvernements successifs lors des « réformes » passées. Aujourd’hui, il est reconnu dans le rapport du Haut commissaire à la réforme des retraites : « le système actuel [de retraite] ne fait pas que refléter ces inégalités, il les amplifie » 3. Il est en effet devenu utile de critiquer le système actuel pour mieux promouvoir le nouveau système par points projeté par le gouvernement !

L’inégalité ne porte pas seulement sur le niveau de pension. Les femmes se trouvent contraintes de partir en moyenne un an plus tard à la retraite que les hommes du fait de carrières insuffisantes. Elles subissent plus souvent la décote 4, et avec une intensité plus forte. Leur pension, trop faible, est plus souvent rehaussée par un dispositif de minimum de pension : il concerne ainsi 45 % des femmes retraitées et 14 % des hommes 5. Malgré l’apport de ces minima, 37 % des femmes retraitées et 15 % des hommes touchent moins de 1000 € de pension brute de droit direct. Le Comité de suivi des retraites attire l’attention sur la réapparition d’un risque de pauvreté chez les retraité·es.

Une situation globale moins mauvaise qu’ailleurs,mais un besoin urgent d’améliorations

Par rapport à d’autres pays, notre système de retraites est plus avantageux car il permet d’assurer un niveau de vie moyen des retraité·es équivalent à celui de la population active. Ce qui n’est que normal. Mais, d’une part cette moyenne masque de fortes inégalités au sein de la population retraitée, particulièrement entre femmes et hommes. D’autre part, l’évolution en cours est très défavorable sous l’effet des réformes passées (durcissement des conditions pour obtenir une pension à taux plein, réduction des droits familiaux, indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, etc.). Il est donc urgent de prendre des mesures pour réduire les inégalités et en finir avec les pensions trop faibles. Le gouvernement projette un système universel de retraite par points, présenté comme plus juste, avec un plafonnement des dépenses de retraite à leur niveau actuel. Nous allons voir que ce projet constitue une régression par rapport au système actuel.

Le projet de système par points ne peut qu’être défavorable aux femmes: il ferait baisser le niveau des pensions et augmenter les inégalités entre les sexes

En dépit de la communication du gouvernement qui affirme que le nouveau système sera favorable aux femmes, la réalité est très différente. Car la logique d’un régime de retraite par points vise à ce que la pension d’une personne reflète au plus près la somme des cotisations versées tout au long de sa vie active. Comme l’indique JP. Delevoye : « si vous avez une belle carrière, vous avez une belle retraite, si vous avez une moins belle carrière, vous avez une moins belle retraite ». C’est une logique d’individualisation. En prenant en compte l’ensemble de la carrière, au lieu des 25 meilleures années pour le régime général ou des 6 derniers mois pour la fonction publique, un régime par points ne peut que faire baisser mécaniquement le niveau des pensions des personnes aux carrières courtes ou heurtées, femmes d’abord, de même que celles de très nombreux fonctionnaires : il intègre en effet les plus mauvaises années de la carrière dans le calcul de la pension, alors qu’elles en sont éliminées actuellement. Chaque période non travaillée, année de temps partiel, de congé parental, de chômage, de bas salaires fournirait peu ou pas de points : autant de manque à gagner pour la pension.

On peut rappeler l’exemple de la réforme de 1993 qui a constitué une première étape de prise en compte élargie de la carrière. Dans le régime général, elle a fait passer le salaire de référence servant à calculer la pension de la moyenne des 10 meilleures années à celle des 25 meilleures. Cette mesure a eu comme conséquence de faire baisser très sensiblement les pensions à la liquidation, et plus fortement encore celles des femmes 6.

Moins de solidarité = pénalisation plus forte des femmes

Dans un système par points, le lien entre la pension et les cotisations versées est plus étroit que dans un système par annuités, donc la part de solidarité dans la pension y est plus faible. On peut le vérifier dans les régimes complémentaires actuels par points (Arrco, Agirc, etc.) : la part de la solidarité dans le montant des pensions versées par ces régimes n’y est que de 6,9 % contre 23,1 % pour les régimes de base par annuités 7

La plus faible proportion de solidarité dans les régimes par points signifie une plus faible redistribution envers toutes les personnes aux carrières heurtées, les femmes notamment. On le sait, ce sont elles qui bénéficient en majorité des dispositifs de solidarité. Sans surprise donc, on constate que les inégalités de pension entre les femmes et les hommes sont bien plus fortes dans les régimes par points (écart de 59 % à l’Agirc, 39 % à l’Arrco) que dans les régimes par annuités (24 % au régime général).

Fonction publique : intégrer les primes ne peut pas suffire

Dans le système par points projeté, la prise en compte de toute la carrière au lieu des six derniers mois pour la fonction publique entraînera une baisse des retraites, ce qui n’est pas contesté par Jean-Paul Delevoye. Il est donc prévu que les primes des fonctionnaires soient intégrées dans le calcul de la pension, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais rien ne garantit que leur intégration suffise : tout dépend de leur montant. Dans de nombreux métiers, enseignant·es notamment, il n’y en a pas ou peu. Le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer a reconnu que « la réforme peut créer des problèmes pour les enseignants 8 » ! De manière générale, les femmes fonctionnaires perçoivent des primes significativement moins élevées que les hommes 9. La réponse officielle du Haut commissaire 10 est la suivante : « pour ceux dont le niveau de prime est faible, la construction du système universel de retraite pourra impliquer de revoir les rémunérations. Le Président de la République a ainsi indiqué qu’une réflexion sur la rémunération de fonctionnaires comme les enseignants et les chercheurs devrait être entreprise ». En attendant, tant pis donc pour ces fonctionnaires ? Surtout que ce qu’envisage le gouvernement serait une augmentation des rémunérations sur la base d’une augmentation des indemnités ou des parts variables de rémunération – ce qui ne peut pas convenir pas car ces dispositifs sont défavorables aux femmes du fait de leur temps global plus contraint.

Minimum de pension : une augmentation déjà promise en 2003

Le rapport Delevoye annonce que le minimum de retraite sera porté à 85 % du SMIC net, soit 1000 euros, pour une carrière complète. Tout d’abord, cette hausse du minimum, certes bienvenue en particulier pour les femmes, devrait être une réalité depuis longtemps : car la loi de 2003 fixait déjà ce même objectif, à atteindre en 2008. Ce qui n’a jamais été réalisé. Il est actuellement de 82 % pour les retraité·es de la génération 1955 11 et selon les projections actuelles, ne fera que baisser. On est en droit d’attendre que cet engagement soit respecté dès à présent !

Ensuite, le bénéfice du minimum entier correspond à une carrière complète, comme actuellement. Pour une carrière incomplète, ce montant est proratisé, ce qui est logique. Mais dans un régime par points, il n’y a – normalement – plus de notion de carrière complète. Le rapport indique que c’est la durée actuelle de carrière complète qui sera reprise… et allongée en fonction de l’espérance de vie : tout allongement constitue une contrainte plus sévère pour les femmes. Le rapport Delevoye n’hésite pas à présenter comme un progrès le fait que davantage de femmes seront « rattrapées par ce dispositif » ! Pour nous, le progrès serait au contraire que davantage de femmes réussissent à se constituer des droits à une pension suffisante, et n’aient donc pas à être rattrapées par un minimum retraite.

Droits familiaux : où est l’avancée majeure annoncée ?

Le gouvernement affirme que le nouveau système permettra une « avancée majeure pour les femmes » et attribuera des droits familiaux « dès le premier enfant 12 ». Comme si ces droits n’existaient pas déjà aujourd’hui ! Le système actuel est décrit comme simplement constitué de la majoration de 10 % de la pension pour 3 enfants et plus, les majorations de durée d’assurance attribuées pour tout enfant sont occultées. La question des droits familiaux nécessite de faire le point plus précisément pour comparer ce qui existe et qui est projeté.

Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac

1 Ce texte reprend des éléments de l’analyse Retraites Delevoye, un projet régressif, C. Marty.

2 Drees, Les retraités et les retraites, édition 2019, page 56.

3 Rapport Delevoye « Pour un système universel de retraite », juillet 2019, page 70.

4 Si la durée de carrière validée est inférieure à la durée exigée pour la retraite à taux plein, une décote de 5 % par année manquante est appliquée sur le montant de la pension. Cet abattement vient en plus du fait que la pension est déjà calculée au prorata de la durée validée rapportée à la durée exigée. C’est une double pénalisation.

5 JP. Delevoye, Égalité entre les femmes et les hommes, Droits familiaux et conjugaux, juin 2018.

6 Voir Réforme Delevoye, un projet régressif.

7 Drees, Dossier solidarité santé n°72 page12.

8 France info, le 15 novembre 2019.

9 Chloé Duvivier, Joseph Lanfranchi et Mathieu Narcy, « Les sources de l’écart de rémunération entre femmes et hommes dans la fonction publique », Économie et statistiques, no 488-489, 2016.

10 Consultation citoyenne sur les retraites, https://participez.reforme-retraite.gouv.fr/

11 Rapport annuel du COR 2019.

12 Rapport Delevoye, pages 21, 70, 71, 73.

Photo: On arrête toutes

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