Articles récents \ Culture \ Livres Jim Fergus : Les Amazones

Il serait dommage de parler des Amazones de Jim Fergus, sans aborder les deux précédents livres qu’il a écrits, le premier en 1998 Mille femmes blanches, le deuxième en 2016 La vengeance des mères. Les Amazones fait donc partie d’un tout, d’une grande fresque romanesque. Une fiction donc, mais qui est l’occasion d’évoquer ce qui se présente, avec le recul, comme un génocide bien réel, celui des indien.nes d’Amérique par les colonisateurs. Les Amazones est le dernier livre de cette trilogie exceptionnelle, qui met en avant le courage des femmes, la sociabilité des natives/natifs d’Amérique et la sauvagerie des blancs conquérants.

Dans Mille femmes blanches, le chef cheyenne Little Wolf propose au président américain Grant d’échanger mille femmes blanches contre mille chevaux. Il pense que le mariage entre ces Américaines et ses guerriers indiens facilitera l’intégration de son peuple à la nouvelle civilisation qui déferle sur son territoire. Cette proposition fait scandale évidemment, mais une centaine de ces femmes, emprisonnées, internées, endettées ou encore sans famille, se portent volontaires pour rester deux ans au côté des «sauvages», leur donner des descendant.es au sang mêlé, en échange de leur liberté. Cette histoire est présentée sous la forme de carnets intimes, écrits par May Dodd l’une de ces femmes. Perdus puis retrouvés dans les archives cheyennes par J.Will Dodd, journaliste, propriétaire du magazine de Chicago le Chitown et l’un de ses descendants, ces carnets paraissent par épisodes dans le journal. A travers eux, ce sont les portraits poignants d’une dizaine de ces femmes que l’on suit, que l’on comprend, avec lesquelles on pleure ou on rit, au côté desquelles on se révolte et on lutte. Jamais elles ne baissent les bras devant l’injustice et la violence gratuite et on les aime profondément pour cela.

Femmes blanches échangées contre des chevaux

Dans La vengeance des mères, le deuxième opus, certaines de nos héroïnes sont toujours là, tandis que d’autres ont disparu, victimes de violences. Celles qui restent font de plus en plus corps avec leur nouveau mode de vie, de moins en moins décidées à quitter leur peuple d’adoption, engagées dans des batailles sanglantes et meurtrières contre l’armée américaine qui n’a pas hésité à massacrer leurs enfants. Certaines sont encore partagées entre deux mondes, celui des blancs pourtant peu reconnaissants pour leur sacrifice et celui des natives/natifs auquel elles s’attachent de plus en plus. Une autre violence se déchaîne ici, plus organisée, l’intégration disparaît au profit d’un seul maître mot: extermination. Celle des bisons d’abord et celle des Indien.nes dans la foulée, décidée par le gouvernement américain. Ni concession, ni empathie, oubli des femmes blanches échangées contre des chevaux, pas de quartier! Les conquérants sont décidés à faire table-rase du passé pour récupérer les immenses territoires sauvages.

Enfin dans Les Amazones, livre paru 20 ans après le premier, Jim Fergus rappelle à bon escient que les blancs, après avoir envahi l’Amérique, ont chargé leur armée de massacrer les Indien.nes, de confisquer leurs terres, d’anéantir leur mode de vie, leur culture et leur croyance. Ils ont commencé par décimer le bison qui ne compte plus que quelques centaines de bêtes contre 30 millions au début du XIXème siècle. Les blancs sont allés jusqu’à voler les contes et histoires des Indien.nes qu’ils ont déformés pour cacher leur comportement odieux.

De nouveaux carnets sont découverts grâce à la descendante d’une de ces femmes blanches, confiés cette fois-ci à Jon Dodd qui a repris le magazine de Chicago après la disparition de son père. Ces journaux intimes sont ceux des sœurs Kelly, deux jumelles rousses et irlandaises pleines de gouailles qui n’ont pas la langue dans leur poche, complétés par ceux de Molly, ancienne institutrice emprisonnée pour meurtre.

Une armée de femmes

C’est la naissance des Cœurs vaillants. Une armée de femmes presque toutes blanches, de celles que le gouvernement américain a voulu échanger contre des chevaux. Après la défaite du général Custer, une bande s’est séparée de Little Wolf pour suivre son propre chemin. Témoins ayant assisté souvent impuissantes au massacre de leur peuple d’adoption, de leurs enfants, de leur mari, de leurs amies, elles décident de reprendre en main leur destin, s’arment, s’entraînent et livrent bataille pour devenir une armée fantôme et clandestine qui sèmera longtemps peur et confusion dans les rangs de l’armée américaine.

Il est dur de quitter Molly, Kelly, Susie, Gertie, Pretty nose, May, Phemie et les autres. Grâce à elles toutes, nous connaissons mieux le cœur des femmes: tantôt vaillant, téméraire ou tendre, tantôt cruel et rempli de vengeance. Mais nous connaissons aussi mieux la vie et la civilisation des natives/natifs d’Amérique: leur lien avec la Nature, le respect des hommes envers les femmes, leur croyance et leur courage. Par leurs voix c’est aussi une dénonciation du traitement qui a été infligé par les colonisateurs et leurs descendants au peuple indien, invitant la lectrice/le lecteur à ouvrir les sources historiques pour prendre la mesure de cette tragédie et déterminer qui sont les sauvages.

Laurence Rigollet 50-50 Magazine

Jim Fergus Les Amazones Ed Cherche midi 2019

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