Articles récents \ Île de France \ Politique Hélène Bidard : « Dans les cours “Oasis” sont construits des jeux mixtes : marelles, escargot, à la place des terrains de foot  » 2/2

Hélène Bidard est adjointe auprès d’Anne Hidalgo, chargée de toutes les questions relatives à l’égalité femmes/hommes, la lutte contre les discriminations et des Droits Humains. A quelques semaines des élections municipales, il était nécessaire de faire le point avec elle sur ce qu’a construit la Mairie de Paris sur les questions des violences faites aux femmes, de la lutte contre la prostitution, des femmes SDF, de l’égalité filles/garçons au collège etc.

Parlez nous de la cité de l’égalité.

Il existe plusieurs projets autour de la Cité de l’égalité. Entre 2001 et 2008, on parlait d’une cité des femmes, c’est Anne Hidalgo, alors adjointe à l’égalité femmes/hommes qui en parlait. Elle voulait que cela soit un lieu dédié au féminisme, à la culture et aux droits des femmes. Et puis en 2014, Anne Hidalgo nous reparle de ce projet qui n’avait pas pu aboutir à cause du problème de gestion de ce site. Il n’y avait pas, à ce moment là, d’associations qui avait été identifiées pour pouvoir gérer une cité des femmes sur le biais culturel.

Nous avons donc relancé le projet en faisant une concertation auprès des associations, notamment sur l’idée de ce que serait aujourd’hui une cité du féminisme, des droits des femmes ? Quel serait l’intérêt ?

Nous avions deux objectifs. Évidement l’angle culturel mais porté par et pour les associations, le co-working mais aussi le travail en réseaux. Et pour cela, nous avons trouvé la Fondation des Femmes susceptible de gérer un tel lieu parce que la Fondation des femmes était alors justement en train d’organiser ‘Les Voisines’ (1). Nous leur avons donc proposé de recréer “les Voisines” mais en XXL.

Il y avait aussi pour nous l’idée d’avoir un lieu qui soit un accueil unique pour les femmes victimes de violences.

Mon idée était de tout rassembler en un seul lieu mais c’est compliqué de trouver plusieurs milliers de mètres carrés à Paris. Et nous avons eu l’énorme chance de trouver une école rue de Vaugirard dans le 6éme qui n’allait plus être une école. Le bâtiment est toujours en travaux et devrait ouvrir en mars 2020. Cet endroit sera un lieu où l’on fera vivre le féminisme avec une présence importante et une mise en réseaux des associations. Il y aura une possibilité d’accueil des femmes victimes de violences par des permanences tenues par des associations. Ce n’est pas la vocation première de ce lieu mais il est important de pouvoir le faire. Nous voulons par ailleurs que l’Etat crée un lieu unique d’accueil des femmes victimes de violences à Paris. Sur cette question, nous avons besoin de l’Etat parce qu’il faut qu’il y ait les unités médico-judicaires, la possibilité de déposer plainte etc. Ce sont des services qui relèvent de l’Etat. 

Ce lieu unique devra proposer l’hébergement en même temps ?

Non, l’objectif est de pouvoir déposer plainte, rencontrer les services sociaux, rencontrer les associations. Tous ces services seront au même endroit afin de ne pas demander aux femmes de se déplacer. Bien entendu, il faudra penser un lien étroit avec les lieux d’hébergement et les services du logement, pour les orienter au mieux.

Mais nous ne pouvons pas du tout construire cela sans l’Etat. Pour déposer plainte, il faut que la Préfecture de Police soit impliquée. Les unités médico-judiciaires sont vraiment une prérogative  de la justice et de la santé.

Ou en est l’égalité professionnelle à la ville de Paris ?

La ville de Paris a autour de 60 000 agent.es. En interne de la ville de Paris, nous avons surtout travaillé à obtenir le label ‘AFNOR égalité femmes/hommes’ et l’autre label ‘diversité’. Je le prends comme un début de travail. La ville est labellisée par l‘AFNOR’ depuis juillet 2019.

Et puis ce 8 mars, nous organisons le 2ème forum féministe parisien sur l’égalité professionnelle en posant la question de l’égalité salariale, de la mixité des métiers, de l’orientation, en posant toutes les problématiques qui font qu’aujourd’hui il n’y a pas d’égalité professionnelle. Et nous ferons le lien avec l’actualité, en particulier avec la question des retraites des femmes qui sont très inférieures à celles des hommes. Nous recenserons les bonnes idées pour obtenir l’égalité professionnelle réelle, car aujourd’hui, les 13 lois qui existent en France ne sont pas effectives.

Nous travaillons également sur l’insertion professionnelle depuis plusieurs années en finançant un grand nombre d’associations qui œuvrent à lever les freins à l’emploi pour les femmes, qui travaillent sur l’accès aux droits des femmes précaires dans l’emploi ou qui soutiennent entrepreneuriat féminin solidaire. Je pense à Femme égalité que nous avons beaucoup soutenu et qui travaille particulièrement avec les femmes de ménage, les femmes précaires. Ce sont des femmes qui sont dans l’emploi, qui ont un salaire et qui restent extrêmement précaires avec des horaires décalés, avec une pénibilité qui n’est pas reconnue. Il y a encore un gros travail à faire à Paris sur ce problème.

Qu’en est-il de vos luttes contre les discriminations ?

Par définition dans le référentiel lutte contre les discriminations, tous les critères (25 à ce jour) concernent les femmes. Que ce soit le genre, l’état ou la présomption de grossesse (et les suites, exemple: la non reprise du poste après le congé maternité), l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Et puis, il y a d’autres phénomènes de discrimination, qui tendent à être invisibilisés alors mêmes qu’ils sont tout aussi illégaux que les autres, tel celui de l’apparence physique.  Je pense notamment à la grossophobie, une forme spécifique de rejet, de mépris, d’hostilité visant les personnes de forte corpulence ou socialement perçues comme telles. La grossophobie ne concerne pas que les femmes, mais on remarque que dans les cas concrets, ce sont les femmes qui sont le plus touchées par cela.

On peut être victime de grossophobie à l’école, dans l’espace public et au travail voire dans l’accès au travail. On peut voir sa candidature à un poste non retenue du fait de sa corpulence. D’ailleurs, le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail ont démontré que les femmes obèses étaient huit fois, et les hommes obèses trois fois plus discriminé.es à l’embauche à cause de leur apparence physique que celles et ceux ayant un indice de masse corporelle (IMC) dit “dans la norme”. C’est une vraie discrimination qui crée de la souffrance, qui touche 1/6 de la population (concernée par le surpoids), 1/4 des personnes au RSA. Donc ce sont les personnes précaires qui cumulent les discriminations. Gabrielle Deydier (2) disait que ‘la carte du chômage est la carte du surpoids’. Pour nous il y avait un enjeu à faire vivre et à connaître cette discrimination spécifique, à la rendre visible. Parce que c’est une discrimination de plus qui se cumule avec toutes les discriminations que subissent les femmes.

Et de même avec la transphobie et la lesbophobie, qui sont des causes qui me tiennent à cœur, parce que l’homophobie en général est liée au patriarcat et nous la combattons. Mais il faut à l’intérieur du combat contre l’homophobie, rendre visible la lesbophobie et la transphobie, qui sont d’autant plus violentes que justement, elles se cumulent avec le sexisme. Les études sur la lesbophobie montrent que les personnes concernées ne s’affichent pas avec leur compagne pour ne pas subir de violences en anticipation de ce qui pourrait leur arriver. Et c’est d’autant plus fort chez les personnes lesbiennes et trans, plus fort que chez les personnes gays. Par exemple, les gays vont oser se tenir la main dans le quartier du Marais mais pas forcément les lesbiennes, qui ne vont le faire nulle part sauf dans deux bars à Paris.

Quand on lutte contre le sexisme et le patriarcat, on lutte forcément contre les LGBT-phobies. Pour moi, ce combat est intrinsèque au combat féministe. Tout comme lorsque l’on est féministe, on lutte contre le racisme. Aujourd’hui, on voit bien que l’extrême droite s’approprie ces thématiques là alors qu’en réalité, ils vont à contrario des droits des femmes. Tout le monde peut se déclarer féministe mais il y a une réalité qui les rattrape: il faut de la cohérence entre les paroles et les actes.

Pour développer une politique publique d’égalité efficace je trouve pertinent de coupler, au sein de ma délégation, les questions relatives à la lutte contre les discriminations, avec celles relatives à la lutte pour l’égalité femmes/hommes parce qu’il y a des convergences importantes à organiser entre ces deux domaines de luttes.

Où en est votre travail dans les crèches, au Collège ?

Nous avons commencé à travailler avec 10 crèches volontaires. Nous avons formé des professionnel.les à l’éducation sans discrimination. Qu’elles/ils aient une approche égalitaire avec les petites filles et les petits garçons. Elles/ils ont donc travaillé sur les catalogues des jouets, sur l’organisation même des crèches.

Aujourd’hui, ce travail s’élargit avec la formation de plus de professionnel.les. Nous avons fait un 8 mars sur la question de l’éducation à l’égalité et là aussi nous avons travaillé avec des professionnel.les des centres de loisir, avec les référent.es éducatives/éducatifs de la Ville. Ce sont elles/eux qui prennent le relais après les temps scolaires. Et nous les formons aussi à l’égalité.

Nous avons aussi mis en place des cours de récréation qu’on appelle, les cours “Oasis. L’idée est de travailler sur le partage de l’espace entre les filles et les garçons. Et cela concerne uniquement les grandes villes, où les municipalités organisent et entretiennent les bâtiments. Et ainsi par exemple, au lieu de construire un terrain de foot en goudron, qui prend 80 % de l’espace de la cour d’école, avec uniquement des garçons qui jouent dedans et des filles qui sont derrière des arbres, on remanie ces espaces.

Nous cherchons à allier les objectifs du développement durable, lutter contre le réchauffement climatique et les objectifs d’égalité filles/garçons.

Dans ces cours “Oasis” sont construits des jeux mixtes : marelles, escargot, à la place des terrains de foot. On dé-impermabilise le sol, c’est à dire qu’on retire le goudron, pour enlever les îlots de chaleur et on le remplace par des espaces verts, des jardins afin de pouvoir faire des plantations avec les enfants, une activité mixte ! Avoir des animations qui vont dans le sens de l’égalité est une chose qui me paraît importante. Cela concerne les maternelles et les écoles élémentaires. Nous avons construit 30 cours Oasis et nous voulons continuer, à chaque rénovation de cour d’école.

Et en ce qui concerne les collège, nous avons le projet ‘Collèges pour l’égalité’. Ces dernières années le budget a été augmenté. Depuis que je suis arrivée, nous sommes passé.es de 120 000€ à 200 000€ pour soutenir financièrement des associations qui vont intervenir dans les collèges pour de la sensibilisation auprès des jeunes. Cela peut être sur la question de l’éducation à l’égalité, par exemple sur la question du tabou des règles qu’on a beaucoup mis en avant en 2019. Cela peut être aussi en lien avec la lutte contre le racisme, la lutte contre les LGBT-phobies. Ce sont des ateliers contre toutes les discriminations et pour l’égalité filles/garçons. Et on essaie d’avoir des associations qui font le lien entre ces trois questions lors de leurs interventions.

Nous avons aussi crée le violentomètre, en partenariat avec l’observatoire de Seine Saint Denis et avec ‘En avant toutes’ dans le but d’aller discuter avec les collégien.nes qui expérimentent les premiers amours vers la 4ème, 3ème avec l’idée de travailler sur le consentement et le rapport à l’autre. Parce nous sommes conscient.es d’un manque cruel d’éducation à l’égalité et d’éducation sexuelle, notamment au collège mais aussi au lycée. Il y aussi le problème de la pornographie à laquelle les ados ont accès de plus en plus jeune. Il y a donc vraiment un enjeu à renforcer l’éducation à l’égalité, au consentement et au rapport amoureux.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50 – 50 Magazine

1 Les Voisines : premier espace de travail partagé pour les associations droits des femmes

2 Autrice de On ne naît pas grosse, fondatrice du webzine Ginette le mag.

 

 

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