Articles récents \ Île de France \ Économie Atout Majeur, une association en grand danger

Créé en 2004 par Zoubida Belkebir, Atout Majeur est un centre d’accompagnement spécialisé dans l’insertion sociale et professionnelle de femmes très éloignées de l’emploi, ayant pour la plupart vécu des violences conjugales, économiques ou d’ordre humanitaire (réfugiées). Il a pour objectif de lutter pour faire reculer l’exclusion, le chômage, l’illettrisme, l’analphabétisme, les discriminations et promouvoir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, chaque jour, le centre accueille plus de 200 femmes, issues de 57 nationalités différentes. Fort du travail accompli depuis plus de 15 ans, Atout Majeur jouit d’une grande reconnaissance auprès des pouvoirs publics.  Pour autant, si rien n’est fait, Atout Majeur va disparaître car il ne reçoit plus les fonds européens octroyés depuis de nombreuses années. Sans compter d’autres subventions promises qu’il n’a toujours pas perçues. Nous republions l’interview de Zoubida Belkebir qui expliquait le sens de son travail. 

Quels sont les objectifs d’Atout Majeur ? Quels ateliers proposez-vous aux femmes immigrées ?

Atout majeur propose plusieurs formations selon les besoins des femmes. Les horaires des cours sont calées sur celles des écoles.

Nous proposons des ateliers de linguistiques au féminin. Autrefois, nous avions 3 ateliers avec des niveaux différents : un pour les analphabètes qui sont non lectrices, non scripteuses, et qui ne savent même pas tenir un stylo, un pour les illettrées, et un pour les plus avancées. Mais le problème est qu’aujourd’hui l’apprentissage de la langue n’est plus subventionné par l’Etat, bien que ce soit toujours une priorité nationale. Nous nous sommes battues par le passé pour que la non maîtrise de la langue française soit inscrite dans le cadre des 27 critères de discriminations.

Atout Majeur a dû fermer deux groupes d’apprentissage de la langue. Cette année, nous avons refusé l’inscription à 300 femmes. Nous avons fait le choix de garder le groupe alphabétisation, car si ces femmes n’ont pas l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, elles sont totalement exclues de la société. Paradoxalement, les missions locales et Pôle emploi nous appellent régulièrement pour nous envoyer des femmes à former. Nous sommes contraintes de les refuser car l’apprentissage de la langue française des immigrées n’est plus du tout financé.

Nous proposons une autre action « femmes autonomes » sur l’autonomie dans la vie quotidienne. Il s’agit d’apprendre à suivre la scolarité de son enfant, prendre un rendez vous chez le médecin, savoir remplir les documents administratifs, savoir prendre les transports en commun etc. Nous inscrivons les femmes dans un parcours d’accompagnement global. Nous levons tous les freins sociaux à l’emploi, à l’intégration, et à l’insertion.

La troisième action est « femmes actives » avec pour objectif le retour l’emploi, l’entrée dans une formation qualifiante ou la création d’entreprise. Parmi ces femmes immigrés, il y a des ingénieures, des analystes financières, des mathématiciennes, des professeures d’université, des pilotes de lignes etc. Elles n’ont pas d’équivalence en France. Il n’y a en France qu’un organisme qui permet  de délivrer une équivalence. L’année dernière une avocate algérienne a contacté cet organisme qui lui a donné une équivalence pour être aide soignante dans un hôpital ! Quel rapport ?! Même les Européennes n’ont pas leur équivalence alors qu’il y a une uniformisation des formations au niveau européen. Nous ne voulons pas que les femmes sur-diplômées dans leur pays d’origine fassent le ménage alors qu’elles ont fait 6 ans d’études supérieures !

Nous avons également des ateliers sociaux linguistiques, développés pour l’autonomie et le réemploi. Ils accueillent des femmes autonomes dans la vie quotidienne mais qui ne connaissent pas la culture d’entreprise, le droit du travail, les structures d’emploi et d’insertion. Ces femmes sont trop autonomes pour entrer dans le groupe « femmes autonomes » et pas assez pour participer à « femmes actives ». Nous leur faisons découvrir toutes les structures et les aidons dans leurs démarches administratives.

Qu’est ce que les ateliers transversaux ?

Nous proposons également des ateliers transversaux qui permettent aux femmes de compléter leurs compétences et de lever tous les freins sociaux. On a des ateliers d’accès aux droits, d’accès aux soins et à la santé, sur la citoyenneté et les valeurs de la République, sur les nouvelles technologies et la fracture numérique. Les institutions publiques commencent à tout dématérialiser ; alors qu’elles sont déjà exclues de la formation, de l’emploi, ces femmes vont être de plus exclues du numérique. Dans le cadre de la fracture numérique, nous n’arrivons pas à avoir des subventions alors que c’est également un priorité. Nous avons eu la chance de faire un partenariat avec une école d’informatique IN’TECH à Ivry : 12 ingénieur.e.s forment les femmes à l’utilisation d’internet, des réseaux sociaux, du pack office, à créer une boite email etc.

Nous avons un autre atelier « lutte contre les discriminations et égalité femmes/hommes ». L’association leur apprend ce qu’est une discrimination selon la loi, ce qu’est le Défenseur des Droits. Nous analysons également avec elles, si ces droits sont acquis dans leur pays ou non. Parfois nous avons des surprises. Par exemple, au Sri Lanka, les maris portent le nom de famille de leur femme. Il y a donc des confusions dans les préfectures françaises qui mettent sur leurs papiers d’identité le nom de leur mari. Pour elles, la France est le pays des droits humains, mais lorsque l’on fait avec elles l’historique des droits acquis par les femmes, elles sont très choquées.

Quels sont vos autres outils d’insertion ?

Depuis 12 ans, nous faisons du théâtre avec le théâtre Aleph. « Femmes autonomes » va partir 3 semaines tous les après-midi monter une pièce de théâtre sur la santé et l’inégalité face à l’accès aux soins. Le théâtre est un outil d’insertion formidable pour reprendre confiance en soi. Les thématiques peuvent être dures et violentes? mais il y a toujours un message d’espoir. Une deuxième pièce s’articulera autour des violences faites aux femmes.

Nous avons un partenariat important avec le Comité départemental de l’aviron et de la voile, commencé l’année dernière, lors de notre action « insertion par le sport » pendant lequel nous avons fait de l’aviron et de la voile sur le lac Choisy/Créteil. Nous allons aller encore plus loin en installant une salle indoor grâce à des ergomètres qui reproduisent les gestes de l’aviron, pour que les femmes qui sont malades, qui sont handicapées ou qui ne savent pas nager, puissent participer à cet atelier sans aller sur l’eau. L’année prochaine, nous souhaitons développer un atelier « sport et santé » : le sport permet l’insertion des femmes, la création de liens sociaux, l’apprentissage du dépassement de soi, et la protection de la santé. Par exemple, la pratique de l’aviron réduit de 30% le risque de rechute chez les femmes ayant eu un cancer du sein.

L’année prochaine nous allons construire un partenariat avec des médecins qui souhaitent donner bénévolement 2h/mois de leur temps pour former les femmes sur la santé. Il y a aura des neurologues, des diabétologues, des cancérologues, des gynécologues, des pédiatres, des anesthésistes, des infirmières. Nous allons monter un comité de pilotage pour diagnostiquer les besoins des femmes.

Nous avons un autre atelier « citoyenneté, valeurs de la République et laïcité ». Nous avons fait des formations avec l’Adric, sur la façon de parler de la laïcité à des femmes qui ne maitrisent pas la langue et qui ne savent pas du tout ce que c’est. Nous les formons à la politique. Par exemple, nous avons des Françaises d’origine asiatique qui assimilent le PC français à Mao Zedong ou Ho Chi Minh. Nous nous sommes également rendues compte qu’il y avait des Françaises qui ne savaient pas lire. Elles avaient voté Jean-Marie Le Pen aux présidentielles de 2007 parce qu’il souriait sur ses affiches de campagnes et avait l’air sympathique. Dans les bureaux de vote, elles n’avaient pris qu’un seul bulletin avant d’aller dans l’isoloir.

Nous avons organisé une votation citoyenne en 2012 qui simulait les deux tours des élections. Un imprimeur nous a donné les cartes d’électrices/électeurs, les bulletins de vote et les affiches et nous leur avons appris les règles des élections. Nous les avons formé à tenir des bureaux de vote, à aider au dépouillement. C’est important qu’elles aient un engagement citoyen. En 2017, nous avons parlé de l’actualité politique, des affaires de François Fillon etc. Ce qui est amusant c’est qu’elles sont 100 fois plus européanistes que nous et elles ne comprennent pas pourquoi nous ne valorisons pas plus l’UE. Elles trouvent qu’en France nous ne nous rendons pas compte de la chance que nous avons.

Quel type de pédagogie proposez-vous ?

Nous faisons de la pédagogie interactive, active et de classe renversée et pas sur les anciens schémas. Nous ne prenons pas de prérequis. Nous mettons les femmes dans les groupes par rapport à leurs besoins. Elles apprennent « autrement ». Les femmes qui entrent chez Atout Majeur en janvier, savent s’exprimer correctement et se faire comprendre en décembre et ont atteint l’objectif de l’atelier.

Parfois les femmes arrivent dans une formation en nous disant qu’elles ne savent rien faire. Je leur réponds que cela n’existe pas une femme qui ne sait rien faire ! Elles savent gérer un budget, payer un loyer, inscrire leurs enfants à des activités. C’est comme si elles géraient une petite entreprise. Ce sont des compétences ! Donc nous essayons aussi de les valoriser et de leur montrer qu’elles savent faire des choses bien qu’elles n’aient pas la maitrise de la langue française. Ce qui me met hors de moi c’est qu’elles ne parlent pas français mais que certaines parlent 5 langues ! Celles qui ont fait des études supérieures dans leur pays d’origine ont déjà la compétence d’apprendre à apprendre.

Propos recueillis par Salome  50-50 Magazine

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