Articles récents \ Île de France \ Société Stop au tabou : l’IVG, un protocole méconnu, un droit qui ne fait pas l’unanimité

Une femme sur trois a recours à une IVG ou plus dans sa vie. Quel est le protocole de l’IVG ? Où se rendre ? Comment faire ? Autant de questions que se posent les femmes. Le droit à l’IVG pour toutes, obtenu il y a 45 ans, reste aujourd’hui un acte médical « tabou » dont les difficultés d’accès limitent parfois sa pratique. La Fédération Régionale Ile-de-France du Planning familial a réalisé, en novembre 2019, une enquête : « L’accès à l’IVG en Ile-de-France ».

Pour commencer, la femme doit se rendre à une première consultation médicale pour annoncer son souhait d’avoir recours à une IVG. Elle y reçoit l’ensemble des informations sur les différentes méthodes (instrumentale et médicamenteuse), les structures qui la pratiquent, les risques et effets secondaires possibles. Un.e docteur.e, un.e sage-femme ou un.e conseillère conjugale et familiale doit lui proposer un entretien psychosocial (facultatif pour les majeures mais obligatoire pour les mineures). A la suite de cet entretien, elle doit respecter un délai de 48h avant de remettre son consentement par écrit si elle est mineure. Ce délai ne s’impose pas à la personne majeure qui donne son consentement à/au docteur.e ou à la sage-femme dès qu’elle le souhaite, indiquant la méthode et le lieu choisi pour la réalisation de l’IVG.

L’ensemble des frais liés à l’IVG est remboursé à 100% par l’assurance maladie.

Méthode instrumentale ou méthode médicamenteuse ?

La méthode instrumentale se pratique jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée (SA) (1). Elle est réalisée par un.e docteur.e qui va, à l’aide d’instruments dédiés, dilater le col utérin afin d’y insérer une canule permettant d’aspirer la grossesse à l’intérieur de l’utérus. Elle est pratiquée sous anesthésie locale ou générale dans un établissement de santé (hôpital, clinique) et depuis peu, sous anesthésie locale uniquement, dans certains centres de santé habilités.

La méthode médicamenteuse, quant à elle, s’effectue en deux temps. Au cours d’un rendez-vous médical, la femme prend de la mifépristone pour préparer le col de l’utérus à l’interruption de grossesse. Entre 26h et 48h plus tard, 30 minutes avant la prise du misoprostol qui va provoquer des contractions utérines et l’expulsion de la grossesse, elle prend des antalgiques pour atténuer les douleurs liées aux contractions. Ces douleurs peuvent être comparables à celles des règles, cependant elles sont très variables d’une femme à l’autre. Les saignements surviennent, dans 60% des cas, environ 4h après la prise du misoprostol, et dans 40% des cas, dans les 24 à 72 heures qui suivent.  Les saignements durent généralement une quinzaine de jours, ils diminuent progressivement. Durant la semaine qui suit l’IVG il est recommandé de ne pas utiliser de tampon, d’éviter de prendre des bains et d’aller à la piscine et d’éviter les pénétrations vaginales. Cette méthode est réalisée sans anesthésie sur prescription d’un.e médecin un.e ou d’un.e sage-femme jusqu’à 7 à 9 SA. Elle est proposée jusqu’à 7 SA en ville par un Centre De Santé (CDS), un Centre de Planification et d’Education Familiale (CPEF), un.e médecin ou un.e sage-femme. Jusqu’à 7 SA, l’IVG peut avoir lieu au domicile de la femme. Entre 7 et 9 SA, l’IVG médicamenteuse a lieu dans un établissement de santé.

Après l’IVG, quelle que soit la méthode, la femme doit réaliser une visite de contrôle. Un entretien psychosocial facultatif lui sera proposé.

À tout moment de ses démarches, la femme peut aussi appeler le numéro national anonyme et gratuit « Sexualités-Contraception-IVG » : 0800 08 11 11. Les écoutantes du Planning Familial proposent : écoute, information et orientation sur toutes les questions liées à l’IVG.

Les chiffres de l’IVG en France 

On note une croissance importante du recours à l’IVG médicamenteuse entre 2001 et 2018 (2). Si en 2001, 1/3 des IVG était médicamenteux, aujourd’hui les 2/3 le sont. En 2018, sur les 224 338 IVG réalisées en France, 69% étaient médicamenteuses.

Une femme sur trois a recours à au moins une IVG dans sa vie. Depuis les années 1990, les taux annuels d’IVG restent constants, s’élevant autour de 15 IVG pour 1 000 femmes résidentes en France et âgées de 15 à 49 ans. Cependant de grandes inégalités de recours à l’IVG existent d’une région à l’autre. En Pays de la Loire, le taux de recours est de 10,9‰ tandis qu’en Provence-Alpes-Côte d’Azur il est de 22‰. Dans les Départements et Régions d’Outre-Mer (DROM), les taux de recours dépassent largement ceux de la métropole atteignant en Guadeloupe jusqu’à 38,5‰ en 2018.

En 2018, 75% des IVG ont été pratiquées en milieu hospitalier, dont 67% dans des établissements publics.

En France, ¼ des IVG sont réalisées en Ile- de- France. En effet, l’IDF est une région qui possède une des plus importantes offres de soins, 28% des conventions entre les praticien.nes libérales/libéraux, des CPEF ou CDS sont établies en IDF. Fortement mobilisée, la région IDF fait partie d’un réseau régional de santé REVHO (3) qui œuvre à l’amélioration de l’accès à l’IVG, et à la contraception. Ce réseau s’engage à former davantage de professionnel.les, à améliorer les conditions d’accès et d’accueil à l’IVG, veille à la sécurité des soins et garantit la fiabilité et l’accessibilité des informations divulguées.

« Une déviance morale légale »

Même si cette année, on célèbre les 45 ans de la loi Veil, l’avortement reste perçu comme « une déviance morale légale » selon la sociologue Sophie Divay (4).

Une enquête réalisée en 2015 par l’Agence Régionale de Santé (ARS) en Ile-de-France sur l’expérience de l’IVG, montre qu’un tiers des femmes témoigne de difficultés d’accès ou d’accompagnement. Parmi ces femmes, 15% déclarent avoir subi des pressions psychologiques de la part d’un.e professionnel.le de santé et 12% évoquent des commentaires inappropriés, voire culpabilisants.

Dans notre société où l’injonction à la maternité reste forte, la femme en demande d’IVG est souvent doublement culpabilisée lorsqu’elle approche la trentaine, et/ou vit en couple et/ou a un emploi stable.

Bien qu’une loi sur le délit d’entrave à l’IVG ait été votée en 1993 et étendue au numérique en 2017, les groupes anti-IVG restent actifs sur les réseaux sociaux et internet. C’est le cas par exemple du site ivg.net qui publie des articles alarmistes sur les risques liés à l’IVG, ou du compte Instagram : « IVGvous hésitez ? » dont les publications telles : « tu me manques mon bébé » ou « désolée de t’avoir enlevé la vie » tentent d’influencer les femmes hésitantes face à leur choix.

Des barrières structurelles et des inégalités d’accès à l’IVG

Selon les sociologues Marie Mathieu et Lucile Ruault (5), la réalisation d’une IVG est un acte médical peu valorisé, voire techniquement réputé comme étant médiocre, peu rémunérateur et disqualifiant.

Par ailleurs, certain.es docteur.es abusent de leur clause de conscience notamment lorsque les femmes sont enceintes entre 12 et 14 SA.

Entre 2007 et 2017, 8 % des centres proposant l’IVG ont fermé. Ces fermetures ont eu des conséquences directes sur la surcharge de demandes auprès des autres établissements.

Parfois les temps d’attente pour une demande d’IVG peuvent conduire certaines femmes à dépasser le délai légal en France. Dans ces cas d’urgence, seules les femmes ayant les moyens financiers nécessaires peuvent avorter à l’étranger.

Dans certains établissements pratiquant l’IVG, le choix de la méthode (instrumentale/médicamenteuse) et/ou de l’anesthésie (locale ou générale) dans le cas de l’IVG instrumentale, n’est pas proposé. D’autres encore n’ont même pas de secrétariat dédié à l’IVG et/ou sont difficilement joignables et/ou enfreignent la loi en réclamant une autorisation parentale pour la réalisation d’une IVG pour une mineure.

Encore aujourd’hui, une partie des centres IVG dans les hôpitaux ne possèdent pas leur propre espace. Ainsi, lorsque les femmes se rendent dans les hôpitaux en vue d’avorter, elles sont contraintes de traverser les couloirs de la maternité ou de se rendre au « département mère-enfant ».

La prise en charge à 100% du forfait IVG n’est pas toujours appliquée, notamment lorsque la personne concernée est sans papier, ni couverture maladie.

Dune Kreit 50-50 Magazine

 

Enquête réalisée entre septembre et novembre 2019 par Justine Poteau pour la Fédération Ile-de-France du Planning Familial

1 Les semaines d’aménorrhée se calculent à partir de la date du jour des dernières règles

2 Données provenant du numéro de septembre d’études et résultats de la Direction de la Recherche, des Etudes de l’Evaluation et des Statistiques (DREES).

3 REVHO : Réseau Entre le Ville et l’Hôpital pour l’Orthogénie.

4 Divay S. (2004). L’avortement : une déviance légale, Déviance et Société, 28 .

5 Mathieu, M. & Ruault, L. (2014). Prise en charge et stigmatisation des avortantes dans l’institution médicale : la classe des femmes sous surveillance. Politix, 107(3), 33-59. 

 

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