Articles récents \ Monde Cécile Duflot :  « 25 ans après les grands discours à Pékin, il faut passer aux actes »

Cécile Duflot est la directrice générale d’Oxfam France. Cette association ambitionne d’éradiquer les injustices et la pauvreté dans le monde, notamment les inégalités femmes/hommes. Un objectif partagé avec le Forum Génération Egalité qui se tiendra à Paris à une date encore inconnue (la pandémie de coronavirus a poussé l’organisation à décaler le Forum, initialement prévu en juillet), 25 ans après la Conférence de Pékin.

Dans votre dernier rapport, vous dites « les hommes détiennent 50 % de richesses de plus que les femmes dans le monde. Ce sont aussi eux qui cumulent le pouvoir économique et politique. Sans surprise, les femmes sont celles qui subissent le plus les inégalités. Elles assurent des métiers à forte dimension d’utilité sociale, les métiers les plus mal payés. » Donc en 25 ans le tableau est toujours très sombre en ce qui concerne l’égalité des sexes ?

C’est compliqué. Mais en 25 ans, nous n’avons pas avancé autant qu’on aurait pu l’imaginer. Les textes signés à Pékin représentent encore aujourd’hui des textes de référence et si on devait réécrire un texte maintenant, je pense qu’il serait moins progressiste que ceux de 1995. À cause notamment de la montée en puissance des conservateurs. Mais on constate aussi, dans le même temps, une révolution des femmes par elles-mêmes. Prenons l’exemple de MeToo. Nous ne pouvons pas compter uniquement sur les politiques. Des engagements de toutes et tous sont nécessaires car nous ne pouvons pas attendre 99,5 années pour atteindre la parité. Mais la révolution se fait par le bas, par l’empouvoirement des femmes elles-mêmes, il faut soutenir et financer les mouvements féministes !

Pensez-vous que la France a les outils, l’ambition nécessaire pour porter un tel événement et réduire les inégalités dans le monde ?

L’égalité, c’est une question de volonté. Et c’est une volonté qui n’est pas là. Les femmes sont encore sous représentées dans les instances politiques et économiques, nous sommes très en retard sur le congé de paternité, donc sur un certain nombre de questions la France n’est pas un exemple. Le gouvernement avait promis un fond de 120 millions d’euros pour financer les associations féministes dans les pays les plus pauvres. Nous l’attendons encore. Il y a une vraie différence entre les discours et la réalité. 

Pensez-vous qu’un tel événement peut réellement améliorer la situation ?

25 ans après les grands discours il faut passer aux actes. La mobilisation de la société civile est extrêmement importante. Au-delà des engagements signés et politiques, il faut une traduction dans les actes. Et ça passera par les associations, sur le terrain. 

Dans ce rapport, vous écrivez « à l’horizon 2025, jusqu’à 2,4 milliards de personnes pourraient vivre dans des zones où les réserves d’eau sont insuffisantes. Les filles et les femmes devront donc parcourir à pied des distances toujours plus longues pour collecter de l’eau. Le changement climatique réduira également la quantité de denrées alimentaires produites et les maladies seront plus nombreuses, ce qui accentuera la pression et la somme de temps demandée aux filles et aux femmes, qui devront assurer la charge de travail supplémentaire et y consacrer encore plus d’heures dans leur journée. » Le Forum Génération Égalité a déterminé 6 Coalitions d’action, parmi lesquelles l’« Action féministe pour la justice climatique ». Qu’attendez-vous de cette Coalition d’action ? 

Nous avons besoin de rendre visible cette réalité. Nous devons mettre la question du genre au centre des préoccupations liées au changement climatique. Les femmes sont plus nombreuses à être victimes du réchauffement climatique, nous l’avons démontré. Les filles risquent d’être déscolarisées, sacrifiées pour aider leur famille à subvenir à leurs besoins. Donc nous devons mettre en lumière cette question. Beaucoup de personnes ne voient pas encore le lien entre les inégalités de genre et le réchauffement climatique. De façon générale, les femmes sont plus victimes face aux inégalités. 

Le Forum espère laisser une place importante à la société civile, aux associations, organisations. Qu’attendez-vous concrètement ? 

Pour nous l’idée c’est de donner le plus possible la voix à la société civile et de demander des engagements concrets des gouvernements. Les objectifs de ce Forum seront fixés à 5 ans, mais nous pouvons aller beaucoup plus vite si on agit. Des mesures concrètes existent et peuvent avoir un impact réel sur les droits des femmes. Par exemple, il faudrait changer la durée du congé de paternité. Ça pourrait aller très vite, ce n’est pas très compliqué. Mais il y a encore beaucoup d’hommes qui décident, et ce n’est pas leur priorité. Pourtant cela changera l’inégal partage des tâches au sein des foyers, moteur des inégalités. Il faut également activer le levier de la solidarité internationale pour soutenir l’avancée des droits des femmes dans les pays du Sud, comme les pays du Sahel. Là encore la France est en décalage entre la parole et les actes. Et bien sûr, Oxfam va participer à Forum, on ne connaît pas encore les détails et si le contexte changera les choses, mais nous serons présent.es pour faire entendre la voix des féministes et exiger des résultats

Propos recueillis par Chloé Cohen 50-50 magazine

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