Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Médias : en période de crise, les femmes plus que jamais à la trappe ?

Dans un communiqué de presse daté du 6 avril 2020, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, rappelle que les médias ont  » un rôle crucial d’information, ô combien indispensable dans la période de crise que nous traversons « . Elle souligne, à juste titre, que les objectifs de parité dans la représentation des hommes et des femmes dans les médias ne doivent pas passer à la trappe pour autant, tout particulièrement s’agissant du domaine de l’expertise.

On sait en effet que chaque crise porte en elle le risque (ou la tentation ?) de considérer l’égalité femmes/hommes comme secondaire au regard d’objectifs opportunément jugés prioritaires. Exemple: le chômage augmente ? Que les femmes prennent des temps partiels ou rentrent à la maison pour s’occuper des enfants. L’argument est régulièrement suggéré par certaines franges des partis les plus conservateurs.

La Une du Parisien Dimanche du 5 avril 2020

La période actuelle n’échappe pas à la règle. Experts ou politiques, ce sont eux qui sont désormais aux avant-postes médiatiques. La Une du Parisien Dimanche daté du 5 avril a mis le feu aux poudres, mais n’a fait que révéler une situation plus générale, comme en témoignent les quelques clichés ci-dessous :

Cette photo de l’AFP est reprise par de nombreuses rédactions. Le Monde du 20 mars 2020 la légende ainsi : “ A l’Elysée, dans les ministères : au cœur du pouvoir confiné ”.

Ou encore : « Un conseil de guerre contre le coronavirus », Paris Match édition du 2 avril 2020 (Merci à Sandrine Rousseau de me l’avoir signalée).

Nous faisons face au paradoxe suivant : dans un gouvernement a priori paritaire, on n’entend actuellement que les ministres hommes. Le couple exécutif d’abord avec Emmanuel Macron et Edouard Philippe (rappelons qu’à part Edith Cresson, aucune femme n’a exercé les responsabilités de Premier·e ministre pas plus que celles de Président·e de la République, bien sûr) ; mais aussi le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et le Ministre de la Santé Olivier Véran (pas de chance : Agnès Buzin, qui aurait pu féminiser l’affiche, a récemment cédé la place).

Et alors que les femmes sont majoritaires dans les métiers du care (métiers du soin et d’aide à la personne en particulier) et dans les filières de formation comme la biologie et la médecine, ce sont les hommes qui sont actuellement sur le devant de la scène médiatique : le directeur de l’APHP Martin Hirsch, le directeur général de la santé Jérôme Salomon, des chefs de service, des directeurs de laboratoires de recherche, etc.

Parfaite illustration, sans doute, de ce que les sociologues nomment la double ségrégation verticale et horizontale, qui structure le monde du travail : les femmes sont sur-représentées dans les métiers du soin (ségrégation horizontale) mais sous-représentées dans les postes les plus élevés (le bien connu plafond de verre).

Cette explication ne suffit cependant pas. Et s’il n’appartient pas aux médias de modifier la réalité, il convient toutefois de rappeler quelques faits. Selon le Global Media Monitoring Project (GMMP), étude internationale de référence en matière de représentation du genre dans les médias (1), les femmes qui représentent 52% de la population, ne représentent que 24,1% des sujets des nouvelles, tous médias confondus. Plus nombreuses que les garçons à obtenir le baccalauréat, elles sont également plus nombreuses à être titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Elles sont 61 % dans les filières en sciences de la vie, de la santé, de la terre et de l’univers et 60,3% parmi les chercheur·es en entreprise dans l’industrie pharmaceutique (source MENERI-DEGESIP/DGRI-SIES). Les femmes sont désormais présentes dans tous les domaines de l’expertise, en particulier dans les secteurs de la biologie et de la santé qui nous intéressent ici. Or, elles ne représentent qu’une faible proportion des expert·es sollicité·es : le GMMP fait état de 24 % d’expertes dans les médias.

Les médias ne sont pas le « reflet » de la réalité, mais le lieu où s’expriment les rapports de pouvoir et de domination qui structurent la société : en témoignent la quasi absence des femmes parmi les expert·es actuellement sollicité·es, et la monopolisation de la parole publique et des enjeux de savoir par les hommes.

Mais en tant que tels, les médias peuvent aussi être un espace de négociation de ces rapports de pouvoir. Il leur revient de ne pas limiter la parole des femmes aux témoignages des infirmières, des personnels en EPHAD ou des caissières de supermarché, une parole indispensable, mais réductrice au regard du spectre de compétences des femmes. Solliciter la parole des femmes politiques, solliciter la parole des femmes expertes, contribuerait à donner une vision plus juste et plus équilibrée de la réalité.

Peut-on, avec Women Today, suggérer au Parisien, la Une suivante (Merci à Catherine Vidal de me l’avoir signalée) ?

Marlène Coulomb-Gully, Professeure, Université de Toulouse Jean Jaurès – LERASS – Ancienne membre du HCEfh – Co-coordinatrice pour la France du Global Media Monitoring Project (GMMP)

(1) Le Global Media Monitoring Project est une étude internationale qui a lieu tous les 5 ans et porte sur la représentation des hommes et des femmes dans les médias. La version 2020 du GMMP aurait dû avoir lieu ces jours-ci et a été reportée pour cause de coronavirus.

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