Articles récents \ Monde \ Europe Les droits des femmes toujours menacés en Pologne

En Pologne, le gouvernement profite de la crise sanitaire actuelle pour remettre en question les droits des femmes. Des droits déjà menacés à plusieurs reprises, dans un pays où l’Eglise catholique occupe une place centrale. Une situation jugée inacceptable par Nina Sankari, activiste féministe et rédactrice en chef de la Revue Athée.

Le projet de loi « Stoppons l’avortement » n’a pas été adopté. Mais la tentative du gouvernement passe très mal auprès des féministes polonaises. Le texte prévoyait un durcissement de la loi actuelle sur l’avortement, pourtant l’une des plus restrictives d’Europe, et visait l’interdiction totale de l’avortement en cas de graves malformations de l’embryon.

« La Pologne interdit l’avortement, sauf pour trois exceptions « , détaille Nina Sankari  » si la grossesse est le résultat d’un acte criminel (viol, inceste, acte sexuel avec mineur), si la vie de la mère est en danger, ou si le fœtus présente des dommages irréversibles ». Et c’est bien cette troisième disposition que « les fondamentalistes catholiques ont tenté d’interdire », précise l’activiste féministe. À l’origine de ce texte polémique : l’Institut catholique et conservateur Ordo Iuris, proche du parti présidentiel d’extrême-droite PiS (Droit et Justice).

En Pologne, la bataille entre les conservateurs religieux et les féministes ne date pas d’hier. Les manifestations massives de femmes vêtues de noir, en 2016 et 2018, avaient fait reculer le parti au pouvoir, et sous la pression de la rue, le PiS avait décidé de repousser le projet de loi. Un projet de loi qui refait surface en pleine crise sanitaire, et à la surprise générale. À cause des restrictions liées à la pandémie, les mouvements pour les droits des femmes ont fait preuve de créativité en protestant et « en bloquant avec leurs voitures le rond point du centre de Varsovie, ou en affichant des panneaux dans les longues queues devant les magasins de première nécessité », décrit Nina Sankari. « Pour l’instant, le projet de loi est suspendu, mais les fondamentalistes catholiques ne lâcheront pas l’affaire », s’inquiète la féministe.

Les liens entre le gouvernement et l’Eglise catholique

« Le rôle de l’Eglise catholique en Pologne est impressionnant », explique d’emblée Nina Sankari « le gouvernement entretient des liens très étroits avec l’Eglise catholique. Toutes les sphères sont touchées. D’abord, la vie politique, car toutes les décisions sont consultées avec les évêques. La vie économique aussi car l’Eglise est un des plus grands propriétaires terriens, elle bénéfice de subventions, et d’exonérations de taxes. Mais aussi dans l’éducation, avec l’abolition des cours d’éducation sexuelle et l’instauration du catéchisme. Pour la vie privée, les fondamentalistes sont ambitieux, ils visent l’abolition du divorce ».

Mais les féministes et les mouvements pour les droits des femmes n’ont jamais relâché la pression sur le gouvernement et les fondamentalistes religieux. « En 2016, nous avions organisé une grande manifestation spontanée  » se souvient Nina Sankari,  » nous étions tout· es habillé·es de noir pour protester contre des lois restrictives. J’ai participé à toutes les protestations, j’ai même pris la parole, c’était impressionnant de voir à quel point il y avait du monde, une marée de femmes et d’hommes ».

Élection présidentielle

Pourtant, malgré les nombreuses protestations victorieuses, malgré le mouvement féministe organisé autour de la grève des femmes polonaises, Nina Sankari s’inquiète pour la situation des femmes en Pologne : « les droits des femmes dans le pays sont menacés, la situation doit être comprise dans un contexte global où les oppressions religieuses catholiques sont très nombreuses ».

S’ajoute à cette inquiétude, celle de l’élection présidentielle, prévue initialement le 10 mai. « Ce serait contraire à nos lois démocratiques de maintenir cette élection », s’agace Nina Sankari. « L’incertitude est totale pour le pays », conclut l’activiste.

Chloé Cohen, 50-50 magazine

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