Articles récents \ France \ Économie Perfégal : «les principaux freins à l’égalité professionnelle sont les mentalités et les stéréotypes» 2/2

Écarts de salaire, temps partiel, discrimination à l’embauche, plafond de verre, sexisme en entreprise… Aujourd’hui encore, les inégalités entre les femmes et les hommes sont nombreuses dans le monde du travail. Mais d’où viennent ces inégalités ? Quelles mesures mettre en place pour atteindre l’égalité ? Françoise Le Verge et Isabelle Gueguen sont spécialistes de l’égalité professionnelle. En 2005, elles ont fondé Perfégal, un cabinet coopératif (SCOP) qui accompagne les entreprises, les collectivités, les partenaires sociaux et les associations dans leurs diagnostics, plans d’action et formations sur l’égalité femmes/hommes.

La dernière émission de Cash Investigation, diffusée sur France 2, était consacrée aux inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Qu’en avez-vous pensé ?

Elle était très bien et plus creusée que beaucoup d’émissions qu’il y a pu avoir sur le sujet. C’était très intéressant de faire un parallèle avec le Québec, qui a vraiment fait ce travail de réviser tous les métiers et de donner une valeur monétaire à chaque compétence, que ce soit l’autonomie, la responsabilité, etc. C’est ça le travail sur la classification et la pesée monétaire, c’est ce qui a permis de mettre tout à plat et de revaloriser certains métiers. Cela fait 15 ans que nous le disons. Au Québec, elles/ils ont vraiment pris cette notion de non pas « à poste égal, salaire égal », mais « à valeur égale, salaire égal ».

Ce qui était également intéressant, c’est que l’émission montrait que dans les filières fortement féminisées, comme le secteur bancaire, les personnes confondent souvent féminisation des effectifs et égalité. L’émission montrait aussi bien les différences de rémunération, et que même dans la fonction publique, le statut ne protège pas, nous le voyons avec l’exemple de l’homme technicien dans un hôpital, qui gagnait un salaire plus élevé que sa femme infirmière dans le même hôpital. C’était également très bien de montrer ces réunions entre hommes, qui décidaient pour l’avenir des femmes.

Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui souhaiterait entreprendre une démarche d’égalité femmes/hommes ? 

L’entreprise doit d’abord faire un diagnostic de sa situation et établir un plan d’action ou un accord égalité par domaine d’action, en lien avec le diagnostique. C’est vraiment important. Actuellement, il y a une obligation pour les entreprises de plus de 50 salarié·es d’établir un plan d’action ou un accord, et souvent, elles ont tendance à se mettre en conformité : elles choisissent deux domaines d’action, mais généralement, c’est déconnecté de la situation de l’entreprise. Par exemple, elles vont choisir l’axe recrutement alors qu’elles n’ont pas du tout l’intention de recruter. Elles vont faire tout un argumentaire sur le fait qu’elles n’ont pas l’intention de discriminer, qu’elles veulent autant recruter des femmes que des hommes, que leurs offres d’emploi sont rédigées de façon non-discrimante, mais à côté de cela, on peut observer que 40 % des hommes ont été promus, contre seulement 28 % de femmes, et que le montant de ces promotions est beaucoup plus important chez les hommes que chez les femmes. Nous conseillons aux entreprises d’avoir une analyse des indicateurs clés, qui permet vraiment d’établir une photographie de la situation des femmes et des hommes au regard de leur représentation dans les différentes catégories, de leur positionnement sur les classifications, sur le type de formation suivie, sur l’accès à la formation et à la promotion, etc.

Comment accompagnez vous ces entreprises ?

Il y a deux possibilités : soit nous les accompagnons à distance, soit nous les accompagnons en nous déplaçant. En premier lieu, nous leur transmettons une trame d’indicateurs à renseigner à partir de leurs données. Une fois qu’elles ont rempli ces documents, nous analysons et nous partageons le diagnostic avec elles. À partir de ce diagnostic, nous identifions les domaines d’actions prioritaires au regard de la situation de l’entreprise et nous pré-rédigeons le plan d’action : nous constatons les actions déjà mises en oeuvre, les actions à mettre en place, l’échéance de réalisation et les indicateurs de suivi.

Étant donné qu’il y a souvent de la confusion autour de l’égalité, de la mixité, de l’équité ou de la diversité, nous proposons et nous préconisons également un temps de formation, plus qu’un temps de sensibilisation, de manière à diffuser cette culture de l’égalité en interne. Nous préconisons aussi d’y associer les partenaires sociales/sociaux, afin qu’elles/ils s’approprient correctement les choses, qu’elles/ils soient fort·es de propositions, qu’elle/ils soient outillé·es et que nous soyons dans la co-construction et dans un vrai dialogue social sur le sujet.

Remarquez-vous un fort intérêt de la part des entreprises ? Avez-vous beaucoup de sollicitations ? 

Beaucoup d’entreprises sont venues vers nous lorsque la loi s’est renforcée en mars 2019 avec l’obligation, en particulier pour les entreprises entre 50 et 200 salarié·es, d’établir un plan d’action. Beaucoup nous ont alors sollicité parce qu’elles n’avaient pas le temps de s’en occuper. Dans ce cas-là, ce n’est pas toujours facile, car c’est vraiment de la mise en conformité. Mais tout dépend de comment nous y arrivons : nous pouvons vraiment réussir à embarquer l’entreprise afin qu’elle comprenne bien les enjeux, qu’elle voit bien que ces enjeux peuvent l’aider et afin qu’elle entreprenne une réelle démarche. 

Selon vous, les politiques mises en place par le gouvernement en matière d’égalité professionnelle sont-elles suffisantes ?

Il faudrait surtout qu’elles soient plus contrôlées : la législation est en place mais il y a peu de moyens de contrôle. Dans les provinces ou en région, il y a assez de contrôle, mais en Île-de-France, avec la multitude d’entreprises qu’il peut y avoir, les services de contrôle ou d’inspection du travail n’ont pas les moyens de contrôler correctement. Or, pour certaines entreprises, il est nécessaire de faire vraiment respecter la loi.

Il y a toutefois des améliorations. Nous pouvons toujours en apporter mais il y a déjà beaucoup de mesures mises en place. Les principaux freins à l’égalité professionnelle sont les mentalités et les stéréotypes. Chaque gouvernement apporte une nouvelle loi sur le sujet et a la volonté de bien faire. Le gouvernement actuel a été encore plus loin avec l’index, mais malgré cela, ce sont les mentalités qu’il faut changer. Nous avons l’impression que l’égalité est acquise, même certaines femmes n’y voient pas d’intérêt, alors que les stéréotypes et la construction sociale des inégalités font que cela avance moins.

Propos recueillis par Priscillia Gaudan 50-50 magazine

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