Articles récents \ Culture \ Livres Catherine Beaunez : « Avec mes dessins, je suis là pour faire bouger des repères »

Catherine Beaunez est l’une des premières dessinatrices d’humour en France. Pendant le confinement, elle a publié une page par jour sur son compte Facebook, une chronique crue et mordante pour raconter le quotidien, les angoisses, les colères et les bons moments qui ont rempli ces deux mois. Ces pages sont rassemblées dans On baise ? un album auto-édité et distribué par l’autrice à partir du 16 juillet 2020. La parution de ce septième album est l’occasion de (re)découvrir Catherine Beaunez et son engagement féministe.

Vous êtes une des premières femmes dessinatrices d’humour en France. Quelle est la place des femmes dans ce milieu très masculin ? À quelles difficultés sont-elles confrontées ?

C’est important de distinguer le dessin d’humour de la bande-dessinée. Le dessin d’humour, c’est la synthèse en un dessin d’un problème sociétal ou politique, la BD, elle, raconte une histoire (en une page ou un livre entier). Je fais un peu des deux. Mes dessins d’humour sont plus engagés, tandis que, si mes BD ne sont pas féministes d’emblée, elles donnent à voir une pensée et une vie de femme. Je fais d’ailleurs partie du Collectif des créatrices de bande-dessinée contre le sexisme. En BD, il y a eu Claire Bretécher, mais le dessin d’humour est vraiment un métier particulier, dans lequel il n’y avait effectivement pas de femmes. J’y suis arrivée juste après Françoise Ménager. Ma particularité a été de m’exprimer d’emblée en tant que femme et de souligner, l’Association des Femmes Journalistes, dont j’étais membre, m’a aidée à en prendre conscience, l’injustice réelle des rapports femmes/hommes. Dans la presse de mes débuts, il n’y avait que des hommes, à tous les niveaux : dessinateurs, rédacteurs en chef, directeurs de publication et surtout directeurs artistiques, Aucun de ces hommes à responsabilité ne comprenait ce qu’il pouvait y avoir dans la tête et dans la vie d’une femme. On m’a par exemple empêchée d’exprimer une idée avec une femme enceinte, parce qu’une femme enceinte, c’était  » moche ». Les hommes ne pouvaient pas s’identifier à une femme, ce que je comprends, mais ils ne voulaient pas essayer non plus. À l’époque, ils ne pouvaient pas accepter que j’ai ma vision et mon indépendance d’esprit dans mes dessins. C’était il y a quarante ans, mais j’ai eu le même problème, il y a à peine dix ans, avec le directeur d’un journal féminin. Mes dessins ne lui convenaient pas, il voulait un humour beaucoup moins subtil. La rédaction reprochait à mon personnage de n’avoir ni amant, ni mari, ni enfants… La totale !

Quelle évolution observez-vous depuis le début de votre carrière ? Est-il aujourd’hui plus facile d’être une femme dessinatrice d’humour ?

Nous sommes maintenant 4 à 5 % de dessinatrices de presse, alors que nous n’étions que trois, Françoise Ménager, Chantal Montellier qui faisait parfois des dessins de presse, et moi. Ce qui n’a pas évolué, c’est la place du féminisme dans le dessin. Je sens que c’est encore difficile de se moquer, comme femme, des hommes et de leur pouvoir. Dans la presse, sur 120 dessins qui composent mon livre On les aura ! (2000), sur la place des femmes en politique, seuls 10 avaient été publiés dans les journaux. Être une femme dessinatrice est sans doute plus facile maintenant, à condition de ne pas afficher de positions trop féministes. Il y a de jeunes dessinatrices talentueuses qui font plus de dessins politiques que moi je n’en faisais. J’ai concentré mon regard politique sur les injustices faites aux femmes, dans le premier rapport de domination, celui des hommes sur les femmes. Les nouvelles dessinatrices sont plus jeunes et ont hérité d’une situation différente, elles font donc plus de dessins sur d’autres questions que le féminisme. Ce n’est pas leur cheval de bataille, comme moi. Au départ, elles ne voulaient pas du tout en entendre parler, sans doute en réaction à la génération précédente, celle de leurs mères aussi, mais petit à petit, avec l’expérience du couple et des enfants, et de la presse, je vois leurs dessins changer et dénoncer les inégalités femmes/hommes dans la vie quotidienne et la société française.

Extrait de On baise ? de C Beaunez

Vous avez été traduite dans plusieurs langues, notamment en suédois, en allemand, en italien et en grec. Existe-t-il des différences notables pour les femmes dessinatrices d’humour entre la France et les autres pays ?

La traduction révèle beaucoup de choses des différences de cultures. Entre le nord, où mon regard était valorisé, et le sud de l’Europe, la différence a été flagrante. En Grèce, mon premier album Mes partouzes (1984) n’a pas du tout marché, alors qu’en Suède, il s’est vendu autant qu’en France : 50 000 exemplaires, c’est énorme pour ce pays de 8 millions d’habitant·es. Le titre a d’ailleurs été traduit par Dans la tête d’une nana (1985), un titre que j’ai trouvé génial mais qui n’aurait pas eu autant de succès en France. J’avais eu besoin de passer par une image sexuelle (d’ailleurs censurée) pour montrer le fossé entre l’idéal romantique et la réalité sexuelle très débridée post-68. Sur la couverture, on voyait une femme seule dans son lit en train de regarder l’oreiller à côté, vide (le premier projet, c’était une femme se masturbant dans son lit). En Suède, cela allait de soi que tout était dans la tête d’une femme. Moi qui parle beaucoup du quotidien dans mes dessins, je me suis sentie en phase avec ce pays où la vie pratique des femmes fait l’objet d’une attention constante. À propos des dessinatrices, j’ai été invitée au salon du livre de Göteborg en 2015 pour parler de la censure en France, vingt ans après la publication de Dans la tête d’une nana. J’ai réalisé que les personnes les plus en vogue étaient les dessinatrices et autrices, et en particulier les féministes qui parlaient des réalités des femmes. Tout l’opposé de la France. En Espagne, il y a aussi des salons spécifiques de femmes dessinatrices. Depuis la fin du régime franquiste, il y a eu comme un basculement : les droits des femmes ont jailli et elles sont maintenant bien plus avancées que les Françaises.

L’an dernier, il y a eu en France le premier salon de dessinatrices d’humour, à la suite d’une exposition sur les droits des femmes. L’organisateur ne s’était pas aperçu que c’était le tout premier salon de ce type, c’est moi qui le lui ai fait remarquer. Il a eu des plaintes de collègues dessinateurs qui râlaient contre ce  » choix sexiste « , comme si tous les autres salons n’étaient pas majoritairement masculins depuis des lustres ! Plus jeune, on me disait souvent « il y a des dessinatrices, puisqu’il y a Claire Bretécher », mais ce salon a montré qu’il y avait de la place pour des talents et des regards multiples de dessinatrices. Comme il y a de la place pour les talents et les traits variés de dessinateurs.

Pourquoi avez-vous autoédité ce septième album, ainsi que le précédent ?

J’ai été éditée par Glénat, Albin Michel, et Au diable vauvert, mais dans ces grandes maisons, je n’étais pas toujours libre de mes couvertures. Il y a deux ans, j’ai donc décidé de m’auto-éditer pour J’avais 15 ans en 68, mais aussi parce que j’avais proposé ces pages-BD à la presse,et qu’elle n’avait pas réagi. J’ai d’ailleurs toujours eu plus de mal à publier mes pages-BD que mes dessins, car une page entière dans la presse a un coût et peut prendre la place d’une publicité (c’est l’argument, en fait je pense que mes pages dérangent). J’ai donc fait fi de la presse et des éditeurs, je me suis lancée, et j’ai vendu les 500 exemplaires que j’avais tirés. Pour On baise ? (2020), pendant le confinement, avec une production de 3 pages par jour, je n’avais pas le temps de démarcher la presse, devenue de toute façon trop frileuse. J’y ai beaucoup moins de place qu’avant. On prend des noms qui marchent, auquel le public est habitué. On n’ose plus. Je crois que je suis aussi un peu à part parce que j’ai travaillé dans une centaine de journaux, mais jamais de façon attitrée, ce qui m’a évité d’être rattrapée par un journal et sa ligne. Electron libre…

J’ai gardé ma liberté de penser et de dessiner, j’échappe aux critères classiques, même si c’est difficile à porter, et d’en vivre. Pour On baise ? sans attendre le bon vouloir d’un journal, j’ai décidé de publier mes pages sur les réseaux sociaux. J’ai réalisé que j’avais un public régulier, en avance sur la presse et les institutions, ce qui m’a encouragée à ne pas lever la plume pendant les deux mois de confinement. Bien qu’épuisée par la création de cette série, j’ai décidé de transformer cette soixantaine de pages en album. Marie Moinard, directrice de la maison d’édition Des ronds dans l’O, m’avait soutenue et orientée vers un imprimeur. Le problème, cette année, c’est la diffusion, puisque tous les salons et festivals ont été annulés. Je constate aussi que mon livre ne passe pas auprès de celles/ceux qui ont une éducation catholique. Je suis contente, en quelque sorte, car je viens de ce milieu-là, et même si mes parents étaient très ouverts, la sexualité restait compliquée. Ce qui me plaît, c’est que je suis là pour tout décoincer, en tout cas dire ce qui souvent est tu. C’est mon rôle. C’est dur de ne pas être aimée par une tranche de la population, mais avec mes dessins je suis là pour faire bouger des repères.

Propos recueillis par Lou Cercy 50-50 magazine

Catherine Beaunez, On baise ? Disponible sur : Beaunez.net

Pour chaque album acheté, 1 € reversé aux soignant·es

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