Articles récents \ Monde \ Europe Sylvie Lausberg : « Nous devons reconnaître le travail des femmes et leur donner les moyens de réussir »

Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des Femmes Francophones de Belgique (CFFB) et autrice du livre Madame S, a bien l’intention d’assister au prochain Forum Génération Egalité (FGE). Elle participera activement aux discussions sur les enjeux d’égalité pour exposer la situation de la Belgique. 

Quels sont les enjeux, vu de Belgique, du Forum Génération Égalité ? 

En Belgique, l’Etat a délégué les missions de défense des droits des femmes et d’égalité de genre au monde associatif. Les différentes politiques d’austérité que nous avons connues ces dernières décennies ont cependant mis les associations sous pression et en concurrence. Les subventions, nécessaires au bon fonctionnement des associations, ont diminué au fil des années et ne permettent plus de financer toutes leurs activités et missions, pourtant indispensables. Ce Forum permettra, je l’espère, de mettre la pression sur les gouvernements européens afin de dégager des budgets suffisants pour lutter contre les inégalités, que doivent encore et toujours subir les femmes.

Qu’attendez-vous précisément ? 

Il est urgent que le politique intègre la dimension de genre, pas seulement sur papier, mais dans toutes les décisions et les budgets. C’est une chose de faire des annonces en politique, cela en est une autre de respecter ses promesses. Le travail doit être coordonné entre les acteurs du monde politique, institutionnel, et associatif. Pour ce dernier secteur, il faut un financement structurel, car c’est toujours le même problème : beaucoup de femmes dans les associations féministes sont bénévoles. En ce qui me concerne, le mandat de présidente du Conseil des femmes est bénévole ; je le fais volontiers, mais cela participe à reproduire des inégalités. Compter sur les femmes pour qu’elles s’investissent gratuitement dans des missions de proximité et de défense des droits fondamentaux, cela légitimise une exploitation qui est déjà généralisée, et contribue à dévaloriser non seulement financièrement mais aussi symboliquement les actions menées et le rôle qu’elles jouent.

Nous devons reconnaître le travail des femmes, des associations, et leur donner les moyens de faire aboutir leurs revendications. Nous plaidons pour un investissement en amont, et pas en aval. Par exemple, sur le volet des violences envers les femmes, nous pensons qu’il serait plus judicieux d’investir l’argent dans la prévention contre les violences, plutôt qu’après, pour régler les problèmes, si tant est que cela soit possible, car le mal est fait !  Nous constatons, durant ces temps de crise, que si l’argent avait été investi et les mesures recommandées par les associations féministes mises en œuvre, les conséquences néfastes sur le sort des femmes auraient été moins importantes. 

Nous avons certes gagné la bataille des idées, l’égalité est plus que jamais au cœur des enjeux de notre société, mais maintenant cela doit se décliner sur le terrain et se concrétiser.

Plus d’égalité, moins de violences, c’est bénéfique pour la société dans son ensemble.

Dans le FGE, il y a 6 grandes thématiques (Violence basée sur le genre; Justice et droits économiques; Autonomie corporelle et droits en matière de santé reproductive et sexuelle; Action féministe pour la justice climatique ; Technologies et innovations pour l’égalité des sexes; Mouvements et leadership féministes), lesquelles sont pour vous les plus importantes ? Et pensez-vous que cela soit suffisant ?

Pour le Conseil des Femmes Francophones de Belgique, les thématiques qui doivent être mises en haut des priorités sont les coalitions « Autonomie corporelle et droits en matière de santé reproductive et sexuelle », « Violence basée sur le genre » et « Justice et droits économiques ».

En ce qui concerne le nombre de ces Coalitions d’action, encore une fois, cela dépend de ce qu’on en fait. Si nous arrivons à des programmes dans ces six thématiques, alors nous aurons déjà marqué des points. 

Quelles sont les grandes différences entre la France et la Belgique sur les questions d’égalité de genre ? 

La France est, dans l’ensemble, historiquement plus féministe que la Belgique. En Belgique, nous sommes très à la pointe sur les questions d’homosexualité et de GPA, mais pas sur le droit à l’avortement. Il faut dire que la Belgique n’est pas un pays féministe en soi. Les oppositions conservatrices sont moins visibles et moins nombreuses qu’en France, mais elles sont puissantes au niveau politique. De plus, n’oublions pas que nous avons, depuis mai 2019, un parti d’extrême droite qui a 18 sièges au Parlement fédéral, sur 150. 

Cependant, il faut aussi voir le bon côté des choses : en Belgique, les mentalités évoluent petit à petit. Par exemple, l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle est devenue obligatoire dans toutes les écoles.

Pensez-vous que le FGE puisse vraiment faire bouger les choses ou s’agit-il d’un énième événement international ? 

Le FGE donne un signal positif. J’ai cependant participé à beaucoup d’événements similaires, qui n’ont pas forcément eu un impact sur le plan politique. La question à se poser c’est de savoir à quoi nous allons aboutir avec ce Forum. Refaire une énième fois les mêmes constats sur la question de l’égalité de genre et sur les problématiques concernant les droits des femmes, les associations en ont marre. Les constats nous les connaissons, et les recommandations nous les portons depuis des dizaines d’années. Maintenant, pour régler les problèmes et obtenir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, il faut se demander combien ça coûte, quels investissements il faut faire et où investir cet argent. L’enjeu principal se situe là ; c’est une question de volonté politique et d’investissement financier. Nous n’allons pas faire Pékin +30, +35… Nous essayons déjà depuis 25 ans.

Une autre difficulté est le manque de coordination entre les pays européens sur les questions d’égalité. Il faut faire de l’égalité et de la question du genre un enjeu prioritaire de l’UE, comme pour le climat avec l’Accord de Paris. Il y a des corrélations à faire : les mesures pour l’égalité et les droits des femmes ne concernent pas seulement les femmes et les filles, mais cela concerne l’économie, la justice… Cet enjeu concerne la société dans son ensemble, et tout le monde doit être sensibilisé et informé sur ces questions. 

En 25 ans, que peut-on dire de l’évolution du combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes ? 

En 25 ans, nous avons fait des progrès. Mais aujourd’hui, avec la crise que nous vivons, nous allons devoir redoubler d’efforts si nous ne voulons pas que tout s’écroule, et perdre de nombreux acquis. Depuis les années 1970, les féministes essaient de faire bouger les lignes. Nous gagnons des combats, puis nous devons faire barrage à des attaques pour les remettre en cause. Les générations se passent le relais, à mesure que nous avançons. Les jeunes générations sont plus actives que jamais et s’emparent des anciens et nouveaux combats. Je garde espoir ! 

Chloé Cohen 50-50 magazine 

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