Articles récents \ Culture \ Cinéma Chronique l’aire du psy : le non-désir d’enfant au cinéma

Elles sont deux cinéastes qui questionnent le devenir-mère d’une façon différente. Sophie Letourneur nous entraine dans le destin inhabituel d’une femme, qui s’est fait faire un enfant dans le dos en l’absence d’un désir d’enfant. Anne Fontaine nous présente une femme policière, déjà mère depuis quelque temps, qui est enceinte de son amant et va entreprendre une IVG.

Deux destins de femmes engagées dans une vie professionnelle intense. L’une Claire (Marina Foïs) est pianiste virtuose, l’autre (Virginie Efira) est policière. Aucune n’est engagée dans un désir d’enfant et pourtant l’une comme l’autre « tombent enceintes ». Interrompre cette grossesse impromptue constitue spontanément leur souhait. La pilule contraceptive ne met pas à l’abri d’un oubli d’un jour où le désir partagé avec un homme s’avère fécond. Elle ne protège pas non plus d’une substitution maléfique orchestrée par le désir masculin de ladite pilule par une sucrette.

Dans Police, il est question d’expulsion d’un corps étranger. Dans Énorme, c’est de l’intrusion d’un corps étranger interne, dont il s’agit. Quel accueil faire à l’étranger.e ? Aristide, l’amant de Virginie est joué par Omar Sy. Oui, c’est bien de lui, dont elle est enceinte, cela ne fait aucun doute. Point de sexualité donc avec son mari, père de leur jeune enfant. Si l’enfant venait à naître, sa couleur trahirait l’adultère. Virginie se porte volontaire pour une mission nocturne de reconduite à la frontière d’un étranger. Cela lui permettra d’échapper à un repas chez sa belle-mère. Quel rôle jouent donc les mères des maris dans l’entreprise de la grossesse ? Dans Police, il s’agit d’échapper à la rencontre de la belle-mère, puisqu’elle ne serait pas la grand-mère de cet.te enfant potentiel.le conçu avec un autre. L’épouse, c’est en quelque sorte imaginairement, fantasmatiquement celle qui a dérobé le fils à sa mère. Les tensions souterraines (ou pas) y puisent souvent leurs sources…

Aristide va désormais accompagner Virginie dans sa tentative de rendre sa liberté à l’étranger.e. Il est aux côtés de cette femme, qu’il a mise enceinte. Il est concerné et impliqué. Il va l’accompagner dans ses questions jusqu’au bout. Elle se dit responsable, lui ne se conduit pas en irresponsable, mais n’avance pas un désir de paternité. Dans leurs échanges, on sent que tous deux s’interrogent sur cet événement imprévu. Contrairement au slogan bête et réactionnaire, avorter, ce n’est pas tuer ! Ce que nous montrent Virginie et Aristide, c’est qu’une rencontre de désirs peut être féconde, mais ne pas être viable. Ce n’est pas la nature qui décide, mais dans le cas d’une IVG, le choix d’une femme éventuellement soutenue par un homme. L’étymologie latine abortare dérive de aboriri, « disparaitre, mourir avant de venir au monde », laquelle étymologie provient de oriri, « naître ».

Confronté.es dans leurs missions à une mère infanticide, à un conjoint violent, ces policier.es racontent leurs stratagèmes pour ne pas faire entrer la mort chez eux, comment ne pas en être imprégné.es corporellement. Les stratégies pour se vêtir et se déshabiller y contribuent. La mort accompagne le quotidien de ces policier.es. Virginie va s’employer à sauver de la mort celui qui doit être reconduit à la frontière. Un homme qui ne parle pas (définition de l’infans), dont la détresse est lisible, mais dont la langue n’est pas partageable. Anne Fontaine fabrique ici une métaphore, où le renoncement à donner la vie d’un côté s’accompagne d’un autre côté d’un geste salvateur.

Pour Énorme, le désir de paternité est le vecteur de la grossesse de Claire. Plus exactement, c’est avec sa propre mère que Frédéric (Jonathan Cohen) « conçoit » son bébé. Le stratagème est élaboré par le couple mère-fils au soir de l’anniversaire de Frédéric. Comment fait-on les bébés ? Ici le sulfureux œdipien n’est pas loin… Claire est dans la lumière, c’est elle la pianiste de renom. Son mari est son homme à tout faire. Quand elles/ils arrivent dans un hôtel, c’est à lui qu’on s’adresse. Sous couvert de protéger l’artiste en la délestant des contraintes de la réalité, c’est lui qui occupe le devant de la scène dans les réceptions mondaines. Claire semble absente au monde. Son mari sait et dit pour elle. La passivité de Claire préexiste dans leur couple en amont de sa grossesse. Ils s’aiment, elle est toute entière dévouée à son piano et son mari se charge de l’intendance allant jusqu’à parler à sa place.

Le travers du film de Sophie Letourneur, par ailleurs plein d’humour et de légèreté, c’est de passer sous silence le caractère répréhensible de la conduite du mari. Marie-Hélène Lahaye, bloggeuse belge parle de « coercition reproductive » pour qualifier cette grossesse imposée par le mari. Il fait fi du consentement de sa femme, qui lorsqu’elle découvrira la vérité, ira trouver refuge chez sa mère de substitution, qui lui a enseigné le piano.

La couvade de Frédéric forge une perception d’un homme enceint, qui occupe tout l’espace jusqu’à présenter le ventre de sa femme en faisant fi d’elle. Son corps à lui se transforme en miroir de celui de sa femme. La déformation morphologique qu’occasionne une grossesse est portée à l’écran de façon caricaturale, mais elle s’incarne essentiellement chez Frédéric, qui suit de près une grossesse portée par son épouse. Là où Omar Sy était discrètement présent, Jonathan Cohen est omniprésent.

Deux manières de s’inscrire dans les voies/voix utérines…  L’irréductible de la différence des sexes, c’est accepter qu’une femme ait son mot à dire dans la venue au monde d’un enfant et que l’homme reconnaisse et supporte d’y être soumis. Les professionnelles filmées dans les maternités par Sophie Letourneur incarnent tout à fait cette idée du respect de la décision de celle qui porte le bébé. Jusqu’à sa mise au monde, c’est à elle de choisir. C’est son droit et ni la morale, ni les religions, ni le père potentiel ne peuvent savoir pour elle.

Daniel Charlemaine 50-50 magazine

Illustration John Brushh

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