Articles récents \ Île de France \ Économie Mathilde Lagrange : « Il y a une réelle féminisation des directions des régies de quartier »
Mathilde Lagrange est directrice de la régie de quartier du Clos Saint-Lazare à Stains. Elle s’occupe de ses habitant·es et de leur ville. Elle organise des activités d’insertion professionnelle tout en luttant pour l’égalité des sexes. Elle s’occupe aussi d’embellir la ville en ayant une approche plutôt écologique et règle aussi les aspects politiques et administratifs de sa régie.
Concrètement, qu’est-ce qu’une régie de quartier ?
La définition officielle serait qu’une régie de quartier est une structure locale d’insertion professionnelle des habitant·es de la ville qui a pour vocation d’améliorer la vie quotidienne des habitant·es et l’embellissement du quartier. Ça ce serait la définition du réseau national.
Une définition plus accessible serait qu’une régie de quartier est à la fois une structure d’animation locale portée sur l’éducation populaire.
À ce titre on propose des activités aux habitant·es, une animation locale à l’échelle d’un quartier et d’une cité de banlieue, une création d’emplois pour ces personnes qui sont donc clairement défavorisées (ce sont souvent des jeunes qui sont inactives/inactifs). Ça commence par des travaux de rénovation de cages d’escaliers, d’immeubles, de remise en peinture, de nettoyage, de plantation des massifs de fleurs, d’embellissement des quartiers dégradés ou plus sales que d’autres où il manquait des services publics essentiels. Souvent là où il y a une forte concentration il y a moins de services.
Mais nous ne sommes ni un collectif ni une municipalité, ni une institution, mais bien une association .
Quelles sont vos missions en tant que directrice ?
Premièrement, il y a la partie entrepreneuriale, il a fallu monter la structure. Elle est née en avril 2014 il y a un peu plus de 6 ans.
Le job de directrice est plus complexe que les autres au sein de la régie. En effet, il y a une partie gestion/administration. Il faut faire en sorte que les choses roulent au niveau des finances et de la comptabilité, faire tenir un certain équilibre économique. Il y a aussi une partie ressources humaines, il faut se charger des recrutements etc.
D’un autre coté, il y a la partie partenariat, vente de prestations (80% du chiffre d’affaires vient de ça). Il faut donc savoir être convaincante, faire fonctionner l’association etc. C’est vraiment un travail « couteau-suisse ».
Mais, au delà de tout ça, je dirai que l’aspect le plus important de mon métier est la politique. Une régie de quartier recrute toujours son personnel sur la ville où elle est implantée. Il y a une réelle dimension municipale, pas régionale, pas nationale mais locale. Nous sommes donc dépendant·es des actrices/acteurs de proximité (mairie, agglomération…). Il faut savoir se présenter au conseil municipal, parler à la/au directrice/directeur de cabinet, aller à telle réunion partenariale pour y glisser un mot et faire en sorte que la régie ne soit pas oubliée. Tout cela nécessite un bagage politique. De plus, créer des liens autour d’un projet associatif, c’est très politique aussi !
En résumé je dirais qu’il faut avoir plusieurs casquettes : entrepreneure, commerciale et politique.
Quel est votre parcours (études, formations…) ?
J’ai terminé mes études en 2008 après avoir fait Sciences-Po Lyon. J’ai continué avec un master fonction publique territoriale. J’ai passé cinq ans en collectivité sur du développement durable et de l’économie urbaine et j’ai fini par m’ennuyer. Ce qui m’intéressait vraiment c’était le territoire et son développement, l’agglomération, la ville, l’échelle locale, les collectivités territoriales.
Je ne voulais pas travailler dans le privé car j’avais une vision d’un certain actionnariat qui me déplaisait, j’ai donc pensé public. La finalité pour moi c’était le commun. Alors en avril 2014, j’ai monté la régie de quartier de Stains.
Vous diriez que votre équipe est plus féminine ou masculine ? Et les personnes à qui vous venez en aide ?
Mon équipe est féminine ! Mes collaborateurs directs sont des collaboratrices.
Les personnes à qui nous venons en aide sont des hommes majoritairement. Je dirais que pour les postes d’insertion, c’est 60% d’hommes et 40% de femmes. L’organigramme est inversé, les femmes aux plus hauts postes et les hommes « en bas de l’échelle ».
On constate aussi une non mixité dans les métiers que l’on met en place. Par exemple au nettoyage, il n’y a que des femmes. Alors qu’il n’y en a que une ou deux pour une équipe de dix hommes ouvriers ! Pourtant, nous œuvrons pour la féminisation des postes en passant par des obligations dans le recrutement. Ce n’est absolument pas naturel, c’est un vrai travail que nous menons tous les jours (avec également des prescripteurs, comme Pôle Emploi notamment).
Comment votre entourage (professionnel et personnel) a pris le fait que vous soyez une femme directrice ?
J’ai une partenaire qui s’occupe du recrutement des équipes de toutes les régies du quartier de la région qui m’a dit un jour que plus c’était compliqué dans les quartiers, plus c’était des femmes qui prenaient la direction. Je vois beaucoup plus de jeunes femmes arriver à des postes de direction qu’il y a cinq ou dix ans. Il y a une réelle féminisation des directions des régies de quartier. Mais c’est un vrai travail que l’on fait. Il y a aussi une plus grande acceptation de salaires plus bas et des conditions plus difficiles.
Pensez-vous pouvoir dire que vous menez des missions dites « féministes » ?
Nous ne les appelons pas des « actions féministes » mais oui bien sur !
Une des plus emblématiques est le « vélo école » dans laquelle il n’y a que des femmes ! Le concept est d’apprendre le vélo. On s’aperçoit que certaines femmes (souvent quarantenaires) n’ont pas appris petites et en on besoin pour se déplacer ou emmener leurs enfants faire des balades ! C’est l’activité la plus genrée de notre régie.
Nous avons aussi le « café réparation » où des réparateurs bénévoles viennent aider les habitant·es à réparer de l’électro-ménager cassé qui vient à 90% de femmes ne sachant pas réparer d’objets. L’idée n’est pas de laisser faire les réparateurs mais bien de partager et d’échanger les techniques et méthodes pour reprendre le pouvoir sur les objets au lieu de faire du « tout jetable ». Ça favorise une approche écologique à laquelle ces personnes n’ont pas forcément accès. C’est de l’empowerment des habitant·es et ça fait plaisir à voir ! Voir une femme se servir d’un tournevis pour la première fois peut être très émouvant.
Il y a aussi des journées de présentation de métiers à des demandeuses d’emplois. Ça ouvre le champ des possibles car ce sont souvent des femmes que nous faisons intervenir. De plus, on se rend compte que selon une origine ou un environnement culturel, il y a une vision, une projection de métiers dits « masculins » ou « féminins ». Une sorte de blocage interne. C’est souvent compliqué de convaincre les femmes de faire certains métiers. Même quand on y arrive, elles veulent arrêter au bout d’un mois ou deux. Il y a énormément de rotation dans nos emplois. Nous voyons aussi que beaucoup de femmes qui ont été scolarisées ou qui ont grandi en France, notamment des femmes de Roumanie vont plus postuler que les autres.
Quand je suis allée au Maroc j’ai été étonnée car j’ai vu beaucoup de femmes (voilées d’ailleurs) à la voirie ou dans le nettoyage des espaces publics, comme quoi selon les cultures et les pays les habitudes changent et les stéréotypes sont ancrés. Notre entreprise fait filtre mais il y a surtout un filtre du candidat par rapport à sa propre projection.
Propos recueillis par Emma Saféris 50-50 magazine
Photo de Une : Régie de quartier de Stains