Articles récents \ Monde \ Afrique Marie-Pierre Mbaye-Myrick : « la contribution des femmes dans notre société, à travers le musée de la femme est un acte féministe »

Véritable patrimoine culturel et social sénégalais, le Musée de la Femme Henriette Bathily existe depuis 26 ans, Marie-Pierre Mbaye-Myrick, fille d’Annette Mbaye d’Erneville, fondatrice du Musée de la Femme est la responsable des relations publiques et administrative. Juriste de formation, elle tient à contribuer à la défense des droits des femmes à côté de beaucoup d’autres militant·es dévoué·es au musée.

Comment est né le musée de la femme à Dakar ?  

L’inauguration a eu lieu le 17 Juin 1994 à Gorée, mais la conception, la recherche des collections et la mise en place ont eu lieu bien avant. La fondatrice, Annette Mbaye d’Erneville, journaliste, était la présidente des Associations Féminines du Sénégal (FAFS). Le FAFS organisait chaque 8 mars des expositions, des conférences sur le statut de la femme. Le fils de la fondatrice, cinéaste, lui suggère de créer un espace permanent. Et c’est ainsi qu’un comité scientifique est constitué pour créer un musée de la femme. Un lieu où la vie des femmes sénégalaises (du lever au coucher) est présentée au public à travers des objets, des rituels, les problèmes et les succès qu’elle rencontre.

Est-il le seul existant en Afrique ? 

Il a été le premier, mais depuis, certains pays ont créé des musées de la femme ou des centres de la femme, au Mali, au Maroc, au Soudan, en Afrique du Sud. Récemment, j’ai vu sur Facebook une initiative en ligne sur les femmes leaders au Bénin.

Quels types d’exposition retrouve t’on dans le musée ? S’agit-il d’expositions typiquement sénégalaises, ou africaines en général ? 

Il y a deux catégories d’expositions : la permanente, celle qui raconte l’histoire des femmes sénégalaises et les expositions temporaires qui sont très variées. On peut citer : un hommage aux premières majorettes du fameux lycée de jeunes filles John. F. Kennedy, des photos sur la vaillance des femmes etc. 

Par ailleurs, les expositions ne concernent pas uniquement le Sénégal, nous avons eu une exposition d’artistes maliennes (Tétou Gologo et Koké) et d’autres sur les femmes et l’esclavage outre-Atlantique, sur le viol (sujet universel !) Il n’y a pas que des expositions, nous avons aussi des panels sur des sujets importants, des projections de films.

Exposition sur le viol « T’étais habillée comment – Lan Nga Solon ? » 2018 – 2019

Cette exposition avait pour but en posant la question « T’étais Habillée Comment ? » de démontrer que le vêtement des victimes ne peut pas justifier un acte de viol. À travers les témoignages de victimes, ce plaidoyer a marqué un grand public et libéré la parole des participantes. L’exposition a été accompagnée par une série de panels sur le rôle des médias, sur les limites de la loi et l’aspect psychologique post viol. Grâce à Osiwa (une ONG), elle est devenue itinérante dans quatre autres régions du Sénégal, avec la même commissaire Fatou Kiné Diouf…

Un livret contenant des informations pratiques a été imprimé et distribué dans plusieurs écoles. Le combat de plusieurs groupes de défense des droits humains a abouti le 10 Janvier 2020 au vote de la loi criminalisant le viol et la pédophilie ! Nous restons vigilant.es pour son application et la protection des victimes.

Etant donné le grand nombre de régions au Sénégal, comment s’organise les expositions ? 

Naturellement, il n’y a pas « une » femme sénégalaise typique, mais plusieurs selon l’ethnie, selon l’éducation  et selon sa propre personnalité. Donc le musée a pu mettre en exergue leurs différences et leurs ressemblances. Très tôt, les fondatrices ont compris que ce musée, le premier du genre en Afrique, ne pouvait pas être statique. Lorsque l’on parle de l’excision, il faut lancer un plaidoyer pour un arrêt de cette pratique ; lorsque l’on parle du mariage précoce de la jeune fille, il faut sensibiliser les législateurs pour l’interdire. Aujourd’hui encore il y a beaucoup de mariages forcés de petites filles et une jeune fille de 16 ans peut être autorisée à se marier. Je trouve cela injuste, car pour le garçon, l’âge fermement établi est de 18 ans. Lorsque l’on parle des femmes qui n’ont pas de profession, il faut organiser la formation à des métiers pratiques, réalisables pour leur permettre d’être indépendantes financièrement.

Donc nous n’exposons pas uniquement la situation des femmes, nous essayons de trouver des solutions pour l’amélioration de leurs conditions.

Comment définiriez-vous votre lien avec le féminisme ? 

Par essence vouloir montrer la contribution des femmes dans notre société aussi bien dans la sphère familiale que dans la sphère publique, à travers le musée est un acte féministe. C’est fixer son rôle dans la postérité. Informer sur les bonnes et les asservissantes pratiques de la jeune fille et de la femme est un engagement féministe. Former des femmes à un métier en vue d’une indépendance financière est un acte féministe. Présenter une galerie de femmes pionnières et leaders est un acte féministe.

Quel est le regard de la jeune génération sur le musée ?

Lors des sessions de jeux les enfants découvrent avec intérêt les anciennes coutumes et des pionnières qui ont joué un rôle important dans notre société. De plus, nous avons organisé des échanges intergénérationnels entre les femmes leaders et des groupes d’élèves, afin que l’inspiration soit palpable. Lorsqu’il s’agit de plaidoyers, par exemple, contre le viol ou pour une meilleure acceptation de la population albinos, nous collaborons directement avec certaines écoles pour assurer le transport de deux ou trois classes composées de garçons et de filles. Ces sujets concernent principalement les jeunes dans le but de changer positivement leur mentalité pour une meilleure société. Nous intégrerons le digital dans nos supports de présentation pour donner plus d’informations et intéresser davantage les jeunes.

Avez-vous des liens avec d’autres pays qui ont un musée de la femme ? 

Le musée de la femme Henriette Bathily avec son jumeau le musée Evelyn Ortner, de Merano en Italie ont été à l’initiative de la création de l’Association Internationale des Musées de Femmes (IAWM) qui compte plus de 96 musées. Nous sommes aussi membre de l’ICOM (Conseil International des musées). Il n’y a pas encore d’expositions à l’international car la recherche de financements ne serait-ce que pour rester ouvert, limite les ambitions pour réaliser ce genre de projets.

Le musée rencontre-t-il certaines difficultés ?

La difficulté principale c’est le manque de financements pour réaliser tous les beaux projets que nous avons dans les tiroirs. Mais nous sommes soutenu.es par le ministère de la Culture qui nous a toujours trouvé un local, ainsi que par OSIWA et un large réseau de bénévoles. Comme pour la plupart des musées dédiés à la promotion des femmes, c’est une initiative privée appuyée par l’Etat, car notre mission est de service public.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

L’Etat du Sénégal nous a offert, il y a plus plusieurs années un terrain dans la ville de Dakar et notre principal projet est d’y construire la Maison des Femme Henriette Bathily. Nous voulons créer une maison des Femmes, pour y raconter l’histoire des femmes sénégalaises, ses acquis et ses ambitions. Mais au-delà du constat, il nous faut aussi un espace de formation pour l’autonomisation des femmes et un lieu d’échanges entre les générations. En somme, un lieu pour y exploiter l’expérience de plus de 20 ans au service des femmes sénégalaises.

Alexandra Koffi 50-50 magazine

Article 111 Code de la famille du Sénégal : Sexe et âge. Le mariage ne peut être contracté qu’entre un homme âgé de plus de 18 ans et une femme âgée de plus de 16 ans sauf dispense d’âge accordée pour motif grave par le Président du tribunal régional après enquête.

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