Articles récents \ Culture \ Médias Les femmes encore trop peu visibles dans les médias

Une enquête intitulée « The Missing Perspective of Women in News » (Salles de rédaction, couverture médiatique : où sont les femmes), réalisée par Luba Kassova, co-fondatrice et directrice du cabinet international de conseil en stratégie d’audience AKAS, et commandée par la Fondation Bill & Melinda Gates, met en évidence la sous-représentation manifeste des femmes, tant dans les salles de rédaction que dans la couverture médiatique de six pays (États-Unis, Royaume-Uni, Inde, Kenya, Nigeria et Afrique du Sud). Cette enquête a été réalisée en soutien au Forum Génération Egalité.

Le rapport pointe du doigt la sous-représentation des femmes dans les médias d’information, leur marginalisation continue et questionne la place accordée aux problématiques de genre.

Les conclusions sont sans appel : la représentation des femmes dans les médias a stagné, voire a baissé, et encore trop peu de femmes accèdent à des rôles de gouvernance dans les rédactions.

Une actualité genrée

« Les normes patriarcales sont au cœur des barrières invisibles existantes pour les femmes dans l’actualité. Ces normes inhibent l’impact de la législation sur l’égalité des sexes dans les organes de presse, encouragent la domination continue des perspectives masculines dans l’actualité, et limitent la présence des femmes dans les reportages en tant que protagonistes et expertes de l’information, de sorte que la parité entre les sexes reste constamment hors de portée », peut-on lire dans le rapport. Ces normes patriarcales et les inégalités de genre sont profondément ancrées dans les pays analysés. À l’échelle mondiale, 91% des hommes et 86% des femmes ont au moins un préjugé contre les femmes. Ces normes patriarcales et la culture masculine dominante constituent le plus grand obstacle à l’égalité des sexes dans les médias.

Par exemple, une proportion importante d’hommes et de femmes des six pays étudiés estime qu’il est acceptable qu’un homme batte sa femme. En fait, plus de la moitié des hommes et des femmes partageaient cette opinion au Nigéria, plus d’un tiers en Afrique du Sud et en Inde et 14% et 12% aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Une réalité qui complique le travail des journalistes. Car plus le public accepte le statu quo pour les femmes ou même des normes patriarcales, moins les personnes au pouvoir et les journalistes considèrent qu’elles/ils doivent donner la priorité aux questions d’égalité des sexes. Seul·es 4% des leaders d’opinion interrogé·es dans 77 pays émergents et en développement, dont le Kenya, le Nigéria et l’Inde, considèrent l’égalité des sexes comme une priorité absolue en matière de développement.

Quand les informations sont traitées principalement par des hommes avec des biais masculins, quelles sont les conclusions pour le public ? Le rapport dresse l’une de ces limites, exacerbée par le manque de données pour comprendre les besoins des femmes en matière d’actualité : 64% des hommes contre 54% des femmes sont extrêmement ou très intéressés par les informations, avec dans le détail 71% contre 60% en Afrique du Sud, 73% contre 60% au Royaume-Uni, 71% contre 62% aux États-Unis et 68% contre 61% en Inde.

Diversité sur le lieu de travail

Les femmes forment une minorité de dirigeantes et de cadres supérieures dans les médias des pays examinés. À l’échelle mondiale, 26% des rôles de gouvernance dans les organes de presse étaient occupés par des femmes en 2011. La proportion déclarée de femmes occupant des postes de direction était de 35% au Kenya, 30% au Royaume-Uni, 25% en Afrique du Sud, 23% aux États-Unis et 14% en Inde. Lorsque la structure de gouvernance d’une organisation de presse est dominée par les hommes, même une salle de rédaction à parité femmes-hommes continue d’afficher des préjugés masculins.

Les femmes sont également à la traîne en termes de progression de carrière et de salaire. Pourtant, cet écart pourrait être réduit si des politiques de garde d’enfants et d’horaires flexibles étaient mises en œuvre.

Dans les salles de rédaction, la parité a progressé et certains pays s’en rapprochent, comme l’Afrique du Sud avec 49% de femmes, le Royaume-Uni (47%) et les États-Unis (42-45%). Mais les femmes continuent d’être moins nombreuses au sein des rubriques les plus convoitées, comme la politique.

L’amélioration de la parité dans les salles de rédaction permet-elle aux femmes d’être plus visibles dans les médias ? « Les données académiques existantes ne permettent pas de déterminer si un plus grand nombre de femmes dans les rédactions conduit à une représentation plus équilibrée des femmes dans les médias. Ce rapport a révélé que la quasi-parité dans les salles de rédaction (comme en Afrique du Sud, au Royaume-Uni et aux États-Unis) n’a pas conduit à une couverture médiatique plus équilibrée. Le fait d’avoir un tiers des femmes à des postes de direction ou de gouvernance (comme en Afrique du Sud, aux États-Unis et au Kenya) n’a pas non plus amélioré la visibilité des femmes », conclut le rapport.

La culture essentiellement masculine dans les rédactions empêche une représentation équilibrée des femmes dans les informations. Certains rapports universitaires et industriels suggèrent que les préjugés masculins prévalent dans les salles de rédaction et sont respectées par les hommes et les femmes journalistes. Ainsi, l’identité professionnelle l’emporte sur l’identité de genre. La représentation accrue des femmes dans la salle de rédaction ne suffira donc pas à assurer une couverture équilibrée entre les sexes.

Les femmes trop peu citées comme expertes

Dans le monde, en 2015, 19% des expert·es ou commentateur·es étaient des femmes. En politique par exemple, la part des hommes est entre trois et sept fois plus élevée que celle des femmes. De façon générale, les femmes sont plus souvent citées ou invitées pour parler de thématiques jugées moins prestigieuses, comme les arts, les violences ou les célébrités.

Ce déséquilibre persiste. En 2019, la part des femmes parmi les expert·es et sources cité·es dans l’actualité était comprise entre 14% et 30% dans les six pays étudiés.

La place accordée aux femmes dans les médias, au sein des rédactions ou en tant que personnes interrogées dans les articles, n’est pas le seul problème. Les questions d’égalité de genre sont également trop absentes des problématiques évoquées par la presse. « Toute polémique autour de l’inégalité entre les sexes est presque inexistante dans les médias des pays examinés dans ce rapport », peut-on lire. Dans les six pays étudiés, moins de 1% des reportages ont traité des questions d’égalité des sexes.

Si les médias sociaux permettent d’amplifier l’impact des mouvements pour l’égalité des femmes et les informations sur ces problématiques, ils peuvent également appuyer les stéréotypes de genre et détruire la vie des journalistes femmes, victimes de cyberharcèlement.

Chloé Cohen 50-50 Magazine

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