Articles récents \ Monde Justice et droits économiques : quels enjeux-clés pour le Forum Génération Égalité ?

Chaque semaine, du 7 décembre au 1er mars, le Forum Génération Égalité (FGE) organise une conférence en ligne pour présenter ses six coalitions d’action visant à faire progresser l’égalité femmes/hommes et les droits des femmes dans le monde. Ces coalitions sont des partenariats multi-acteurs (États, organisations internationales, société civile et secteur privé) autour de six thématiques prioritaires. Le 14 décembre avait lieu une conférence sur la thématique “Justice et droits économiques”.

Tout comme les autres conférences en ligne du FGE, la conférence “Justice et droits économiques” a pour objectif de faire connaître les coalitions du FGE et leurs enjeux. Ces conférences sont animées par Delphine O, l’Ambassadrice et Secrétaire générale du FGE. Comme l’indique le site du FGE, chaque événement accueillera cinq intervenant·es représentant un Etat, une organisation internationale, la société civile, le secteur privé ainsi qu’une experte de la thématique. Ces intervenant·es exposent les enjeux-clés des coalitions, leur méthode pour développer des partenariats multi-acteurs (ce qui est une particularité du FGE) et créer des solidarités internationales.

Les enjeux-clés de la coalition d’action “Justice et droits économiques”

L’experte présente pour cette conférence, Hélène Périvier, est économiste pour l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de Sciences Po ainsi que pour le Programme de Recherche et d’Enseignement des SAvoirs sur le GEnre (PRESAGE). Elle dresse un tableau négatif des inégalités femmes/hommes dans le monde du travail puisque le COVID a accentué la division sexuée des tâches, ainsi que la part de femmes dans le travail informel (sans contrat, ni protection sociale, et peu rémunéré), notamment dans les pays en développement.

Pour Hélène Périvier, l’enjeu-clé pour la coalition “Justice et droits économiques” tient à ce qu’elle nomme le “nouvel esprit” de l’idéologie néolibérale. Le néolibéralisme est une idéologie multiforme qui fait de la concurrence marchande une fin en soi. Cette idéologie, qui a dominé les années 1970-80-90, n’intégrait pas les inégalités femmes/hommes ; le marché était censé les résoudre de lui-même. Au contraire, le “nouvel esprit” du néolibéralisme, dénoncé par Hélène Périvier, entend lutter contre les discriminations au prétexte qu’atteindre l’égalité permettrait une performance économique accrue. Hélène Périvier indique que cette idée est dangereuse car elle conduit à inverser la hiérarchie entre principes de justice et fonctionnement efficace de nos économies : la lutte contre les discriminations n’est pas performante, c’est pourquoi la justice doit primer sur la logique économique. La coalition d’action du FGE doit donc trouver un compromis pour réussir à mêler justice et droits économiques. 

Par la suite, c’est Ludovica Anedda, chargée de plaidoyer pour les droits des femmes chez CARE France, qui s’est exprimée sur les enjeux-clés de la coalition “Justice et droits économiques”. Pour elle, la priorité est de limiter l’impact du COVID sur les droits des femmes et des filles. Tout d’abord, en luttant pour l’inclusion financière et l’entreprenariat des femmes, ce qui permettrait de limiter les inégalités structurelles et systémiques. Elle a notamment donné l’exemple des soins non-rémunérés qui sont trois fois plus pris en charge par les femmes et qui ont augmenté de 30 à 40% depuis le COVID. Elle défend donc l’importance de mettre en place une sécurité sociale universelle, avec un prisme genré. L’autre enjeu-clé qu’elle identifie est la création d’un espace de travail sain en luttant contre les violences sexistes et sexuelles au travail. A ce sujet, l’intervenante Emanuela Pozza, spécialiste égalité femmes/hommes pour l’Organisation internationale du Travail (OIT), rejoint les propos de Ludovica Anedda pour souligner la nécessité pour les Etats de ratifier la convention 190 de l’OIT, adoptée en juin 2019. Elle qualifie cette convention de “futuriste” puisqu’elle dispose que la violence au travail peut être considérée comme une violation des droits humains qui fait obstacle à égalité de genre, à la santé et à la dignité de la personne.

Comment développer des partenariats multi-acteurs et créer des solidarités internationales ?

L’ensemble des intervenant·es s’accorde à dire qu’en matière de partenariats multi-acteurs, chacun doit faire selon son domaine d’expertise. En ce qui concerne l’implication du secteur privé, il faut aller au-delà des simples financements pour influencer les autres acteurs du secteur. Les exemples de partenariats avec des entreprises qui ont fonctionné se répercutent et influencent les autres entreprises pour les amener à s’engager en faveur de l’égalité à leur tour.

L’ambassadeur du Mexique en France, Juan Manuel Gomez-Robledo, s’est ensuite exprimé. Il a souligné l’innovation que représentent les coalitions locales, nationales et internationales, en ce qu’elles ont fait comprendre aux États qu’ils ne peuvent pas réussir seuls à atteindre les objectifs d’égalité femmes/hommes. Au sein des coalitions du FGE, les États visent à déployer l’outillage juridique et les politiques publiques pour des résultats inclusifs et durables mais, pour faire changer les choses, il faut réussir à collaborer avec l’ensemble des actrices/acteurs. Par exemple, le Mexique s’est fixé comme objectif de mettre en place un système de soin égalitaire, sans stéréotypes sexistes, un objectif qui s’est révélé crucial pendant la crise du COVID. Il s’agit pour l’Etat de travailler avec le secteur privé en ce sens. Le Mexique prévoit également des changements législatifs et réglementaires pour inclure les femmes dans le marché du travail, ainsi que la poursuite de la mise en œuvre de la convention 189 de l’OIT qui vise les travailleuses/travailleurs domestiques. Au Mexique, elles/ils sont plus 2,5 millions, principalement des femmes. Pour ce faire, le Mexique entend travailler main dans la main avec la société civile mais aussi avec des organisations internationales et ONG.

Enfin, au sujet des solidarités internationales, c’est-à-dire des ponts à créer entre le niveau local, national et international, l’économiste Hélène Périvier rappelle qu’il est nécessaire de comprendre les migrations des femmes des pays dits “du Sud” qui exercent des métiers du care dans les pays dits “du Nord” et comment ces migrations sont liées au manque de protection sociale. Par exemple, ces femmes des pays “du Sud” migrent pour s’occuper des enfants des femmes des pays “du Nord”, plus aisées. Hélène Périvier montre ainsi la dimension internationale des rapports de genre. Un point que souligne également Ludovica Anedda, chargée de plaidoyer chez CARE France, qui explique que les femmes ne sont pas un groupe homogène, il faut donc adopter une approche intersectionnelle. Pour créer des solidarités internationales, il s’agit à la fois de mettre en lumière l’enjeu local, mais aussi l’enjeu de coordination internationale. Et, à tous les niveaux de la prise de décision, il est bien sûr crucial d’assurer la participation des femmes de tous horizons, en investissant, soutenant et écoutant les organisations féministes qui sont en première ligne mais qui, souvent, n’ont pas assez de moyens.

Maud Charpentier 50-50 Magazine

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