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La puissance des femmes. Une autre histoire de la philosophie regroupe interviews, portraits autobiographiques, bêtisiers et frises chronologiques. Une contribution d’historien·nes, d’essayistes, d’autrices/auteurs, qui nous permet de revisiter l’histoire de la philosophie sous un autre angle. Rarement citées dans les cours au lycée et à l’université, cet ouvrage de 240 pages met en lumière les pensées de celles dont l’œuvre a pu être égarée, pour ne pas dire dédaignée.

Lors de la révolution industrielle, les femmes ont accès aux emplois dans l’industrie. « Victoire » pourrions-nous nous exclamer, mais pas si vite. A travail égal, elles seront, déjà à cette époque, moins bien payées que les hommes. Du côté de la sphère privée, elles conserveront les tâches domestiques qui ont été assignées à leur sexe. C’est à ce moment charnière de l’Histoire, que s’ajoute à la domination masculine et raciale, la domination capitaliste aliénante.

Des empires aux temps modernes, les révolutionnaires

Comment ne pas citer la célèbre autrice anglaise d’Une chambre à soi en 1929, Virginia Woolf (1882-1941). Dans son œuvre, elle interroge la marginalisation des femmes en littérature. La poétesse et romancière Vita Sackvill-West avec qui elle aura une liaison lui inspira le personnage d’Orlando, qui se réveille un jour en femme.

Emma Goldman (1869-1940) est une figure marquante de l’anarchisme. Dans Le suffrage des femmes (1913), elle considère que peu importe le sexe et le genre des personnalités ayant accès à la sphère politique, le pouvoir et la manière dont il est réparti doit être revu. Goldman critique le féminisme libéral de son temps et contribue à importer cette question dans les milieux de la gauche radicale. D’abord couturière, elle finit par vivre de sa plume et des conférences qu’elle donne. Elle a été emprisonnée plusieurs fois pour incitation à l’émeute, promotion du contrôle des naissances et antimilitarisme.

Anna Julie Cooper, était d’après Clara Degiovanni « une femme noire, fille d’une esclave dans les Etats-Unis ségrégationnistes du XIXème siècle, devenue docteure de la Sorbonne. Elle prôna l’émancipation des femmes par l’éducation et inaugura le féminisme noir. »

Simone Weil (1909 -1943) croise au cours de sa vie deux figures connues par toutes et tous : Simone de Beauvoir et le philosophe Alain qui sera son professeur au lycée Henri IV lorsqu’elle était en khâgne. « Un homme qui serait seul dans l’univers n’aurait aucun droit, mais il aurait encore des obligations » affirme Simone Weil dans L’Enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain (1943).

De l’après-guerre aux années post-68, les libératrices

Simone de Beauvoir (1908-1986) est l’une des plus grandes figures féministes de l’Histoire. Son célèbre ouvrage Le Deuxième Sexe (1949) est devenu une référence féministe incontournable qui parcourt toutes les générations. Un demi-siècle après sa sortie, la pensée de Simone de Beauvoir peut être replacée dans l’actualité : « n’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » affirmait-elle. Son amour pour la philosophie est corrélé à l’esprit libre qu’elle incarne. Sur les bancs de la Sorbonne, elle croise le chemin de Jean-Paul Sartre. Ensemble ils forment un couple libre, où la possibilité de vivre et connaître d’autres amours que le leur n’est pas exclue. Plus tard, elle n’acceptera pas sa proposition de mariage car, pour elle, il « multiplie par deux les obligations familiales et toutes les corvées sociales. » Rester libre et avoir la possibilité de choisir son destin, peut être considéré comme l’un des fils conducteurs de sa vie.  Son autobiographie Mémoire d’une jeune fille rangée (1958) nous apprend la jeunesse d’une Simone ayant grandi dans un milieu où sont omniprésents préjugés, stéréotypes genrés et dégradants à l’égard des femmes. En 1971 elle rédige le Manifeste des 343 qui revendique le droit à l’avortement. Aux côtés de Gisèle Halimi, elle co-fonde le mouvement Choisir. En 1977, elle participe activement à la création de la revue Questions Féministes. En 1981, Les Nouvelles questions féministes voient le jour. Elle en sera la directrice jusqu’à sa mort en 1986.

Des années 1980 à #MeToo, les contemporaines

Françoise d’Eaubonne (1920-2005), est considérée comme la pionnière de l’écoféminisme. Son premier essai féministe est publié en 1951. Il vise à répondre aux détracteurs du Deuxième Sexe : Le complexe de Diane érotisme ou féminisme. La notion d’écoféminisme est officiellement employée pour la première fois en 1974 dans son essai Le féminisme ou la mort. En rencontrant un ensemble de militant⸱es via le Mouvement de libération des femmes (MLF), elle constitue un groupe de réflexion non-mixte : « Ecologie-féminisme centre ». L’écoféminisme est fréquemment employé et utilisé dans la littérature sur le genre. Cette notion est devenue un indispensable pour penser le rapport intrinsèque entre le système patriarcal et capitaliste.

Monique Wittig (1935 – 2003) est une grande figure du MLF et pionnière des études de genre. En s’appuyant sur les outils marxistes, elle analyse le système oppressif de « l’hétérosexualité obligatoire » et considère que l’homosexualité est autant une orientation sexuelle qu’un choix politique. Elle anime, à partir de 1968, des réunions non mixtes pour libérer la parole des femmes. En 1970, elle brandit le slogan « un homme sur deux est une femme » et fait partie des militantes allant déposer sous l’Arc de triomphe une gerbe en l’honneur de la femme encore plus inconnue que le soldat inconnu lui-même.

Gloria Anzaldúa (1942-2004) est née au Texas lors de la Seconde Guerre Mondiale. D’origine mexicaine, elle subit les discriminations et le racisme. Suivant un cursus universitaire poussé, elle est considérée comme la pionnière de la pensée Queer et critique les systèmes binaires qui fondent la pensée occidentale.

Angela Davis (née en 1944) fera elle aussi l’expérience de la ségrégation raciale. Elle travaille donc sur la question de la place des Noir·es dans la société américaine, où discriminations raciales et inégalités économiques sont intimement liées. Le combat féministe et anti-raciste d’Angela Davis est de faire face au sexisme dont elle fait l’épreuve au sein des mouvements de lutte anti-raciste. Un mouvement de libération est parfois à l’image de la société dans laquelle les membres évoluent. La reproduction des logiques de domination en son sein, non pas raciales mais misogynes et sexistes conduit à son dysfonctionnement. Davis façonne alors le Black Feminism et met en évidence l’importance de considérer le féminisme au prisme de l’intersectionnalité. Elle intègre les Black Panthers et le Parti Communiste Américain, où elle sera à deux reprises la candidate pour la vice-présidence. Lors de la Guerre Froide, elle sera surveillée par le FBI et une accusation d’avoir organisé une prise d’otage meurtrière dans un tribunal lui vaudra 22 mois d’emprisonnement.

Un travail de recherche pointilleux et méthodique a donné lieu à La puissance des femmes. Une autre histoire de la philosophie. Presque aucun de ces écrits de femmes n’a été transmis. Cette partie de l’histoire oubliée est, dans cet ouvrage (re)mise en valeur et nous permet, le temps d’une lecture, de réaliser un voyage dans le temps. Par choix méthodologique, supposons-le, l’exposition des œuvres de femmes du monde entier se limite aux mémoires de femmes occidentales. A quelques exceptions près, les portraits réalisés dans cet ouvrage, sont ceux de femmes blanches, issues pour la plupart des classes les plus privilégiés de la société.

Chloé Vaysse 50-50 Magazine

La puissance des Femmes. Une autre histoire de la philosophie , Philosophie Magazine Editeur, 2020

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