Articles récents \ Matrimoine Feminists in the City : « Se soutenir entre femmes peut aussi faire avancer l’égalité » 2/2

Composé de Cécile Fara et Julie Marangé, le duo des fondatrices de Feminists in the City a vu le jour alors qu’elles étaient étudiantes à Sciences Po Paris. Toutes deux parlent d’un “coup de cœur” aussi bien personnel qu’intellectuel. Leur première visite guidée “Street art et féminisme” date de 2018. Aujourd’hui, elles ont étendu leurs visites guidées parisiennes à d’autres grandes villes de France. Avec leurs masterclasses, ateliers et club de lecture, Feminists in the City est devenu une véritable académie en ligne du féminisme.

Vous traitez régulièrement le thème des sorcières dans vos visites, masterclasses et ateliers, notamment les méditations de sorcières proposées tous les dimanches. Qu’est-ce qu’une sorcière au XXIe siècle ? Est-ce que c’est comme cela que vous vous définissez ?

Julie Marangé : Je me définis comme une sorcière. Pour l’aspect historique, la chasse aux sorcières a été un crime de grande ampleur perpétré contre les femmes, parce qu’elles étaient des femmes. A l’époque, ce sont principalement les femmes indépendantes, qui n’ont pas de mari, qui sont ciblées, jugées et exécutées, dans des conditions terribles. Les féministes, à partir des années 70, se sont vraiment réapproprié cette figure de la sorcière, qui est historiquement la figure de la femme indépendante. C’est l’idée de reprendre le flambeau des féministes et des femmes indépendantes qui ont marqué notre histoire.

Le mot “sorcière” fait aussi appel à la magie blanche, au pouvoir intérieur des femmes qui a été dénigré pendant des siècles à cause de la domination masculine. Tout le monde peut être une sorcière, les femmes principalement mais il y a aussi des hommes qui sont venus à notre atelier Reconnectez-vous à votre sorcière intérieure. C’est un outil féministe de réappropriation de l’histoire des femmes qui parle à beaucoup de personnes. 

Cécile Fara : Julie a cette idée de la figure de la sorcière assez spirituelle, tandis que moi j’ai plutôt cette définition de la sorcière comme la femme puissante qui n’a pas peur de se revendiquer comme telle. Par exemple, dans notre Masterclass sur l’histoire de la chasse aux sorcières, la thèse que l’on défend, c’est qu’avoir peur du mot “sorcière” contribue à invisibiliser toutes ces femmes qui ont été pourchassées en tant que sorcières parce qu’elles étaient des femmes et qu’elles faisaient peur par leurs différences. A travers cette définition, je me définirais bien comme une sorcière, avec cette idée d’assumer d’être telle qu’on est face à une société qui nie la puissance féminine et qui en a peur. 

Pourquoi est-ce important pour les féministes de se réapproprier des mots connotés péjorativement ? 

Cécile Fara : Les féministes dans les années 1970 disaient : “nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas brûlées ». Je trouve cette phrase très forte dans l’idée de transmission intergénérationnelle. Notre génération peut se revendiquer comme étant des sorcières en portant la voix d’une génération qui ne pouvait pas le faire, car elles risquaient d’être jugées et exécutées.

Les mots et le langage façonnent la manière dont on pense. Dans l’histoire, on a des mots qui ont été revendiqués. Par exemple, dans la communauté LGBTQIAP+, il y a le mot “queer” qui était une insulte et qui est aujourd’hui utilisé par les personnes de la communauté. 

Avec Julie, on a essayé, dans les titres de nos visites, de s’amuser des stéréotypes et préjugés liés au féminisme. On a une visite qui a lieu à Montmartre et Pigalle qui s’appelle La libération sexuelle racontée par des hystériques. Se réapproprier ces mots et s’en amuser, nous permet de dédramatiser ces insultes.

Julie Marangé : On peut donner l’exemple du terme “féministe”. C’est un mot qui a été inventé à la fin du XIXe siècle. C’était une insulte pour les hommes qui étaient considérés comme efféminés. On disait qu’ils étaient atteints de “féminisme”. C’est ensuite une des pionnières du féminisme français, Hubertine Auclert, qui militait pour le droit de vote des femmes en France, qui s’est réapproprié ce mot.

Ce qui est incroyable, c’est qu’il existe toujours cette connotation péjorative aujourd’hui. Il y a des personnes qui préfèrent se dire “humanistes” pour éviter cette stigmatisation du terme “féministe”. Pourquoi dire “féministe” plutôt qu’“humaniste” ? Tout simplement parce que le courant humaniste ne prend pas particulièrement en considération les femmes. Le mot “féminisme” est d’une importance fondamentale. Plus on l’assume, plus cela va être légitime dans la société puisque les discours forgent les normes. Utiliser le terme “féministe” est un acte militant.

Quelles sont les remarques les plus marquantes qu’on vous a faites après une visite, une masterclass, un atelier ?

Cécile Fara : Pendant les visites, ce qui nous a marqué le plus, c’était des hommes qui venaient aux visites et nous disaient à la fin : “j’étais déjà féministe sans le savoir.” A la base, notre objectif est de démystifier le féminisme, donc c’est une belle victoire. Plus que des remarques, on aime aussi voir des familles se rendre aux visites et voir qu’il y a des personnes qui parlent de féminisme à travers les générations. 

Avec les masterclasses, certaines personnes nous ont dit qu’on les a vraiment aidées pendant le confinement, notamment au niveau du militantisme, parce qu’on se sent moins entouré·es, moins en lien avec les autres… Ces personnes étaient contentes qu’on mette des formats en ligne pour continuer à apprendre et échanger sur des sujets féministes. 

Julie Marangé : On reçoit tous les jours des messages de personnes qui nous disent “merci”. On aimerait développer cet aspect de communauté parce qu’on sent que les personnes sont reconnaissantes et ont envie de se sentir moins seules dans leur combat.  

Vous écrivez sur votre site et dans vos newsletters que 2021 “se fera sous le signe de la sororité”. Qu’est-ce que la sororité pour vous ? Pourquoi en faites-vous le thème de l’année 2021 ?

Cécile Fara : La sororité renvoie à la solidarité entre femmes. On peut penser à la sororité intergénérationnelle. On a aussi la sororité intersectionnelle, donc l’idée de prendre en compte le fait qu’en plus d’être solidaire entre femmes, il y a certaines femmes qui font l’objet d’autres discriminations du fait de leur couleur de peau, de leur classe sociale, de leurs origines, etc. 

C’est une notion importante car l’idée que les femmes sont en compétition les unes avec les autres perdure, que ce soit dans le monde du travail, dans les relations amicales, etc. On peut avoir du mal à se réjouir du succès d’autres femmes. Donc, c’est quelque chose sur lequel on essaye de travailler quotidiennement. Cette idée de vraiment porter les femmes vers ce qu’elles cherchent à atteindre, de les aider à réaliser leurs objectifs et leurs rêves. On trouve que se soutenir entre femmes peut aussi faire avancer l’égalité.

Julie et moi on essaye d’appliquer la sororité dans notre duo. Par exemple, Julie m’a fait découvrir l’importance des compliments et de la célébration des victoires du quotidien. Grâce à elle, j’ai eu un déclic, et ce sont vraiment des choses importantes dans ma vie aujourd’hui. On s’encourage et on se tire vers le haut. 

Julie Marangé : Quand on parle de féminisme et d’égalité, on parle souvent des relations femmes/hommes et moins des relations femmes/femmes qui sont, pourtant, tout autant vectrices d’égalité. Malheureusement, la sororité n’est pas assez célébrée dans nos sociétés. Donc, dans le prolongement du 8 mars, on avait envie de parler de sororité. On a décidé de créer un événement de grande ampleur en ligne qui va porter sur la sororité.

Indépendamment de cela, on avait aussi pour projet de développer des visites guidées dans d’autres villes européennes, à Bruxelles, à Londres, etc. C’était censé être possible avant le confinement puisqu’on suit un programme proposé par l’Institut français d’Allemagne pour créer une visite à Berlin. On attend le déconfinement pour pouvoir s’exporter et faire rayonner l’égalité à travers l’Europe.

Feminists in the City

Propos recueillis par Chloé Vaysse et Maud Charpentier, 50-50 Magazine.

Retranscription d’une interview réalisée le 25 janvier en live sur le compte Instagram de 50-50 Magazine.

Lire la première partie de cette interview

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