Articles récents \ Chroniques Chronique l’aire du psy: Réaction aux réactionnaires sénatrices et sénateurs

Que s’est-il donc passé au Sénat en ce début février 2021 ? Que se passe-t-il dans la tête des sénatrices/sénateurs pour contester à une femme la possibilité juridique de pouvoir être enceinte au moyen d’une assistance médicale à la procréation ? Néanmoins, le Sénat a décidé d’autoriser la PMA post-mortem, qui permet à une femme de poursuivre son projet d’enfant en cas de décès du conjoint, si un embryon est déjà créé. Cette logique du plutôt un père mort que pas de père est troublante, sinon glaçante. Pourquoi la venue au monde d’un bébé, dont le géniteur aurait disparu avant même que la grossesse ne s’engage, serait-elle jugée recevable, alors que la disjonction entre don de sperme et parentalité serait contestée à une femme seule ou à un couple homoparental ?

Le week-end précédent ce vote, La Manif pour tous reprenait du service, comme si clamer « Un papa et une maman pour chaque enfant » rendait compte de ce qui allait permettre le développement harmonieux d’un enfant et la garantie normée de son bonheur à venir. Pourtant la famille constitue bien l’un des lieux privilégiés au sein de laquelle peut se déployer la violence, qu’elle soit physique, psychologique ou meurtrière.

C’est étonnant cet « Au nom du père » que revendiquent nombre de traditionnalistes. A l’heure où le mouvement #MeToo s’étend à un #MeTooInceste et que sont de plus en plus dénoncées les violences masculines, quelle est donc cette drôle d’idée qu’afin que le père symbolique opère, un couple hétérosexuel serait une condition incontournable ? Pourquoi cette fixation autour d’une paternité fantasmatique déclarée indispensable ? Comment supposer que le désir sexuel du/des parents exercerait un impact plus nocif selon l’orientation dudit désir ?

Il faudrait revoir le film Un Français (1), qui se situe notamment dans les milieux d’extrême droite, mais dont la fin est emblématique. On me pardonnera de spoiler l’issue du film. Marco, le personnage principal incarné par Alban Lenoir, ancien skinhead, ancien garde du corps d’un parti extrémiste, n’a plus de droit de visite de son enfant. Il regarde dans la solitude et le désœuvrement son téléviseur et aperçoit soudain sa fille devenue jeune adolescente. Elle manifeste contre le mariage pour tous aux côtés de sa mère et de son nouveau compagnon. Ils forment une famille convenable. Elle brandit une pancarte sur laquelle figure le slogan « Un enfant = un papa + une maman ». On voisine alors entre l’absurdité et la cruauté de cette situation. Lui, le père (le vrai), comme le revendiquent les opposant·es à la PMA est privé de contacts avec sa fille, tandis que la garde exclusive est réservée à sa mère, nationaliste au racisme assumé. Elle a banni ce père, qui a déchu à ses yeux.

Enfant naturel !

Quelles étaient donc les valeurs familiales de ces notables d’antan, qui engrossaient leurs servantes, lesquelles devenaient des filles mères et leurs progénitures des bâtards ? Cela avait cours dans des milieux bien pensants, catholiques le plus souvent. Qui sont donc ces pères la morale, qui prétendent édicter ce que devrait être une famille ? De bâtard, il ne reste aujourd’hui que l’invective propre à en découdre entre adolescent·es. Il aura fallu attendre 2005 pour que le terme d’enfant naturel soit aboli et que disparaisse la distinction entre enfants naturels et enfants légitimes ! Les enfants né·es hors mariage étaient jusqu’en 2005 considéré·es comme illégitimes !

Il est des femmes, qui enfantent et sont des mères absentes. Il en est d’autres, qui accouchent sous X abandonnant le nouveau-né. Il est des hommes, qui apportent leur semence et disparaissent lorsqu’ils apprennent qu’ils pourraient devenir des pères. Il est des couples, qui désirent avoir un enfant et dont l’union s’avère infertile jusqu’à les conduire à s’engager dans un processus d’adoption. Lorsque cette démarche d’adoption aboutit, on observe parfois une levée de l’infertilité. S’engage alors une grossesse inattendue, qui débouche sur l’arrivée quasi simultanée d’enfants d’âges différents chez un couple subitement propulsé dans une parentalité multiple.

Des couples, des femmes, des hommes ne peuvent avoir d’enfants. Depuis le 24 février 1982, Amandine, le premier bébé éprouvette a vu le jour, et même si dans les cabinets de psychanalyste, la question de comment on fait les bébés agite toujours les fantasmes des analysant·es démontrant que la production des théories sexuelles infantiles reste inépuisable, il n’en demeure pas moins que la science s’est immiscée dans la conception.

Avec la Fécondation In Vitro, la Procréation s’est vue Médicalement Assistée. Aujourd’hui la PMA est devenue AMP : Assistance Médicale à la Procréation. La médecine néonatale a fait des progrès considérables, dont on peut se réjouir. Mais, il faut néanmoins constater combien le suivi d’une grossesse est propice à maintes angoisses au travers du dépistage et combien la survie des prématurés est de plus en plus précocissime. Tous ces bébés n’ont rien de naturel,  selon l’idée de nature défendue par la manif pour tous et consorts. Leur survie, leur existence sont conditionnées par l’intervention de nombreux spécialistes. De fait, l’hétérosexualité n’est plus requise dans la conception d’un enfant. La fétichisation du masculin nécessaire que revendique La Manif pour tous ne fonde pas qu’il y aura du père dans le psychisme de l’enfant. Ce qui compte, c’est l’altérité.

Non, mesdames/messieurs les sénatrices/sénateurs, il est de multiples façons de faire des bébés et votre empêchement législatif est une erreur cognitive et un rétrécissement intellectuel. Non vous ne savez rien de ce qui doit présider aux conditions de la naissance d’un enfant ! Vos préjugés vous aveuglent et vous empêchent tout discernement adapté à l’évolution sociétale. Les lois sont faites pour protéger les citoyen·nes, pas pour protéger des idéologies rétrogrades, dont vous seriez les protectrices/protecteurs ! Qu’est-ce qu’un père, qu’est-ce qu’une mère, restent des questions d’une complexité face à laquelle la clinique nous invite à rester humbles et curieuses/curieux de chaque arrangement singulier.

Ce qui est troublant dans ces positionnements, c’est l’intolérance clamée au nom des dieux et le modèle normatif, qui devrait, par voie de conséquence, s’imposer à tou·tes, comme si la norme était à ce point fragile et vulnérable, qu’elle pourrait disparaître si les « déviances » étaient tolérées. Parmi ces enfants devenu·es grand·es que leurs parents avaient emmener manifester contre le mariage pour tous, l’une se souvient des propos de sa mère : « Elle m’a dit qu’on manifestait pour empêcher les homos de faire un péché mortel aux yeux de Dieu en se mariant. » (2) Je trouve très étrange que le blasphème sous ses diverses déclinaisons soit si menaçant pour les croyant·es, pour les cultes. L’acte de foi est une affaire personnelle. C’est un acte énigmatique, puisqu’il ne repose sur aucune autre preuve matérielle ou scientifique que la conviction partagée collectivement. En quoi, celles et ceux qui n’y adhèrent pas menaceraient elles/ils les convaincu·es ?

Le brouillage produit par le vote du Sénat entre foi et loi, entre traditionnalistes et pressions électoralistes ne dit rien qui vaille.

Daniel Charlemaine 50-50 magazine

1 Un Français, un film de Patrick Asté dit Diastème sorti en 2015.

2 ​Citation de l’article : « Moi, je ne voulais pas insulter les gens : des enfants de La Manif pour tous face au souvenir des défilés » Le Monde 31/01/2021.

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