Articles récents \ France \ Société Prostitution : FACT-S demande 2,4 milliards d’euros pour une phase II de la loi

Cinq ans après la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées la Fédération des Actrices et Acteurs de Terrain et des Survivantes de la Prostitution, aux côtés des Personnes Prostituées (FACT – S) a évalué la situation actuelle et mesuré l’impact de la loi afin d’y apporter des améliorations. Elle demande qu’on passe à une phase II de la loi, pour assurer la sortie de 4 000 personnes par an.

L’Amicale du Nid, CAP international, la Fondation Scelles et le Mouvement du Nid composent la Fédération qui a rédigé le rapport : La situation de la prostitution en France, à partir de l’action de terrain et directement en relation avec les personnes  en situation de prostitution.

Le 13 avril 2016, la législation de la prostitution en France prend un nouveau tournant. Si depuis 1939 le racolage était un délit visant à sanctionner les prostitués, déjà dans une situation très précaire, en 2016 ce dernier est supprimé. Dorénavant, les délinquants sont les acheteurs d’actes sexuels. De fait, depuis l’instauration de la loi, près de 4000 personnes ont été verbalisées, principalement en Île de France. L’infraction est passible d’une contravention de 1500 € et en cas de récidive, celle-ci s’élève à 3750 € et cela devient un délit. Pour les clients de mineur·es, les peines peuvent aller jusqu’à 7 ans de prison. Notons que très peu de clients de mineur·es ont été pénalisés.

Légalement, les personnes prostituées sont maintenant protégés, néanmoins, des arrêtés préfectoraux que FACT-S recommande d’interdire, les ciblent toujours.

La volonté abolitionniste de la France ne s’arrête pas à la sanction. Des stages de sensibilisation et de prévention ont été mis en place pour les clients. Des processus aidant les personnes prostituées à envisager de nouvelles alternatives sociales et professionnelles ont été déployés : il s’agit des parcours de sortie de la prostitution (PSP). Ceux-ci donnent droit à une autorisation provisoire de séjour (APS) pour les personnes en situation irrégulière.

« Avant, je n’étais pas dans un monde d’êtres humains. Maintenant, je le suis »

Sur les 40 000 personnes prostituées estimées en France, dont jusqu’à 25% de mineur·es (les chiffres manquent sur le phénomène), la Fédération rencontre 8.000 personnes et en accompagne 3.000 chaque année. À Paris par exemple, le Mouvement du Nid a suivi 60 personnes dont deux hommes. 20 de ces personnes sont sorties de la prostitution. 

Mis en place en 2017, le PSP a été instauré dans le cadre de la loi. Concrètement, en plus de l’APS, il donne droit à une aide de seulement 330 € mensuels allouée pendant 2 ans maximum pour les personnes en sortie de prostitution qui n’auraient pas droit à d’autres minimas sociaux. Les personnes en PSP sont accompagnées par des professionnel·les et des bénévoles dans leurs démarches afin de réussir entièrement  leur sortie du système prostitutionnel. Depuis le début du dispositif, 564 personnes y ont eu accès (selon les derniers chiffres donnés lors du comité de suivi de la loi), et 403 de PSP sont en cours.

La majorité des prostituées en France sont des femmes étrangères, sans papiers venant d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Europe de l’Est, et d’Asie, et plusieurs sont mères de famille. De fait, la maternité est parfois le moteur pour sortir de la prostitution, en plus de la précarité aujourd’hui accrue par la pandémie. Les témoignages des bénéficiaires qui ont réussi à s’en sortir racontent la même chose. Le PSP a été la clé pour quitter la prostitution et elles ne tarissent pas d’éloges là-dessus. Elles disent se sentir libérées et beaucoup mieux dans leur vie. « Avant, je n’étais pas dans un monde d’êtres humains. Maintenant, je le suis » témoigne Hope.

Le parcours de la combattante

Cependant, il n’est pas toujours aisé d’intégrer un PSP. Le simple souhait de vouloir sortir de la prostitution n’est pas suffisant, même si cela le devrait, estime la FACT-S. Il faut redoubler d’efforts, pour montrer sa motivation et son envie d’insertion professionnelle. Il arrive que certaines personnes en situation de prostitution aient à quitter leur logement qui est souvent celui du proxénète, car il est obligatoire de s’éloigner de tout ce qui les lie à la prostitution. Il faut donc passer par la rue, ou se battre avec les administrations pour entrer dans un centre d’hébergement d’urgence (CHU) ou obtenir un logement, le temps de se retourner.

À Lyon, le Mouvement du Nid reçoit 5 demandes de PSP par semaine, mais les associations n’ont pas la possibilité d’accueillir plus de personnes. À Paris, les places aussi sont chères, les associations sont contraintes de faire attendre certaines bénéficiaires. Les associations d’accompagnement estiment qu’il faut être accompagnée au moins 6 moins plein avant de pouvoir vraiment commencer un PSP. .

La quantité de documents demandés et à renouveler ne facilite pas non plus la tâche. Ainsi, tous les six mois, il faut refaire une demande de régularisation. Il faut aussi pouvoir justifier de six mois d’accompagnement avant de prétendre au PSP. Tous ces obstacles sont en partie dus au manque de moyens et à la méconnaissance du PSP par les acteurs sociaux et publics (mission locale, pôle emploi, policier·es, etc.). La FACT-S demande que les parcours soient simplifiés, et durent un an renouvelable une fois. Elle souhaite également aligner l’aide financière allouée (l’AFIS) sur le RSA en plus de fournir une allocation pré PSP, ainsi qu’une aide au logement.

Sensibiliser et prévenir

Des stages de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ont aussi été mis en place. On y trouve des hommes âgés de 18 à 80 ans, provenant de toutes classes sociales. Célibataires, en couple ou mariés, 70% d’entre eux ont des enfants ou encore des petits enfants. Leur point commun : ils ont enfreint la loi en payant pour des rapports sexuels.

Souvent en colère ou honteux, pendant le stage, ils rencontrent des survivantes de la prostitution qui racontent leur histoire, la violence qu’était la prostitution pour elles. C’est le cas de Rosen Hicher, une survivante connue pour son militantisme à combattre la prostitution. Les stagiaires réalisent que les personnes prostituées ne sont pas libres. Certains hommes éclatent en sanglot en écoutant le parcours de Rosen Hicher. Beaucoup n’avaient pas conscience de cela et selon la Fondation Scelles, à la fin du stage, ils sont 82% à manifester leur volonté de ne plus recourir à des prostitués et 88,6 % admettent avoir acquis de nouvelles connaissances. La diffusion de ces témoignages est incontestablement un moment très fort pendant le stage. Aucun de ces hommes ne souhaitent que leur fille ou leur femme subissent ces violences. 

Mais ces stages ne sont organisés que dans une poignée de départements.

Pour une phase deux de la loi du 13 avril 2016

Pour pallier à tous ces manques, la FACT-S souhaite une phase II de la loi de 2016, car « tant que les hommes auront accès à la prostitution, il n’y aura jamais d’égalité entre les femmes et les hommes » martèle Claire Quidet, présidente du Mouvement du Nid.

Afin de continuer à lutter pour l’abolition de la prostitution et parvenir à faire baisser le nombre de ses victimes, la Fédération réclame 2,4 milliards € sur 10 ans. Cela permettrait la sortie de la prostitution de 40 000 personnes et une économie de 1,6 milliard € chaque année, selon le coût économique et social de la prostitution, calculé en 2015 (1).

En 2017, 14 millions € ont été récupérés par l’Etat sur les avoirs gelés du proxénétisme. Cet argent devait être reversé aux associations comme la loi le prévoit. Néanmoins, seulement 4,3 millions ont été reversés. Pourtant 73 % des préfet·es disent manquer de moyens et les associations aussi. Il faudrait multiplier les PSP au moins par 10, communiquer davantage sur leur existence et rallonger leur durée, soit passer de six mois à un an.

Autre recommandation de la Fédération : faire appliquer la loi partout de façon homogène. et intensifier la prévention en milieu scolaire et en particulier concernant la pornographie car «c’est de la prostitution filmée», afin que que les mineur·es ne puissent plus y avoir accès. La Fédération demande une campagne nationale de communication dénonçant la prostitution comme une très forte violence.

Comment expliquer que  l’Etat qui a très récemment mise en ligne une plateforme de lutte contre les discriminations ait « oublié » de mentionner la prostitution ?

Caroline Flepp 50-50 Magazine

1 Etude Prostcost

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