Articles récents \ Île de France \ Société Front de mères, le syndicat des mères des quartiers populaires qui lutte contre les inégalités scolaires

Front de mères

Dans son livre La puissance des mères, Fatima Ouassak revient sur son combat contre les inégalités scolaires, en tant que mère des quartiers populaires. Elle explique la naissance du syndicat qu’elle a co-fondé, le Front de mères, pour permettre aux mères, et aux pères, de quartiers populaires d’être outillé·es collectivement et de ne plus être impuissant·es face aux discriminations à l’école. En filigrane, ce livre est avant tout le récit de la lutte menée par des parents minoritaires pour être reconnus comme légitimes à s’exprimer dans l’espace public.

Fatima Ouassak est politologue, co-fondatrice du Front de mères et fondatrice du réseau « Classe, genre, race » qui lutte contre les discriminations subies par les femmes descendantes de l’immigration postcoloniale. Elle a récemment publié La puissance des mères. Elle y fait le récit de sa lutte contre les inégalités scolaires en tant que mère des quartiers populaires, lutte qui prend sa source dans celles menées par les mères dans les années 1980, en Argentine comme à Paris, et qui a abouti à la création du Front de mères, premier syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires, en 2016. 

La politologue étudie en particulier la façon dont les inégalités et discriminations commencent très tôt, dès le berceau. En devenant mère, elle explique avoir ressenti un paradoxe : être toute puissante et pourtant dépossédée. En effet, il est attendu des mères des quartiers populaires qu’elles fassent tampon entre le système social et leurs enfants, c’est-à-dire qu’elles soient « des agents au service du maintien de l’ordre social », tout en voyant leurs enfants faire face à des discriminations au quotidien. Avec le Front de mères, l’objectif de Fatima Ouassak est donc de s’auto-organiser pour passer de la figure de la « mère-tampon » à un collectif de mères puissantes et révolutionnaires.

Redonner de la légitimité aux luttes des mères des quartiers populaires

Fatima Ouassak explique qu’il est courant que les luttes des mères dans les quartiers populaires soient discréditées et qu’elles ne reçoivent que peu, voire pas, d’attention de la part des médias. D’autant plus que, comme elle le rappelle, depuis les révoltes dans les quartiers populaires en 2005, « tout est fait pour morceler les initiatives et le partage, pour empêcher la communication de quartier populaire à quartier populaire ».

Pour l’autrice, il s’agit tout d’abord de redonner une légitimité féministe à la figure de la mère, parfois vue comme aliénante. Elle explique : « ces deux combats, refuser l’injonction à être mère et se battre en tant que mère, vont dans le même sens ». Pour elle, « il s’agit d’une montée en puissance, non d’une assignation »

Ensuite, il faut réhabiliter les parents des quartiers populaires, souvent méprisés « par les pouvoirs publics et les médias dominants qui les considèrent comme démissionnaires, obscurantistes et maltraitants ». Fatima Ouassak définit cela comme du « culturalisme », c’est-à-dire expliquer les inégalités liées aux discriminations structurelles par des causes individuelles ou culturelles. En d’autres termes, la responsabilité pèse sur les parents des quartiers populaires si leurs enfants ne réussissent pas à l’école. On occulte ainsi le fait que « en termes d’heures de cours réellement dispensées, le mieux doté des collèges publics de Seine-Saint-Denis est moins bien doté que le moins bien doté des collèges publics parisiens ».

Les conséquences du culturalisme, tel que défini par Fatima Ouassak, sont délétères pour les enfants des familles des quartiers populaires. Elle explique : « l’école leur apprend à avoir honte de leurs ancêtres, de leurs parents, honte de ce qu’ils sont ». Un conflit d’autorité s’engage alors et peut pousser certains jeunes à la rupture familiale. Une des missions du Front de mères a donc été de transmettre pour lutter : transmettre des valeurs, une histoire, une langue, ces richesses du multiculturalisme qui donnent aux enfants des outils face aux discriminations.

« Grâce à ce projet d’ateliers avec des enfants de quatre à quinze ans, à Bagnolet, nous avons contribué à construire une génération de garçons et de filles qui savent que leurs mères et grands-mères n’ont pas été des femmes soumises comme on voudrait leur faire croire, tant s’en faut puisqu’elles ont libéré leur pays de l’horeur coloniale ». 

« Lutter pour avoir le droit de lutter » 

La lutte du Front de mères porte sur des questions concrètes, à commencer par l’alimentation dans les écoles. Par exemple, il s’agissait de demander la mise en place un repas végétarien, biologique et écologique dans les cantines scolaires du 93. Depuis 2017, cette campagne du Front de mères est devenue nationale sous le nom « L’alimentation de nos enfants, c’est important ! » avec le soutien de GreenPeace.

Pour ce faire, la première étape pour le Front de mères a été de « lutter pour avoir le droit de lutter », c’est-à-dire devenir légitimes à s’exprimer dans l’espace public. En effet, comme le rappelle Fatima Ouassak, il y a un phénomène de gentrification de la lutte écologique qui exclut les habitant·es des quartiers populaires. Pourtant, elle souligne que « les mères qui vivent dans les quartiers populaires sont bien placées pour savoir à quel point le désastre écologique arrive. Dans les quartiers populaires, on a plus chaud qu’ailleurs l’été. On respire plus mal. On mange plus mal ». Les inégalités environnementales frappent les quartiers populaires de plein fouet. 

Fatima Ouassak raconte comment sa démarche a constamment été discréditée, qualifiée de « communautariste » et considérée comme un moyen d’imposer le halal à l’école. On retrouve d’ailleurs la même mécanique de disqualification dans le récent débat à propos du menu unique végétarien dans les écoles lyonnaises : certain·es le qualifient d’atteinte à la laïcité. Pour Fatima Ouassak, l’argument communautariste est une « arme de disqualification massive », une façon de confisquer la parole et d’interdire l’accès à l’espace public : « le parent prétendument « démissionnaire » du 93 est en réalité un parent démissionné ».

Il était donc nécessaire pour les parents des quartiers populaires de se réapproprier l’espace public, tout en créant du lien social et en luttant contre le sentiment d’illégitimité. C’est ainsi que le Front de mères a commencé à organiser des pique-niques végétariens dans les quartiers populaires, ainsi que des ateliers parents/enfants sur les fruits et légumes de saison.

En bref, s’il fallait garder une idée de ce livre, c’est que dénoncer ne suffit pas, il faut agir concrètement contre les discriminations : « il est inutile de dénoncer des oppressions si l’on ne parle pas aussi des moyens de lutter contre ces oppressions et d’y mettre un terme ».

Maud Charpentier, 50-50 Magazine

Fatima Ouassak, La puissance des mères. Pour un nouveau sujet révolutionnaire, Ed. La découverte, 2020.

Pour écouter Fatima Ouassak présenter la lutte écologique du Front de mères : Les Épines podcast – Un leadership grandeur nature.

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