Articles récents \ Monde Alessandra Orlandini Carcreff: « les rôles du ou de la chamane sont identiques »

Quand on pense chamane, on s’imagine un guérisseur, sorte de sorcier qui entre en transe au son du tambour pour mieux pénétrer le monde de l’invisible et communiquer avec les esprits. Mais qu’en est-il des femmes chamanes ? Etaient-elles nombreuses ? Depuis quelques années, le chamaniste est devenu un phénomène à la mode et ce sont les femmes qui se sont appropriées ou plutôt réappropriées cette pratique en célébrant la féminité sacrée, l’intuition et les rituels ancestraux. Dans son ouvrage Chamanismes, Alessandra Orlandini Carcreff s’est passionnée pour ces rites en remontant aux origines de cette pratique.

A quand remonte le chamanisme ?

Les premières pratiques chamaniques remontent à l’époque préhistorique, car le chamanisme s’est particulièrement développé dans les sociétés de chasseuses/chasseurs, cueilleuses/cueilleurs, qui vivaient en lien étroit avec la nature. Encore aujourd’hui, en Sibérie, ces communautés sont celles où le chamanisme persiste malgré la forte répression soviétique des décennies passées.

Y avait-il autant de femmes que d’hommes chamanes dans ces civilisations ?

Oui, le sexe n’a jamais été un critère de distinction au sein du chamanisme. Que ce soit par quête personnelle, par désignation divine ou par transmission héréditaire, le ou la chamane se sent choisi·e sur la base d’une prédisposition ou d’un appel vers une vie ascétique et de service à la communauté.

Leur rôle était-il différent de celui des hommes ?

Non, les rôles du ou de la chamane sont identiques: la chamane doit être magicienne (pour veiller aux cérémonies de la communauté), guérisseuse (pour prendre soin des membres du clan, tantôt étant obligée de se rendre dans le monde des esprits pour ramener l’âme d’un malade) et psychopompe (accompagnatrice des âmes de défunt·es dans l’au-delà). Ces rôles peuvent être accomplis par tout·e initié·e, indépendamment de son sexe.

Pouvez-vous nous parler de quelques femmes chamanes célèbres ?

Les chamanes deviennent rarement célèbres. Leur mission est de dédier leur existence, à « s’offrir » à la communauté dans laquelle ils vivent. Récemment, le film Un monde plus grand avec l’actrice Cécile de France a fait connaître les travaux de Corine Sombrun, journaliste française qui a découvert avoir un don chamanique et a suivi une initiation d’abord en Amérique latine et ensuite en Mongolie. Le livre de Corine Sombrun, Les Esprits de la steppe, retrace la vie d’Enkhetuya, une chamane tsaatan qui l’a initiée. Ce récit montre les difficultés des minorités ethniques en Mongolie, la répression chinoise et soviétique des années soixante/soixante-dix et la globalisation des dernières années, où, pour attirer les touristes, on essaie de construire un monde fictif, pittoresque, auquel le chamanisme n’échappe pas. C’est ce qui est en train de se passer en Sibérie, en Yakoutie, où l’Etat veut créer une sorte de « parc d’attractions », où les riches russes puissent aller retrouver l’ancienne couleur locale de la Sibérie profonde et où les Yakoutes sont en train de devenir un phénomène d’attraction, comme peuple traditionnel. Le chamanisme, si combattu par les Soviétiques d’autrefois, est aujourd’hui presque favorisé, pour créer cette couleur locale, Cédric Gras et Sylvain Tesson soulèvent  très bien cette question dans leurs récits de voyage.

Comment expliquez-vous cet engouement actuel des femmes pour le chamanisme ?

Nous vivons dans une quotidienneté très chaotique, toujours en mouvement, toujours à la recherche de la rapidité. C’est de là que vient une demande de spiritualité de la part des gens pour se chercher et essayer de se retrouver. Le chamanisme se présente comme une pratique de mise en relation avec la nature, sans intermédiaire, donc cela peut paraître quelque chose de très proche de l’âme humaine, de très facile à « utiliser ». Je pense qu’il y a de la confusion de termes, les personnes tendent à mélanger un peu tout, méditation, spiritualité, chamanisme, New Age, la liste est longue. Dans mon ouvrage, Chamanismes, j’ai voulu tracer un parcours historique, je suis historienne, je ne suis pas chamane, pour donner un instrument de travail, une base culturelle concernant les sources de ce système magico-religieux qu’est le chamanisme.

Laurence Dionigi, 50-50 Magazine

Alessandra Orlandini Carcreff Chamanismes préfacé par Olivier Truc Ed. LiberFaber 2019

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