Articles récents \ France \ Société Claudine Monteil : la sororité au temps du MLF

Organisé par Feminists in the City, le Sommet de la sororité a eu lieu du 18 au 21 mars. Quatre jours de tables rondes, d’ateliers, de masterclasses, de performances artistiques et d’interviews en ligne ont été proposés. Faire résonner spontanément la notion de sororité, terme pourtant polysémique, avec l’idée de solidarité féminine va de soi. Cette notion, serait l’équivalent de la « fraternité » mais pour les femmes. Or l’une des deux notions n’est pas inscrite dans la devise de la République française, pourtant socle des dites « valeurs » de l’hexagone. Les principes portés au cœur même de la République française laissent perplexes en termes d’inclusivité. Claudine Monteil, une des signataires du « Manifeste des 343 françaises » qui a 50 ans aujourd’hui, est revenue sur son combat.

Sans l’uniformiser, la sororité s’inscrit dans une perspective à la fois intergénérationnelle et internationale. C’est en dédiant son récit à Simone de Beauvoir, que Claudine Monteil fait le choix de parler de la sororité au temps du Mouvement de libération des femmes (MLF). Claudine Monteil,  marraine de Feminists in the City est autrice, diplomate honoraire, militante au MLF et ancienne proche de Simone de Beauvoir.

A travers un récit vivant et poignant, les talents de conteuse de Claudine Monteil nous ramènent au temps du MLF. Elle nous fait ainsi (re)vivre un moment crucial de l’Histoire des droits des femmes en France.

Le Mouvement de libération des femmes, le début d’une sororité évidente

Après les mouvements étudiant·es de mai 68, il n’était plus question d’attendre, pour les femmes. Le MLF voit le jour en août 1970 et Claudine Monteil n’a que 20 ans lorsqu’elle est sollicitée par Simone de Beauvoir.

Alors que la lutte contre la société patriarcale, et plus précisément pour les droits des femmes à disposer librement de leur corps, est en plein essor, Claudine Monteil rejoint un groupe d’une dizaine de femmes se réunissant tous les dimanches chez Simone de Beauvoir. Parmi elles, on compte Gisèle Halimi, Delphine Seyrig, Monique Wittig, Anne Zélinski, Liliane Kandel, Cathy Bernheim et Maryse Lapergue.

Claudine Monteil nous emmène avec elle chez Simone de Beauvoir, dans un studio situé à côté du cimetière de Montparnasse. Un élément particulier, retient l’attention de Claudine Monteil, sur une étagère trônent trente à quarante poupées qui proviennent de différents voyages : « les poupées sont debout, le regard fixe qui vous regarde, ce sont des combattantes » affirme-t-elle.

Si Claudine Monteil s’attendait à écouter sagement la pionnière du féminisme français, « de Beauvoir parlait toujours d’égal·e à égal·e ». A ce moment-là débute une amitié entre ces deux femmes qui n’appartiennent pas à la même génération, mais qui luttent pour le même combat : la dépénalisation de l’avortement. Un militantisme les unit et propulse leur combat féministe de longue haleine. Une sororité intergénérationnelle vient de naître. « Le MLF aurait pu s’appeler le MILF, soit le Mouvement intergénérationnelle de libération des femmes » poursuit Claudine Monteil.

Le Manifeste des 343 françaises, une preuve incontestable de sororité

Si « Salopes » a pu retenir les esprits, Claudine Monteil rappelle que les 343 femmes qui ont confectionné le Manifeste, l’ont appelé « Le Manifeste des 343 françaises. » C’est en effet, Charlie Hebdo qui, une semaine après l’a titré « Le Manifeste des 343 salopes. » Ce nom trash restera et marquera davantage les esprits. Or Claudine Monteil affirme « ce n’est pas un hasard que l’on ait gardé le mot salopes . Je ne suis pas une salope, je suis une femme de courage et d’honneur comme les 342 autres. » Elle met alors l’accent sur l’importance de la sémantique, du choix et de l’usage des mots. Si, comme elle le dit, « on peut cogner avec des mots », alors autant les choisir avec soin et en faire un bon usage ; et, surtout, ne pas se tromper de camp !

Le Manifeste des 343 est publié par le Nouvel Observateur le 5 avril 1971. Il s’inscrit dans le combat en faveur de la dépénalisation de l’avortement, encore illégal en France à ce moment de l’Histoire. Le nom de Claudine Monteil, sous son nom de naissance Claudine Serre figurera parmi les 343 autres noms de femmes ayant signé ce manifeste. Elle fait partie des 20% de femmes qui n’ont pas avorté mais ont néanmoins signé. Cette signature lui est apparue évidente car elle lui a permis de montrer son soutien à toutes les femmes qui avortaient dans des conditions effroyables. Son gage de sororité lui permit de revendiquer du même coup sa position claire en faveur d’un avortement sûr, légal et gratuit.

Le Manifeste, rédigé par Simone de Beauvoir, commence par ces phrases :

« Un million de femmes se font avorter chaque année en France.

Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.

On fait le silence sur ces millions de femmes.

Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté.

De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

Parmi les signataires du Manifeste, on retrouve des personnalités connues telles que Delphine Seyrig, Catherine Deneuve, Françoise Sagan, Françoise d’Eaubonne, Marguerite Duras. Ces 343 femmes, en signant, risquaient pour beaucoup des poursuites pénales, la perte de leur emploi ou le reniement et le rejet de la société. Gisèle Halimi a également signé ce Manifeste. Dans un entretien avec Annick Cojean (1), elle déclare que Simone de Beauvoir aurait tenté initialement de l’en dissuader pour lui éviter de lourdes sanctions en tant qu’avocate. Mais cette dernière lui a rétorqué : « Je m’en fous, je signe ! » Elle sera sanctionnée par un blâme du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris.

Rien n’était encore acquis et ce n’était même que le début d’une lutte acharnée pour le droit à l’avortement en France. Les 13 et 14 mai 1972, constituent également deux jours cruciaux pour ce combat. Les militantes du MLF décident de donner la parole à des femmes anonymes et de les entendre témoigner à propos de la souffrance qu’elles ont subi lors de leur avortement clandestin. « Il fallait que ces femmes soient soutenues. La sororité a fait œuvre », affirme Claudine Monteil.

Simone de Beauvoir et les militantes du MLF ont réussi à réunir en moyenne 5 000 personnes dans la salle de la Mutualité à Paris et d’autres petites salles. Les radios privées de l’époque ont également parlé de cet événement qui a fait du bruit. Accompagnées de Simone de Beauvoir, les femmes sont montées chacune à leur tour sur l’estrade pour témoigner de leur avortement et dénoncer la société française.

Le procès Bobigny et la résonnance internationale 

Comment ne pas citer le célèbre procès Bobigny qui a marqué les esprits et l’Histoire du droit français ? Claudine Monteil, conte alors l’histoire de Marie-Claire Chevalier. Enceinte de son copain, elle avorte clandestinement avec l’aide sa mère, Michèle Chevalier, issue d’une classe sociale modeste et élevant ses enfants seule. « La mère de Marie-Claire a fait preuve d’une dignité extraordinaire » explique Claudine Monteil. Elle avait effectivement réussi par ses propres moyens à trouver l’adresse de Gisèle Halimi afin de lui demander d’être l’avocate de sa fille et d’elle-même, jugée pour complicité et pratique de l’avortement.

« Regardez-vous, messieurs, et regardez-nous. Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes, pour parler de quoi ? De leur utérus, de leurs maternités, de leurs avortements, de leur exigence d’être physiquement libres… Est-ce que l’injustice ne commence pas là ? » (2) sont les mots puissants de Gisèle Halimi lors du procès Bobigny. Le procès portera ses fruits et sera une victoire. Mais la bataille n’arrivera à son terme qu’en 1975 avec la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse.

Enfin, Claudine Monteil évoque la sororité internationale, déjà existante au temps du MLF. Elle cite Carole Downer (née en 1933) avocate et autrice américaine, militante féministe qui a également lutté pour le droit à l’avortement aux Etats-Unis. Elle créera des cliniques pour apprendre aux femmes à s’auto-examiner, à voir et comprendre l’évolution de leur corps. Carole Downer expliquera aussi à de nombreuses femme la pratique de l’extraction menstruelle, couramment employée à l’époque pour effectuer un avortement clandestin. Claudine Monteil témoigne avoir séjourné à l’époque dans ces cliniques en tant que bénévole.

A l’ère où les réseaux sociaux sont des supports efficaces pour les luttes féministes, #MeToo le prouve, les militant·es des années 70 ne disposaient pas de canaux de communication et de diffusion aussi efficaces. Pour autant, Claudine Monteil déclare : « la sororité a toujours existé dans les mouvements des droits des femmes de l’humanité avec les moyens qui étaient possibles. » Elle prend l’exemple des Suffragettes françaises, américaines, anglaises, et allemandes qui trouvaient le moyen de se soutenir en s’envoyant des lettres.

Elle conclut sur l’importance qu’elle accorde à la sororité et au féminisme intergénérationnel. Partagez avec d’autres générations des expériences de vie, des combats féministes en évolution constante est un outil efficace pour mener au mieux la perpétuité et continuité du féminisme. C’est avec détermination et conviction que Claudine Monteil déclare : « n’ayez pas de peur de nous dépasser car c’est notre plus grande récompense. »

Chloé Vaysse 50-50 Magazine

(1) Une farouche liberté, Gisèle Halimi et Annick Cojean.

(2) Ibid.

Le nouveau manifeste des 343 

À (re)lire : Le Sommet de la Sororité : pour un mouvement féministe uni !

Photo de Une : Claudine Monteil avec son exemplaire du Manifeste des 343, devant un tableau d’Hélène de Beauvoir représentant Simone de Beauvoir avec ses carnets.

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