Articles récents \ DÉBATS \ Contributions La crise du COVID-19 révélatrice des inégalités femmes-hommes liées au care

20 %, c’est le pourcentage de femmes en France qui se sont déclarées insatisfaites de la répartition des tâches au sein de leur foyer pendant le premier confinement; 95 % des hommes au contraire se sont dits satisfaits de cette répartition. Si les inégalités dans la sphère domestique étaient déjà fortes avant la crise, les femmes réalisant deux fois plus de travail non rémunéré que les hommes en Europe, la fermeture de l’ensemble des lieux recevant du public pendant le premier confinement a réduit les possibilités pour la majorité des familles, et plus particulièrement les femmes, d’externaliser une partie du travail lié au care.

Le care, c’est l’ensemble des tâches, souvent invisibles, qui permettent de soigner, prendre soin, se préoccuper d’autrui, depuis les premiers gestes qui permettent au nouveau-né de survivre puis à l’enfant de se développer, jusqu’à ceux qui accompagnent la dépendance de la fin de vie. Faiblement reconnues car associées aux femmes que la capacité d’enfanter rendraient naturellement enclines à s’occuper d’autrui, ces tâches sont pourtant indispensables au maintien de la société.

Les constructions sociales genrées se traduisent par une inégale répartition des tâches entre femmes et hommes dans les foyers, aggravée par la fermeture des centres qui prennent habituellement en charge les personnes dépendantes, en particulier les enfants, pendant le confinement. Les écoles et les crèches ayant été fermées dans la majorité des pays afin de limiter les contaminations au COVID-19, les femmes se sont alors souvent retrouvées à réaliser leur double journée (de travail rémunéré et non rémunéré) en les superposant au sein d’un même espace, la maison, dans une même temporalité. C’est ainsi qu’a débuté « l’urgence globale du care », ainsi que le rappelle une publication de la Commission Interaméricaine des Femmes (CIM) en lien avec le programme de coopération EUROsociAL+ dont la composante Politiques égalité de genre est coordonnée par Expertise France (Groupe AFD)3.

Si la majorité des pays ont participé au diagnostic consistant à objectiver l’impact disproportionné sur les femmes de l’absence d’organisation sociale pour gérer les tâches de care pendant le premier confinement, peu nombreux sont les gouvernements qui ont adopté des mesures intégrant une perspective de genre pour y répondre.

La plupart des pays européens ont développé des autorisations d’absence pour garder les enfants à la maison, surtout pour les parents qui ne pouvaient pas télétravailler. Leurs contours sont assez disparates, certaines non rémunérées (Irlande) et limitées dans le temps pour des enfants dont l’âge varie (12 ans en Irlande, Italie, Portugal ; 16 ans en France ou en Finlande). Quand certaines sont partiellement rémunérées (66 % du salaire au Portugal), d’autres sont presque intégralement compensées (en France par exemple). En raison des stéréotypes de sexe et des inégalités préexistantes, tant sur le temps dédié par les femmes au care, que par rapport à leur niveau de rémunération plus faible en moyenne que celle des hommes, les femmes ont été plus nombreuses à rester à la maison pour s’occuper des enfants. Il est également à noter que leurs domaines d’activité ont été davantage affectés par la crise du COVID-19 et la crise économique qui en résulte, les femmes étant majoritaires dans les secteur tertiaire : les services, le tourisme, l’hôtellerie et la restauration. Ces phénomènes pourraient ainsi avoir pour conséquences une participation amoindrie des femmes sur le marché du travail et une pauvreté accrue, en particulier pour certains foyers comme les familles monoparentales. Par ailleurs, si la majorité des gouvernements et employeurs ont développé le télétravail, peu nombreuses ont été les mesures visant à limiter les effets de la superposition de la double journée des femmes.

En Amérique Latine, les autorisations d’absence ont été plus rares qu’en Europe en raison de leur coût. En revanche, certains pays ont développé des campagnes de sensibilisation autour de l’importance de mieux partager le travail non rémunéré entre femmes et hommes. Une demande récurrente des organisations féministes de la région est d’ailleurs la « coresponsabilité sociale du care », à travers la prise en charge partagée de ces tâches par les hommes, les communes, les employeurs et l’État.

La crise du COVID-19 représente ainsi un risque accru pour les femmes de subir durablement ses effets, à travers des stéréotypes renforcés et une moindre participation sur le marché du travail.

Les gouvernements doivent analyser les effets différenciés de la crise sur les femmes et sur les hommes et adopter des mesures compensatoires avec perspective de genre pour éviter tout recul sur l’égalité femmes/hommes. Il faut en cela rappeler que le privé est politique, et qu’il est nécessaire de considérer le care comme un investissement qui bénéficie à tou.tes.

Maud Ritz Conseillère en matière de politique de la petite enfance à la mairie de Paris et consultante internationale en matière de genre auprès d’EUROsociAL+.

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